Socrates 1982, deux feintes et une mine
[saga Mundial 1982] Un jour, un but - Le 14 juin, au stade Sánchez-Pizjuán de Séville, Socrates marque contre l'URSS le premier but brésilien de ce tournoi.
Cela fait plus d'une heure que le Brésil cherche la solution. Les joueurs au maillot doré bourdonnent comme des abeilles autour du pot de confiture de fruits rouges. Ils s'échangent le ballon en passes courtes, à ras de terre, dans une sorte de ballet rythmé par les orchestres de samba qui animent les tribunes.
En face, l'équipe soviétique est en position de force. Les joueurs au maillot rouge floqué d'un fier CCCP ont ouvert le score en première mi-temps par leur milieu de terrain Andriy Bal, dont la frappe lointaine a surpris le gardien brésilien Valdir Peres. Le ballon a glissé sur ses gants et a révélé d'entrée le point faible de cette Seleção.

Rideau de fer
L'équipe brésilienne s'est alors transformée en une redoutable machine d'attaque. Les arrières latéraux Junior et Leandro se sont positionnés à la hauteur de leurs attaquants Éder et Serginho, tandis que les milieux de terrain Dirceu, Falcão, Zico et Socrates se relaient pour diriger la manœuvre.
Le Brésil de Telê Santana invente un 2-4-4 ultra-offensif, mais l'équipe soviétique tient bon. Dans sa cage, on découvre un gardien très grand, très fin, très sûr, qui capte tous les ballons aériens et plonge parfaitement sur les tirs à ras-de-terre. Rinat Dasaev décroche ce soir-là le titre de meilleur gardien du monde.
À l'entame du dernier quart d'heure, les défenseurs soviétiques, un peu fatigués, repoussent un ballon à l'emporte-pièce. La sphère arrive dans les pieds de Socrates, à trente-cinq mètres de la cage de Dasaev.
Le capitaine brésilien s'avance. Le Soviétique Sousloparov, qui vient d'entrer en jeu, se met en opposition, mais le Docteur l'esquive d'un crochet vers la droite. Le Brésilien arme sa frappe, mais ne tire pas, ce qui trompe Bessonov.
À nouveau décalé sur la droite, Socrates déclenche enfin sa frappe. Le ballon part comme une fusée et va se loger dans la lucarne droite de Dasaev. Le gardien soviétique a beau se détendre, la frappe du capitaine brésilien atteint son but.
« Un orgasme sans fin »
"Ce ne fut pas un but, mais un orgasme sans fin", écrira le capitaine brésilien dans les mémoires qu'il comptait publier, et que le journaliste anglais Andrew Downie a largement repris dans une biographie qu'il lui a consacrée.
Plus que tout autre joueur, Socrates Brasileiro Sampaio de Souza Vieira de Oliveira ne veut pas perdre ce match. Il a rejoint la Seleção pour gagner la Coupe du monde, et s'est déclaré prêt à jouer gardien de but s'il le fallait. Il a arrêté de fumer et de boire à la demande de Telê Santana - un exemple suivi par les autres joueurs.
La préparation physique a été un cauchemar. Socrates s'est efforcé de garder son poids de forme, terminant ses exercices en vomissant. Mais en Espagne, il affiche une forme physique éblouissante qui surprend même ses coéquipiers.
La rencontre n'est pas terminée. Aucune des deux équipes ne veut se satisfaire d'un match nul. Les Soviétiques contre-attaquent habilement. Sur un centre de Susloparov, Oleg Blokhine est bien placé pour reprendre de la tête, mais le défenseur Luizinho intervient et dévie le ballon, semble-t-il du bras.
L'arbitre espagnol Augusto Lamo Castillo fait signe de continuer à jouer, comme il l'avait fait en début de rencontre quand Shengelia avait été brutalement arrêté par le même Luizinho.
Miraculeux et injuste
À trois minutes de la fin, le ballet brésilien reprend près de la surface soviétique : dribble en deux temps de l'ailier Paulo Isidoro, petite passe à ras de terre vers Falcão, lequel laisse rouler le ballon entre ses jambes.
Derrière lui surgit Éder qui soulève la balle et la frappe aussitôt. Dasaev n'a rien vu venir. Il reste planté sur ses appuis et, les bras ballants, ne regarde même pas le ballon franchir la ligne. Le Brésil l'emporte 2-1, un résultat à la fois miraculeux et éblouissant. Mérité pour les Brésiliens, injuste pour les Soviétiques.
Dès son deuxième jour, le Mundial espagnol a peut-être livré son plus beau match. Sánchez-Pizjuán, le théâtre de la rencontre, n'accueillera qu'une seule autre rencontre plus tard dans le tournoi. Sera-t-elle à la hauteur ?
Douze ans plus tard, à Palo Alto, près de San Francisco, le Brésil rencontrera la Russie pour son premier match de la Coupe du monde 1994. Le capitaine de la Seleção aura pour nom Raí, le jeune frère de Socrates. Lui aussi inscrira un but face aux Russes...

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