Guerre froide au poteau de corner
[saga Mundial 82] Le 4 juillet 1982 au Camp Nou, Pologne et URSS ne se disputent pas seulement une qualification pour les demi-finales de la Coupe du monde...
Wlodzimierz Smolarek s'empare du ballon et lance une nouvelle contre-attaque, mais il est fauché par Sergueï Borovski. L'attaquant polonais reste au sol tandis que l'arbitre adresse un carton jaune au défenseur soviétique.
Zbigniew Boniek vient s'en mêler. Il balance quelques mots à Bob Valentine, l'arbitre écossais, et celui-ci réplique avec un carton jaune. Le buteur polonais est furieux : cet avertissement est son deuxième du tournoi et il le prive automatiquement de la demi-finale que son équipe tente d'accrocher.

Une grande tension plane à l'intérieur du Camp Nou en cette soirée du 4 juillet 1982. La rencontre met aux prises les équipes d'URSS et de Pologne pour une place en demi-finale. Si le contexte géopolitique faisait redouter une confrontation entre l'Argentine et une équipe britannique, au lendemain de la guerre des Malouines, l'hypothèse d'un match entre la Pologne et l'Union Soviétique crispait tout autant les organisateurs.
État de siège
Depuis décembre 1981, la Pologne est en crise. Le général Jaruzelski a instauré un état de siège à cause de l'influence grandissante du syndicat Solidarnosc, mené par Lech Walesa. Il redoute une intervention de l'armée soviétique comparable à celle de 1968 à Prague. Le peuple polonais vit alors des moments difficiles, confronté à de nombreuses restrictions, aux couvre-feux, à la censure et aux arrestations d'opposants.
Sa sélection a connu de nombreuses difficultés pour préparer sa Coupe du monde, n'ayant pu disputer aucun match amical, sinon contre des équipes de clubs de niveau inégal. Son Mundial se passe pourtant bien. Après deux premières rencontres insipides, elle s'est réveillée face au Pérou, atomisé 5-1 en vingt minutes.
Dans le groupe à trois du deuxième tour, Polonais et Soviétiques l'ont emporté contre la Belgique : la Pologne largement (3-0), grâce à un hat-trick d'un Zbigniew Boniek euphorique, et l'URSS beaucoup plus difficilement (1-0), grâce à un but inscrit contre le cours du jeu. Au Camp Nou, les deux équipes disputent ainsi leur qualification pour les demi-finales.
À plusieurs reprises durant la rencontre sont déployées des banderoles à l'effigie de Solidarnosc, que la Guardia Civil s'empresse de faire retirer. Le stade du Barça, qui a longtemps porté l'écho des revendications catalanes, porte ce soir-là celui des souffrances du peuple polonais.
Mise au coin
Sur le terrain, les Polonais ont décidé de jouer en position d'attente. Grâce à leur différence de buts supérieure, ils peuvent se contenter d'un match nul, et ils ont profité de trois jours de repos de plus que leurs adversaires. S'ils se créent bien quelques occasions, ils s'emploient surtout à jouer en contre-attaque et à geler le ballon.
Après le carton jaune reçu par Boniek et les soins qui ont remis Smolarek sur pied, ce dernier s'empare du ballon et se dirige vers le poteau de corner. Il s'arrête devant le drapeau, et se met en opposition devant Borovsky. Cette action rappelle irrésistiblement une scène similaire, un mois et demi plus tôt dans ce même stade.
La finale de la Coupe d'Europe des vainqueurs de coupes opposait le FC Barcelone au Standard de Liège. Une finale pourrie par le caractère belliqueux des Blaugranas, poussés par un public à vif. Dans les dernières minutes, l'attaquant Quini avait bloqué le jeu près du poteau de corner, faisait sortir Walter Meeuws de ses gonds et du terrain, après un carton rouge.
Smolarek, lui aussi, vise sans doute l'expulsion de Borovsky. Il cherche en tout cas à l'humilier et, à travers lui, humilier l'URSS tout entière. Son coéquipier Buncol vient lui prêter main-forte, suivi du Soviétique Baltacha. L'arbitre Bob Valentine se dit qu'il est temps d'intervenir pour éviter que la situation ne dégénère. Faute de mieux, il accorde un coup franc aux Soviétiques.
Les poings de la victoire
Le jeu reprend. Les Polonais récupèrent le ballon, qui se retrouve dans les pieds de Smolarek. L'attaquant polonais, plutôt borné, retourne près du poteau de corner. Suivi, cette fois, par Sulakvelidze, il bloque le ballon, temporise, avant que son coéquipier Boniek ne vienne à la rescousse.
Il est dit qu'en Pologne, ces provocations ont réchauffé beaucoup de cœurs dans les foyers. Elles ont rappelé le bras d'honneur que l'athlète Wladyslaw Kozakiewicz avait adressé au public soviétique après sa victoire au concours du saut à la perche lors des Jeux de Moscou, deux ans plus tôt.
On arrive enfin à la fin du match. Boniek frappe un coup franc lointain qui n'atteint pas le cadre de Dasaev. Les Soviétiques contre-attaquent et obtiennent un ultime corner. Le gardien polonais Mlynarczyk se montre souverain dans sa surface et relance ses coéquipiers. Le ballon arrive dans les pieds de Smolarek...

L'attaquant polonais, cette fois, se dirige vers le but soviétique et tente sa chance d'un tir du gauche qui passe à côté. L'arbitre siffle la fin du match sur cette occasion manquée.
Les Polonais lèvent les bras, puis des poings victorieux face aux caméras qui les suivent de près. Ils sont conscients que leur prestation a été suivie dans de nombreux foyers polonais, et que cette victoire (car ce 0-0 fut une victoire) était plus attendue que n'importe quelle autre.

RÉTRO COUPE DU MONDE 1982
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