Battiston 1982, lendemains de choc
[saga Mundial 1982] Patrick Battiston fut le héros malgré lui de la demi-finale de Séville perdue contre la RFA. Derrière son histoire se cache celle... de son maillot.
Le matin du 9 juillet 1982, Patrick Battiston se réveille dans un hôpital de Séville. La veille au soir, il a été évacué de la pelouse du Stade Sanchez-Pizjuan après avoir été percuté par le gardien de but allemand Harald Schumacher lors de la demi-finale RFA-France.
Battiston est entré en jeu sept minutes plus tôt à la place de Bernard Genghini, blessé. Bien que défenseur de métier, il s'est positionné au milieu de terrain et s'est même procuré une occasion sur un tir de loin passé à côté.
À la 57e minute, Michel Platini voit l'appel de son pote vers le but et lui adresse un ballon précis, que son destinataire reprend sans contrôle au moment d'entrer dans la surface. Son ballon rate de peu la cible, contrairement au gardien allemand qui percute Battiston de plein fouet.

Un capitaine et deux médecins
Le choc est terrible. La victime est lourdement tombée au sol, où elle gît, inconsciente, le corps est secoué de légers spasmes avant de perdre connaissance. Les Français s'agitent autour de leur coéquipier, demandent d'urgence l'intervention des soigneurs.
L'arbitre néerlandais Charles Corver reste impassible, et son assistant, l'Écossais Bob Valentine ne lui signale rien. Le docteur Vrillac, médecin de l'équipe de France, a demandé la civière, et le joueur est évacué du terrain, escorté par son capitaine qui lui tient la main, rongé par l'inquiétude.
Le défenseur français, inconscient, est conduit dans l'infirmerie du stade, où il reprend peu à peu conscience. Perclus de douleur, son état de santé rassure toutefois rapidement : sa vie n'est pas en danger, ni même sa carrière de footballeur. Le docteur Vrillac peut retourner sur le banc de touche au bout d'une demi-heure.
Patrick Battiston monte dans l'ambulance au moment des tirs au but. Un jeune médecin espagnol, le docteur Rogelio Arias, le rassure. Durant le trajet, les deux hommes apprennent que la France a perdu. En rangeant les affaires du joueur, Arias tombe sur son maillot, le numéro 3, qu'il trouve magnifique. Le joueur français lui propose de le garder, avec tout son équipement.
Battiston passe la nuit à l'hôpital, tandis que ses coéquipiers patientent à l'aéroport pour prendre un avion vers Alicante, où ils doivent disputer le match de classement. Le bilan est lourd pour le joueur français : commotion cérébrale, vertèbre fissurée et trois dents fracturées.
Sur le terrain, durant les soins prodigués à Battiston, le gardien allemand est resté près de son but, ballon à la main, mâchant un chewing-gum dans une attitude teintée de mépris, voire d'impatience. Quand il apprendra l'état de son adversaire, ses paroles n'allégeront pas son dossier : "Je lui paierai ses frais de dentiste."
Suites et séquelles
Quelques jours après la fin du Mondial, Schumacher consent à se rendre à Metz pour saluer le joueur français, qui se marie le lendemain. Une conférence de presse est organisée en grande pompe, durant laquelle Battiston déclare accepter les excuses de son agresseur.
Deux mois après Séville, Harald Schumacher viendra jouer au Parc des Princes avec le FC Cologne, invité de longue date au tournoi de Paris. Le gardien allemand subira inévitablement les sifflets du public. Battiston fera quant à lui son retour sur les terrains début octobre avec l'AS Saint-Étienne. Il fêtera ensuite sa 23e sélection (sur 56) par un but à Rotterdam contre les Pays-Bas.
Vingt-six ans après le match de Séville, Battiston retrouve de manière inattendue la tenue qu'il portait lors de la poignée de minutes disputée face aux Allemands. Le médecin à qui il l'avait offert en avait ensuite fait un don au FC Séville. Le maillot bleu, le short blanc et les chaussettes rouges furent mis sous verre et exposée dans le musée du club, au Stade Sanchez-Pizjuan [1].
Un jour de match de Ligue des champions, Michel Platini, devenu président de l'UEFA, se voit remettre par les dirigeants du club la fameuse tenue sous verre. L'ancien capitaine des Bleus l'expédie aussitôt en Gironde à l'adresse de Patrick Battiston, devenu éducateur aux Girondins de Bordeaux.
L'ancien défenseur des Bleus est surpris par le cadeau, mais pas aussi ému que l'un de ses fils, qui tient à l'accrocher sur le mur de sa chambre.
Quand les équipes de France et de RFA s'étaient retrouvées en avril 1984 pour un match amical à Strasbourg, Schumacher avait offert à Battiston son maillot du match de Séville. Mais le défenseur français est incapable de se souvenir de ce qu'il en a fait [2]. Si le choc de Séville l'a rendu célèbre, cela reste pour Patrick Battiston un très mauvais souvenir.
[1] "La légende de Séville", France Football, 3 juillet 2012.
[2] Onze mètres, de Ben Lyttleton (Hugo Sport, 2015).

RÉTRO COUPE DU MONDE 1982
13 juin. España 1982, nos années Naranjito
14 juin. Un jour, un but : Socrates, deux feintes et une mine
16 juin. Un jour, un but : Robson 1982, coup de chaud à Bilbao
17 juin. Fennecs plus ultra
21 juin. Un jour, un but : Giresse 1982, la controverse de Valladolid
24 juin. Manu Amoros, forte tête
25 juin. Un jour, un but : Armstrong 1982, de l'Ulster à la lune
28 juin. Un jour, un but : Genghini 1982, la lucarne bleue
2 juillet. Arconada 1982, le moral dans les chaussettes
4 juillet. Guerre froide au poteau de corner
5 juillet. Le saint suaire de Paolo Rossi
8 juillet. Battiston, lendemains de choc