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Habitus baballe

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  • Aulas tique le 06/04/2022 à 17h21
    Je crois qu'il faut un peu relativiser certaines choses qui peuvent être instrumentalisées.
    L'article fait une longue analyse d'un texte repris par une agence de presse russe mais, d'après nombre de personnes (loin d'être pro russes notamment dans l'émission C politique d'hier soir sur France 5), ce texte est issu d'un obscure fanzine lu par personne. Donc l'élever au niveau de Mein Kampf, c'est aller vite en besogne.
    Par contre, on peut reconnaître que c'est quand même fort de café que ça fasse désormais partie de la propagande russe qui n'est plus à ça près.

  • Red Tsar le 06/04/2022 à 17h25
    Si le propos du commentateur de LCI était d'opposer une « âme russe » propice à la violence par rapport à une « âme française » tempérée (entre ici Montaigne), je pense qu'il se trompe, comme peut l'illustrer le triste exemple de la mission Voulet-Chanoine : lien
    S'il s'agit d'opposer différentes manières de former aujourd'hui les soldats et de les déployer en opération, oui, j'ai envie de croire que « nos » soldats ne procéderaient pas à ces crimes organisés.

    Merci à tous pour toutes les ressources suggérées.
    J'aime beaucoup l'idée que tu évoques, Loscoff, d'un Mal « Janus » du Bien. On pourrait peut être voire des dynamiques similaires avec d'autres crimes commis au nom de la Justice, de la Vérité, de la Civilisation, du Sens de l'histoire, etc. Mais si on parle des violences en général, y compris en temps de guerre, je pense que cette approche n'épuise pas toutes les possibilités. Ton évocation de Werth me rappelle un titre très intéressant sur ce sujet de la fabrique des bourreaux : L'Ivrogne et la Marchande de fleurs. Autopsie d'un meurtre de masse (1937-1938) : lien

  • Jah fête et aime dorer Anne le 07/04/2022 à 00h13
    Et d'où vient cette violence. Si la France fait la guerre, est-ce que nos troupes seraient capables de faire cela?
    ----------------------

    Ils en ont fait de belles de l'autre côté de la Méditerranée y'a quelques dizaines d'années.

    Comme dit Red Tsar, actuellement, y'a moins de probabilités notamment car les soldats sont formés sur ce qu'ils ont le droit et pas le droit de faire.
    Mais ils ont aussi appris à obéir aux ordres, et désobéir aux ordres illégaux est parfois difficile. Donc il faut que celui qui donne les ordres respecte la formation. Récemment, y'a eu des soldats français condamnés pour avoir assassiné sur ordre un prisonnier en Côte d'ivoire : lien
    Dans Winter Soldier, des soldats témoignent que, en arrivant au Vietnam, ils ont vu les meurtres commis par leurs pairs et se sont dits "ok, c'est comme ça que ça fonctionne, donc c'est normal et même légal". C'est seulement en retournant aux Etats-Unis qu'ils ont appris que ce qu'ils avaient fait était illégal.

    Des sadiques qui massacrent et torturent dès qu'ils en ont la possibilité, ça existe, et ça un très gros effet d'entraînement du reste des troupes pour massacrer, mais en fait ça semble être minoritaire.
    Il semblerait qu'une bonne partie des massacreurs le font parce que ça se passe comme ça.
    Et une partie des gens refusent de massacrer.

    Après, le point de bascule, c'est que cette formation censée limiter les comportements peut être mise de côté si on dit aux soldats que, pour ces personnes, les règles ne s'appliquent pas. Un exemple relativement récent est la décision des Etats-Unis de ne pas appliquer le statut de soldat à leurs adversaires de l'Axe du Mal. Conséquence : actes de torture, traitement illégal des prisonniers. Intéressant, comme les soldats savaient qu'ils n'ont pas le droit de torturer par rapport à la Convention de Genève, et qu'il y avait des risques qu'ils refusent les ordres, les autorités appelaient cela "techniques d'interrogation poussées" et non pas torture.
    Et malheureusement, on a par exemple déjà des situations (bien moins graves) de non-applicabilité des règles par les forces policières françaises sur certaines catégories de population (notamment les migrants).

    Sur l'Ukraine, il semblerait également que ces massacres aient été planifiés. Il semblerait que ce n'était pas "les soldats sont libres de faire ce qu'ils veulent, donc dans ce cas ils massacrent" (même si pour certains c'était le cas), mais plutôt "ils ont des ordres de faire régner la terreur parmi les nazis". Donc ça n'a pas forcément été obtenu n'importe comment.
    Au-delà de la formation, y'a aussi l'éducation générale : il faut voir le discours public de la Russie de ces dernières années.



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    Lescure aujourd'hui à 15h54
    ----------------

    Une possibilité malheureusement est que le régime ne chute pas et que les massacreurs restent au pouvoir (même si Poutine disparait).
    Un bon exemple récent est l'Indonésie, où les génocideurs (anti-communistes et/ anti Timor-Oriental) sont finalement restés au pouvoir, même après la mort de Soeharto, et où dans la société, non seulement on ne reconnait toujours pas qu'il y a eu génocide, mais en plus on se glorifie toujours d'avoir tué ces gens-là (mais ce n'est pas un génocide, vu que ce sont des ennemis qu'on a tués).

  • O Gordinho le 07/04/2022 à 11h27
    A noter que la Cour Suprême russe vient de refuser de revenir sur la dissolution de Memorial (ordonnée en 2021 par Poutine). Je ne sais pas si vous en aviez parlé ici en décembre.

    La disparition de Memorial est une catastrophe majeure pour la recherche russe (et la recherche internationale en Russie) ainsi que pour la mémoire qui se trouve aujourd'hui totalement verrouillée par la dictature.

    Ce n'est d'ailleurs probablement pas un hasard du calendrier si Poutine s'est assuré d'éliminer Memorial avant de lancer un nouvelle guerre, étant donné le travail extraordinaire réalisé par les chercheurs sur les crimes commis en Tchétchénie notamment.

  • Red Tsar le 11/04/2022 à 17h15
    Ce n'est pas évident de reprendre là-dessus après la soirée d'hier, mais chose promise, chose due.

    Rappel des épisodes précédents :

    I. Qu'est-ce que le capitalisme ?
    - Les idéalistes : Weber et Sombart : lien
    - Les matérialistes : Marx et Braudel : lien
    - Le cas Polanyi : lien

    II. Les mutations du capitalisme
    - Un nouveau cycle d'hubris capitaliste ? : aujourd'hui et demain
    - Un capitalisme inversé ? : la semaine prochaine

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    * Dans les précédents billets, je partais de textes déjà écrits, que j'ai raccourcis. Là, c'est l'inverse. J'ai agrégé plein de petites notes. J'espère que ça reste lisible, que ça s'enchaîne assez logiquement et qu'il n'y a pas trop d'infinitifs en lieu et place de participes passés, suite à des copier-coller agglomérés trop rapidement.

    * L'enchaînement de ces billets peut donner le vertige. La difficulté d'aborder un fait social total, quel qu'il soit, c'est qu'il est partout ou presque. Mais il n'y en a pas moins un risque de le survaloriser. C'est un piège classique de la recherche en SHS. On cherche, on trouve... Je vous partage ici toute une série de lectures, mais vous êtes assez grands pour juger ce qui est pertinent, ce qui est stimulant, mais un peu trop forcé, ou ce qui vous paraît aller trop loin : voyez ça comme un atelier avec plein d'outils, pas comme le livre de la vérité révélée. Et d'ailleurs, rassurez-vous, ce type de livres est loin de représenter la majorité de mes lectures. C'est mon côté petit-bourgeois qui aime bien profiter de la vie malgré tout : sur une île déserte, j'emmène Homère, pas Weber.

    * Enfin, le bilan dressé pourrait avoir un côté désespérant. Mais je pourrais partager autant de pages pour vous dire comme je pense qu'il est beau de vivre, que le monde et l'humanité méritent notre émerveillement et toutes ces choses sentimentalement idiotes, mais pas moins vraies. Et je pourrais aussi écrire tout autant de pages pour partager des théories ou des récits d'expériences concrètes qui permettent non seulement d'espérer une société meilleure, mais, même, de la vivre dès aujourd'hui sur certains plans.

  • Red Tsar le 11/04/2022 à 17h19
    II. LES MUTATIONS DU CAPITALISME

    * Le capitalisme connaît des mutations importantes à partir des années 1970. Évidemment, cela se fait de manière graduelle. Pour certains, la mue commence dès les années 1960. Pour d'autres, les années 1970 ne sont que la préhistoire d'un tournant qui a lieu dans les années 1980. Mais au-delà de ces différences d'appréciations quant aux datations, il y a consensus sur la rupture que représente la période.

    * Il est à souligner que les contemporains ont eu conscience de cette mutation.
    - Du côté des trotskystes, par exemple, Ernest Mandel (Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, dont la LCR française était la section la plus importante) publie Le Troisième âge du capitalisme dès 1972. Paul Boccara (PCF) livre une série d'articles sur « La crise du capitalisme monopoliste d'État et les luttes des travailleurs » (dans la revue du PCF, Économie et politique, 1970), puis son Étude sur le capitalisme monopoliste d'État, sa crise et son issue (1974). Son idée est que le consensus entre l'État et les grandes entreprises, né en 1945, est en train de prendre fin, avec la montée graduelle du chômage, la croissance du secteur financier par rapport au secteur productif et le choix d'un libéralisme mondialisé.
    - Si les « tradi » observent des mutations du capitalisme avec leur grille d'analyse principalement socio-économique, il est intéressant de relever que la question est également abordée avec des perspectives nouvelles sur la période : Foucault, Baudrillard, Debord, Deleuze, Guattari, Illich, Ellul qui commence à s'orienter vers les questions environnementales… On peut y voir un indice supplémentaire qu'effectivement quelque chose se passe.

    * Cette prise de conscience des contemporains n'a pas été démentie par la suite. Dans un ouvrage de synthèse récent, tiré de cours donnés à Sciences Po., Sociologie historique du capitalisme (La Découverte, 2021), Pierre François et Claire Lemercier distinguent trois âges du capitalisme : l'âge du commerce (1680-1880), l'âge de l'usine (1880-1980) et l'âge de la finance (depuis 1980). C'est aussi le propos de Pierre-Yves Gomez (professeur à EM Lyon Business School), dans L'esprit malin du capitalisme. Comprendre la crise qui vient (2019) : on est entré depuis une génération dans un nouvel âge du capitalisme, fondé sur la financiarisation, la digitalisation, le passage à une société matérielle ludique fébrile... On appréciera le double sens du « malin » dans le titre...

    * S'il y a consensus sur le fait que le capitalisme a muté, il y a débat sur les causes de ce phénomène. Sont-elles dues à des :
    - facteurs internes : liés à reproduction mécanique du système,
    - facteurs externes : liés aux actions conscientes d'acteurs pour transformer le système ?
    Il y a aussi bien sûr débat sur les conséquences de ces transformations.

    Par simplicité, on peut organiser la présentation de cette mutation du capitalisme en deux parties :
    - assistons-nous au retour d'un cycle d'hubris du capitalisme, qui ne fait que reprendre le cours de son expansion interrompue en 1945 ?
    - assistons-nous à une inversion des logiques capitalistes ?
    Les deux questions ne sont évidemment pas exclusives ni l'une par rapport à l'autre ni par rapport à d'autres qui pourraient se poser.


    * Avant d'entrer dans le vif du sujet, un mot rapide sur le plan historiographique.
    - Le capitalisme en tant qu'objet d'étude disparaît en grande partie dans les années 1980 et 1990. Au début des années 2000, ce champ est presque un désert.
    - Divers événements vont participer à ramener l'intérêt vers lui. J'en cite deux. La crise des subprimes, d'abord, a ébranlé l'idée d'un marché auto-régulé profitant à tous. C'est ainsi que le vénérable Times titrait, en couverture, « Marx le retour », en 2009, ou que le Guardian s'interrogeait en 2012 : « Why Marxism is on the rise again ». Le deuxième événement est la prise de conscience du désastre environnemental vers lequel nous allons et le lien causal éventuel avec le capitalisme.
    - Évidemment, il ne faut pas oublier tout un travail de fond mené par les anciennes comme les nouvelles générations de militants, qui ont maintenu le flambeau allumé pendant les années du tunnel, avec le coup de tonnerre qu'a représenté Seattle, en 1999.
    - Ainsi, en vingt ans, on est passé d'une situation où il est était difficile de trouver des productions sur le capitalisme à une situation où il est difficile de suivre l'actualité éditoriale et scientifique sur le sujet. Capitalisme et féminisme, capitalisme et écologie, capitalisme et identités, capitalisme et formes de travail (uberisation…)… Il y a une grande vitalité de production, avec une qualité variable, il est vrai. Du coup, il est impossible de rendre compte de tout ici et je me limite à quelque choix, chacun pouvant bien sûr compléter à loisir.

  • Red Tsar le 11/04/2022 à 17h21
    II.a- Le retour d'un cycle d'hubris capitaliste ?

    Jusqu'en 1914, le capitalisme s'étend sans réelle entrave. C'est le « siècle » dont parlait Polanyi. La guerre de 1914 a obligé les États à réguler l'économie et la production. Puis on a eu la révolution russe, les régimes totalitaires, la crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale, le monde bipolaire, un relatif consensus pour un État-providence dans les États occidentaux… Cette parenthèse paraît se refermer dans les années 1970 et le capitalisme semble reprendre une dynamique d'expansion, une dynamique qui s'exprime dans plusieurs dimensions.


    ** 1/5. Extension de la marchandisation (« commodifications » en anglais) :
    Depuis 1970, on observe une extension inédite du processus de marchandisation. D'une part, le volume de la production des marchandises/services augmente. D'autre part, on transforme davantage de valeur d'usage en valeur d'échange. D'une part, les marchandises classiques font l'objet d'une intensification de leur valorisation. D'autre part, de nouvelles marchandises sont mises sur le marché.

    * L'intensification des valorisations marchandes
    On peut d'abord considérer qu'il y a des éléments qui étaient déjà des marchandises avant les années 1970, mais dont la marchandisation s'intensifie. Sans prétention aucune à l'exhaustivité, et sans s'attarder ici sur les évidences (productions industrielles, minières...), on peut par exemple citer :
    - la nuit/le sommeil : Dans 24/7 : Le Capitalisme à l'assaut du sommeil (2016), Crary met en avant la capture de la nuit par le capitalisme afin de produire (éclairage des usines pour le travail de nuit) et de consommer en continu (éclairage urbain, également lié à une volonté sécuritaire). D'ailleurs, le temps de sommeil connaît une baisse continue dans l'ensemble des pays (ex. : lien). Mais Crary lit une deuxième phase de prise de contrôle de la nuit/sommeil, une phase biopolitique, visant à normer les corps, avec des produits pour plus ou moins dormir, des matelas ou autres appareils connectés enregistrant les données biologiques, etc. Dans la même veine, Roger Ekirch a publié La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits. Il pointe la manière dont le capitalisme a reconfiguré notre sommeil (2021, pas lu).
    - la sexualité/l'amour : oui, la prostitution a existé avant le capitalisme. Le cinéma pornographique est aussi vieux que le cinéma. Mais les chiffres d'affaires de l'industrie pornographique, des sites de rencontre, etc. atteignent des records (pas lu : Ovidie, Pornocratie, 2017).
    - le bonheur : des professeurs de bonheur, ça existe depuis l'Antiquité. Mais désormais, il existe un marché du bonheur. Un livre sur le sujet : Eva Illouz et Edgar Cabanas, Happycratie (2018) : manuels, applications, cours, séminaires, visio... Les émotions sont marchandisées et les personnes qui se sentent en échec sont renvoyées à leur seule responsabilité individuelle. La quête de ce bonheur marchandisé pousse en fait à une insatisfaction peu propice au bonheur au sens où l'entendaient les Anciens et il y a là une rupture notable. On retrouve sur ce plan le concept de « différance de jouissance » dans le capitalisme, de Deleuze et Guattari, dans l'Anti-Oedipe : on suscite sans cesse le désir, mais la jouissance est sans cesse différée.
    - la santé/l'éducation/les retraites : de manière directe ou indirecte, ces secteurs sont soumis à de multiples formes de privatisations, poussant les citoyens à consommer des produits qui auparavant n'étaient pas marchandisés. Un ouvrage intéressant : School business. Comment l'argent dynamite le système éducatif (Arnaud Parienty, 2015) : essor des cours privés (Acadomia...), des prépas privées, hausses des frais universitaires à l'échelle mondiale, formations à l'étranger avec équivalences permettant d'« acheter » un diplôme... Une des conséquences, dénoncée par Martha Nussbaum (une libérale), dans Les émotions démocratiques. Comment former le citoyen du XXIe siècle ? (2011) est que l'éducation se plie aux impératifs de rentabilité et délaisse les humanités, ce qui est un péril pour la démocratie : lien


    * De nouvelles marchandises
    Mais il ne s'agit pas d'une seule intensification de la marchandisation de certains secteurs anciens. On observe également la marchandisation de nouveaux champs, bien souvent en lien avec le concept de biopolitique de Foucault, puisqu'il s'agit de marchandises « incorporées » désormais. On peut citer les travaux de Margaret Jane Radin, notamment Contested Commodities (1996, pas lu), qui s'intéresse au fait de transformer en marchandise quelque chose qui renvoie à l'humanité même d'une personne.
    - les données d'identité : leur monétisation est devenue un enjeu majeur du Web,
    - l'attention : c'est un champ travaillé par Yves Citton, notamment dans L'Économie de l'attention. Nouvel horizon du capitalisme ? (2014). Extrait d'un entretien avec celui-ci : « déjà à la Renaissance, la profusion de livres suscite des dispositifs nouveaux – sommaire, titres de marge – pour parer à une menace de dispersion. Mais, comme l'a montré Jonathan Crary, dans Suspensions of Perception, la véritable rupture survient avec l'essor du capitalisme industriel, dans les années 1880. D'abord, on travaille à contrôler l'attention du producteur confronté sur la chaîne de montage à des tâches monotones et répétitives. Ensuite apparaissent de nouveaux médias, tels la presse à grand tirage, le cinéma, puis la radio, la télévision, capables de capter l'attention des masses à distance. Et à travers eux, on cherche à contrôler l'attention des consommateurs afin d'écouler la surproduction de marchandises. C'est donc une circularité du contrôle de l'attention qui, dès le début, se met place et qui ne fait que s'accroître avec les innovations successives. Le capitalisme est donc l'histoire d'une crise permanente de l'attention. » Sur le cas d'Internet, de bien moins bon niveau intellectuel, mais intéressant sur les faits rapportés : Bruno Patino, La Civilisation du poisson rouge (2019) : il présente la manière dont les GAFAM travaillent à réduire notre capacité d'attention pour nous faire sans cesse cliquer d'une page à une autre.
    - le vivant : on parle bien ici de breveter, et donc de s'approprier, des éléments présents à l'état « naturel », pas fabriqués en laboratoire ou transformés par l'homme. Le marché est ouvert aux États-Unis le Bayh-Dole Act (1980). Le Canada, puis d'autres, embraient rapidement.
    - les territoires : le marketing prend son essor dans les années 1970. En 1977, par exemple, la ville de New York se dote de son logo mondialement connu, « I (L) New York », dessiné par Milton Glaser. Les affiches qui vendent des territoires pour un week-end ou pour des vacances sont devenues banales. Avez-vous remarqué que les habitants en sont presque systématiquement absents ? Non seulement les territoires sont assimilés à des marchandises consommables, mais, de plus en plus, ils sont mis en concurrence, pour attirer touristes, investisseurs... (Renaud Duterne, Petit manuel pour une géographie de combat, 2020).

  • Red Tsar le 11/04/2022 à 17h21
    ** 2/5. Extension géographique
    L'idée communément admise est que le capitalisme devient global à partir de 1991, avec l'effondrement du bloc soviétique (qu'il ne s'agit évidemment pas de revaloriser ici ni ailleurs ; et par ailleurs, il y a débat sur sa « part » capitaliste). Les rares pays à lui échapper sont réduits à l'état de miettes. Mais, en fait, le processus d'expansion géographique commence dès les années 1970.

    * Beaucoup de pays après 1945 et les décolonisations fondent un développement où le marché est largement régulé. Il y a la volonté d'une troisième voie économique, exprimée par exemple lors des conférences des non-alignés (Bandung 1955, Belgrade 1961...). Ces pays obtiennent notamment la création du Conseil économique et social de l'ONU, officialisée en 1972, lors d'une conférence de la CNUCED, elle-même créée en 1964 pour aider les pays en développement, notamment par une régulation du marché des matières premières et par des aides publiques.

    * À partir des années 1970, l'expansion du capitalisme reprend son cours et l'idée d'une « troisième voie » disparaît.
    - En Inde, les premières mesures d'assouplissement d'un pays fortement socialisé apparaissent en 1980. Elles sont approfondies sous Rajiv Gandhi (1984-1989) et vont préparer la grande réforme libérale de 1991, réforme tant de l'économie que de l'aménagement du territoire (mais réforme assez creuse en réalité, en raison des résistances).
    - En Chine, les quatre premières Zones Économiques Spéciales sont créées en 1979, dont celle de Shenzhen. On en compte 14 en 1984. La Chine intègre le FMI et la Banque Mondiale en 1980, puis l'OMC en 2001.
    - La même année, le G7 invite la Banque Mondiale et le FMI à mettre en œuvre des Plans d'Ajustement Structurel (PAS) : il s'agit de conditionner les aides à des réformes libérales. Les premiers pays à les subir sont le Chili et la Côte d'Ivoire. Au milieu des années 1990, 41 pays d'Afrique, 20 en Amérique latine, 14 en Asie et 11 en Europe sont concernés par des PAS. Ces PAS symbolisent le passage du « consensus keynésien » au « consensus de Washington ».
    - La privatisation s'observe également à des échelles plus fines. C'est dans les années 1970 que commence aux États-Unis la privatisation des espaces publics, sous diverses formes (clôtures, règlements d'usage privés et non plus de droit commun, sécurité assurée par des sociétés privées, gated communities...).

    * Mais l'expansion ne se réalise pas que sur « terre ».
    - La mer en surface devient plus largement appropriée par les logiques marchandes, avec la formalisation des Zones Économiques Exclusives (convention dite de Montego Bay, 1982), qui s'étendent jusqu'à une distance théorique de 200 milles marins des côtés (370 km).
    - Les fonds marins peuvent, eux, êtres appropriés jusqu'à 350 milles des côtes pour leur exploitation commerciale. En 2015, on comptait 77 demandes d'extension et 47 informations préliminaires indicatives déposées auprès de la Commission de l'ONU des limites du plateau continental. La France a été très active dans ce domaine avec son programme Extraplac.
    - Depuis le Space Act de 2015, l'espace qui, jusque là, était le domaine des États a été ouvert à la marchandisation.

    Je me permets là une petite digression. Supposons que sans être anti-capitaliste, on souhaite juste vivre tranquillement hors du capitalisme. Où peut-on aller concrètement s'installer aujourd'hui ? Et même si on se prend à rêvasser ? Regarder le ciel de nuit, ce pourrait bientôt être regarder les satellites de Starlink ou de Kuiper et non plus les constellations dont les noms nous intriguaient enfants. Penser aller sur la Lune, ce ne sera plus pour y croiser Cyrano, Tintin ou Armstrong et Aldrin, mais Bezos ou Musk (et les débris de ses fusées : lien). Quant à Nemo et son Nautilus, ils sont dégagés des abysses par Total.

    * Pour finir sur cette extension géographique du capitalisme, je livre une petite fable. Bien sûr, ça peut paraître anecdotique. Mais le cas fait réfléchir. Il s'agit du destin de l'île de Nauru. Certains y voient un condensé ou un accéléré de l'histoire du capitalisme et de notre futur commun. Vous avez un petit livre sur le sujet : Luc Folliet, Nauru, l'île dévastée. Comment la civilisation capitaliste a détruit le pays le plus riche du monde (2010) : lien
    Et cette vidéo de Brut : lien

  • Le génie se meurt ? Ah mais l'mage rit le 11/04/2022 à 17h50
    Ce weekend, j'ai enfin terminé le livre dont je vous parlais à la rentrée, après plusieurs longues pauses de lecture (travail oblige).
    Il s'agit de "Aux origines des sciences humaines. Linguistique, philosophie, logique, psychologie. 1840-1940 » (Battle in The Mind Fields), de John Goldsmith et Bernard Laks".
    C'est un sacré pavé mais certaines parties sont passionnantes. En réalité, les parties concernant la linguistique et la psychologie m'ont particulièrement intéressées bien entendu.
    Par contre, les parties portant sur la philosophie notamment celle de 1900 à 1940 m'ont paru beaucoup plus difficile à digérer.
    C'est pourquoi je ne conseillerai ce livre qu'à des personnes ayant déjà des notions dans les différents domaines abordés. Si vous êtes de ceux là, vous ne regretterez pas votre temps de lecture.
    A priori, un tome 2, concernant la période qui suit la seconde guerre mondiale est en cours de préparation. Je l'attends avec impatience.

  • Gilles et jeune le 12/04/2022 à 03h55
    Merci pour le partage, qui se lit très bien.
    Par ailleurs ta catégorisation est intéressante.
    Je suis curieux de voir si tu iras sur les ressorts idéologiques de cette mutation, sur ses effets anthropologiques de transformation du rapport au monde et à la vie, sur ses liens avec la science et l'innovation.
    A ce propos, parmi les intellectuels qui captent cette transformation, tu peux y rajouter Lacan, et plus récemment Bauman, Bourdieu, puis Boltansky, Pierre Dardot et Christian Laval, Lordon.
    Au plaisir de poursuivre la lecture.