Qui a l’orgueil mal placé ?
Les polémiques récentes concernant Neymar, Cristiano Ronaldo et Areola ont posé cette question: un joueur est-il dans son bon droit en célébrant un souvenir qui blesse ses nouveaux supporters?
Neymar a décrit son meilleur souvenir cet été, et il s’agissait de la "remontada" au Camp Nou et la fête dans le vestiaire. Cristiano Ronaldo est interrogé sur son plus beau but: la bicyclette face à la Juve. Alphonse Areola pose tout sourire avec ses anciens partenaires du PSG, mais son nouveau club, le Real Madrid, vient d’être sèchement battu au Parc. Deux positions émergent et s’affrontent.
Dans le coin rouge: les joueurs ont manqué de respect aux supporters, ce sur quoi ne manquent pas d’insister, d’ailleurs, les supporters adverses, riant du fait que Neymar "pisse" (une insulte passe toujours par le même endroit) sur son nouveau club.
Dans le coin bleu: les joueurs ont quand même bien le droit d’avoir un passé, des souvenirs préférés, des faits d’armes, de garder des amis – on ne va pas non plus s’interdire de dire ce qu’on pense. Le débat est d’autant plus intéressant que les déclarations ou actes concernés ont une incontestable valeur de vérité.
L’émotion après le sixième but contre le PSG, au terme du temps additionnel, a dû être sensationnelle, et il est peu probable que le retour aux vestiaires ait consisté en un profil bas remerciant un coup de main de l’arbitre. Le but de Ronaldo? Un incontestable chef-d’œuvre du genre. La photo montrant Areola avec Mbappé et Choupo-Moting? Un selfie de ce dernier, même pas du nouveau Madrilène, simplement “coupable” d’avoir joué le jeu avec sincérité, et souri.
Remarque significative
Areola a publié ses excuses en espagnol sur son compte Twitter. Il parle d’abord de sa tristesse d’avoir lu certaines réactions, de celle d’avoir perdu évidemment, et de son cœur désormais merengue. Et la deuxième partie du long message est plus intéressante. “Après la rencontre, j'ai croisé la route de coéquipiers que je n'avais pas pu saluer avant mon départ. Mais je veux à nouveau présenter mes excuses à ceux qui se sont senti offensés. Ce n'était pas ce que je voulais et je souhaite que nous connaissions ensemble les plus grands succès possible. Hala Madrid!!”
Le gardien de but a explicitement tenu à légitimer la photo d’une façon très intéressante, pour ne pas dire idéale. Il s’agissait là de coéquipiers qu’il n’avait pas pu saluer avant son départ. Je pense que ce n’est pas vrai, mais surtout que ce n’est pas grave. L’essentiel est qu’il a eu le souci de signaler qu’il ne pouvait pas ne pas se laisser prendre sur cette photo.
Qui pourra lui reprocher d’avoir voulu dire au revoir? Il y a comme une valeur absolue, une éthique qui transcende la tragédie du jour (3-0), une politesse inattaquable, bien compréhensible, et accompagnée d’excuses.
On pourra trouver cela “rhétorique”, relevant de la “communication”, ça reste d’importance. L’absence totale d’un tel souci est très exactement ce qu’on doit reprocher à Neymar et Cristiano. La question n’est pas la “vérité” du souvenir. Le problème, c’est la forme, et il n’y a pas de fond du sujet sans sa mise en forme.
Supporters marqués
Les supporters ne s’offusquent pas parce ce qu’ils sont intolérants ou incapables de comprendre qu’il y a une vie pour les joueurs avant ou après leur club. Les supporters sont simplement marqués par ce qui leur arrive. Et, à l’ère où les footballeurs sont soupçonnés d’être volontiers mercenaires, et où les supporters incarnent seuls la fidélité à leurs couleurs, ceux-ci ont sans doute le droit d’exprimer que le maillot est aussi une histoire à endosser quand on le porte.
Évoquant le même souvenir, une autre forme de discours aurait pu montrer de la complicité avec les nouveaux supporters. On peut à la fois évoquer l’offense – on ne choisit pas son meilleur moment, et respecter le supporter n’est pas lui mentir –, et en même temps considérer l’offensé. Il y a plein de façons de faire.
On peut être un peu désolé, on peut faire de l’humour, on peut être dans l’allusion, on peut même chambrer pour signaler aussi qu’on a beau avoir le souvenir qu’on a, on sait dans quel camp on est désormais. On peut conclure en disant qu’on espère mettre un plus beau but encore, bientôt, avec la Juve.
Ce serait surtout de la com? Peut-être pas. Peut-être. C’est public, c’est de la com quoi qu’on dise, de toute façon, alors autant communiquer aussi sa considération. En tout cas, si l’on n’est pas tellement tourné vers soi qu’on en devient indifférent à l’effet sur ses nouveaux supporters, fiers par définition.