Ne perdez pas de temps à lire ce texte, connectez-vous vite pour commenter les articles des CDF. Attention à ne pas confondre vos minuscules et vos majuscules.
Vous avez oublié votre mot de passe ?
Inscription
Vous avez oublié votre mot de passe ? Il reste un espoir ! Saisissez votre adresse e-mail ; nous vous enverrons un nouveau mot de passe. Cette procédure est quasiment gratuite : elle ne vous coûtera qu'un clic humiliant.
Nous vous avons envoyé un email sur votre adresse, merci d'y jeter un oeil !

CONDITIONS D'INSCRIPTION :

1. Vous devez nous adresser, via le formulaire ci-dessous, un texte (format .txt inférieur à 100 ko) en rapport avec le football, dont la forme est libre : explication de votre passion, anecdote, aventure, souvenir, essai, commentaire composé, portrait, autobiographie, apologie, réquisitoire, etc. Vous serez ensuite informés de la validation de votre inscription par mail. Les meilleurs textes seront mis en ligne sur le Forum.

2. Nous ne disposons pas d'assez de temps pour justifier les retards d'inscription ou les non-inscriptions, et ne pouvons pas nous engager à suivre une éventuelle correspondance à ce sujet. Merci de votre compréhension.

Nous avons bien reçu votre candidature, on y jette un oeil dès que possible. Merci !

Partager :

Quand on n'appelait pas Charlie par son prénom

Si nous avons toujours veillé à voir constamment ce que le football avait de politique, nos excursions hors des terrains ont été rares, et datées: 11 septembre, 21 avril et désormais 7 janvier.

Auteur : Jérôme Latta le 8 Jan 2015

 

 

Alors que nous préparions le lancement du mensuel des Cahiers du football, mon camarade Rémi Belot et moi avions été accueillis à la rédaction de Charlie Hebdo pour assister à une conférence de rédaction. Sous les regards narquois de quelques-uns, contempteurs déclarés du football. Je me souviens avoir observé Cavanna, silencieux dans son coin, avec des pensées confuses que l'on peut résumer par "Putain, Cavanna!" Cavanna, dont Les Ritals et Les Russkoffs sont des livres si essentiels pour comprendre notre pays, pour l'imaginer autre qu'il est devenu. Cavanna qui n'aura pas vu ça.

 

On nous a souvent dit, par facilité ou flatterie, que nous étions le Canard Enchaîné du football, à quoi nous avons toujours répondu qu'au départ, c'était Charlie notre référence. Pour le format d'un tabloïd et surtout pour cette vocation à la fois "satirique et critique", si difficile à faire comprendre tant il est facile de réduire ceux qui veulent à la fois rire et réfléchir à de sympathiques déconneurs (ou à de vils provocateurs, s'agissant d'eux). Voilà pour l'épanchement autobiographique, que je vous prie de me passer: on se raccroche à ce qu'on peut, et le chagrin rend parfois égocentrique.

 

Je n'ai aucune légitimité particulière pour monter à mon tour dans le manège des commentaires, mais je me sens un devoir – de reconnaissance et de mémoire envers ceux qui sont morts – de le faire. Pour une fois et par souci de n'engager que moi, à la première personne. Ceux qui estiment qu'un site consacré au football n'est pas le lieu pour cela peuvent arrêter ici leur lecture.

 

Il est un peu tard pour rappeler qu'en démocratie, particulièrement dans la nôtre, il est permis de critiquer et de caricaturer les religions. Peu importe leur nom, mais je n'oublierai pas le nombre de ceux qui ont contribué – fût-ce dans une bien moindre mesure que celle de la folie des assassins – à faire de Charlie Hebdo une cible en stigmatisant ses journalistes et ses dessinateurs comme racistes parce qu'ils critiquaient et moquaient une religion (comme les autres religions, oublia-t-on). Ceux qui semblent aujourd'hui amnésiques et s'associent à la défense d'une liberté d'expression dont ils comprennent – peut-être – qu'elle n'est pas négociable, qu'elle ne peut limiter le droit à la satire, au blasphème, à penser que les religions sont des idéologies profondément essentialistes et aliénantes.

 

On mesure maintenant le courage qu'il fallait aux membres de Charlie pour rester debout, et même pour mourir debout selon le mot tragiquement prémonitoire de Charb. Et seuls. Car l'ampleur du soutien manifesté depuis hier contraste horriblement avec l'isolement dans lequel avait été précédemment laissé le journal, même après l'incendie dont avaient été victimes ses locaux en 2011. Ils l'avaient, sinon mérité, du moins un peu cherché, disait-on en substance. Je me souviens comment les réseaux sociaux avaient bruissé d'indignation lorsque Charlie avait remis le couvert sur l'islam. Fallait-il un massacre pour qu'aujourd'hui, les mêmes qui contestaient à Charlie cette liberté d'expression-là en découvrent le caractère inaliénable?

 

Certaines bonnes âmes, récemment, appelaient une communauté tout entière victime de stigmatisations et d'amalgames massifs à ne pas se désolidariser des fous furieux qui se réclament de ce qui la constitue. C'est-à-dire à ne pas réagir à ces stigmatisations et ces amalgames, quitte à passivement les laisser prospérer. L'enfer des musulmans est pavé de bonnes intentions : celles de ceux qui parlent à leur place et n'en finissent pas de les infantiliser et de les victimiser, en considérant qu'ils ne peuvent parler – aussi diversement qu'ils sont divers – de ce qui les concerne, qu'ils ne sont pas capables de décider eux-mêmes s'ils doivent se désolidariser ou non. Je ne sais pas s'ils le doivent, mais il ne me semble pas aberrant qu'ils disent "Pas en mon nom", et – en toute conscience des stigmatisations dont ils sont victimes – je n'ai pas à leur accorder ce droit: ils l'ont.

 

J'ai vu certaines de ces bonnes âmes utiliser encore le terme d'islamophobie pour l'affecter de nouveau à Charlie Hebdo après la tuerie. Ces coups de feu n'ont pas allumé chez eux l'étincelle de lucidité qui leur aurait fait comprendre à quel point l'usage de ce concept, jamais défini, l'a profondément corrompu et mis au service de lamentables amalgames, faisant le lit de l'extrême droite comme celui des intégristes, alliés objectifs. Devenu synonyme de racisme, comme si la notion de racisme ne suffisait pas, il a permis de rejeter dans l'opprobre quiconque s'autorisait à critiquer l'islam en tant que religion, aussi éloignée soit cette critique de ceux qui ont instrumentalisé la laïcité au profit de leur racisme, de leur xénophobie ou de leur pensée réactionnaire. On ne combat pas les amalgames par d'autres amalgames, on ne vainc pas une idéologie perverse avec des arguments malhonnêtes.

 

Après avoir été sermonnés, discrédités, marginalisés parce qu'ils provoquaient, parce que ce n'était pas le moment, parce qu'il y avait des choses dont on ne pouvait plus rire, parce qu'il ne fallait pas blesser les musulmans (comme si, une nouvelle fois infantilisés, ces derniers n'étaient pas capables de comprendre la tradition anticléricale de ce pays ni, surtout, de concevoir une liberté d'expression s'étendant à la satire des religions ; comme si, aussi, on avait renoncé à les convaincre de l'absolue nécessité de cette liberté), les membres de Charlie Hebdo ont été assassinés par les criminels imbéciles qu'ils combattaient. Des criminels persuadés que Charlie avait outragé leur dieu et que cet outrage était intolérable.

 

Bien entendu, la discussion ne doit pas s'arrêter là et, plus que jamais, il ne faut pas se tromper d'ennemi en tombant dans le travers dénoncé. Mais on éluderait à trop bon compte cette partie du problème et cette part de la responsabilité du drame d'hier. Il s'agit bien, maintenant, de mettre à jour tout ce qui a rendu impossible l'exercice d'un débat démocratique sain, tout ce qui a permis aux Zemmour, Finkielkraut, Soral, Dieudonné et autres Le Pen de prospérer avec le commerce de la haine et l'obsession de l'identité. Il y a du travail. Les moments d'émotion collective ne peuvent constituer des sursauts salutaires que s'ils sont suivis par des progrès de la raison, de la justice et de la vérité. Nous autres idiots amateurs de football le savons, pour avoir connu un vain 12 juillet, aussi lumineux que ce 7 janvier fut sombre.
 

Réactions

  • timath le 08/01/2015 à 15h45
    Hmm... c'est pas genre exactement ce que je viens de dire ? (mais je suis content qu'on soit d'accord mon Pascalou !)
    Quand j'écris "je ne vois pas en quoi cette opinion serait infantilisante" je parle bien de mon opinion exprimée par "c'est insupportable", hein. Mais en relisant Jérôme il attribue plutôt ce qualificatif aux "bonnes âmes qui appelaient à ne pas se désolidariser" (je ne sais pas qui a dit ça, mais bon), ce qui est effectivement aussi infantilisant que l'inverse (même si moins humiliant). Sur le fond on est en fait d'accord : personne n'a à leur dire ce qu'ils devraient faire ou ne pas faire.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 16h14
    Puisqu'on est sur un site de foot, je fais un parallèle entre cette condescendance à l'égard des musulmans, et celle exercée à l'égard des arbitres - cf. le papier récent "C'est très très bien arbitré", ou plus exactement son thème. Nos "discours de maîtres" visant à imposer la bonne parole, une morale bonne et consensuelle, sont contraires à la liberté, à la responsabilité de chacun.

    C'est le discours d'un maître face à un élève (davantage qu'un esclave), d'un être raisonnable face à un individu ignorant, non conforme.
    Aujourd'hui, moi je dis "Je ne suis pas Charlie" (j'ai développé ce point ailleurs, certes brièvement). Ne me mets-je pas dès lors en dehors de cette union quasi sacrée ? Ne me mets-je pas en dehors de ce sacré, tout simplement, qui a fait résonner jusqu'aux cloches de Notre Dame ?

    Aujourd'hui sur le "fil politique", tout ou presque est question de savoir : qu'ai-je le droit d'éprouver ? C'est fou quand même. Un acte cruel comme celui que nous venons de vivre devrait autoriser des réactions déraisonnables. Déraisonnables à chaud, à distinguer du froid politique, qui jouit des cadavres comme autant de pavés pour leurs thèses racistes.

    Le texte de Jérôme cherche sans doute exagérément à apaiser les choses. Mais pourquoi ne le pourrait-il pas ? Telle est sa réaction à ce cataclysme dément que nous avons vécu.

    Je crois que la première chose à faire serait, peut-être, de tolérer nos déraisons dans un moment pareil, nos égarements, nos entêtements défensifs pour nier, dénier, ou au contraire se prendre en pleine face ce qu'il vient de se passer.
    Plus tard viendra le temps de la réflexion, de la fuite, du combat ou de l'indifférence plus ou moins polie.

    Me semble-t-il.

  • OldSchool le 08/01/2015 à 16h19
    Juste un petit merci pour cet édito. Ca fait plaisir, vraiment. D'autant plus que si Charlie a pu être désigné par certains d'islamophobe, je crois que les CDFs par leurs valeurs peuvent aussi prêter à confusion parfois... Mais on choisit pas son public. Cet article a vraiment toute sa place ici.

    Sinon, autant évidemment les musulmans ont le droit de se désolidariser, autant il ne faut pas l'exiger ou vouloir en faire un devoir je crois.

  • irreversible le 08/01/2015 à 16h24
    Que chaque musulman, en tant qu'individu, n'ait pas obligation morale à se désolidariser d'actes terroristes, je suis plus que d'accord. Mais il en va autrement des représentants religieux. On tue tout de même au nom de leur religion, de leur Dieu.

  • OldSchool le 08/01/2015 à 16h30
    irreversible
    aujourd'hui à 16h24
    "Mais il en va autrement des représentants religieux. On tue tout de même au nom de leur religion, de leur Dieu."

    Je ne suis pas d'accord, mais qu'importe. Je trouve que l'idée même d'exiger de représentants (de qui, ce sont juste des politiciens non?) de se désolidariser au nom d'une communauté religieuse étrange. Surement parceque je conçois la religion comme une démarche personelle, ça a donc forcément presqu'aucun sens à mes yeux. Pleins de musulmans ne se sentiront pas concernés par ces déclarations. Comme ils ne se sentent pas concernés par ces attentats.
    Mais bon, qu'ils déclarent ce qu'on attende d'eux, histoire de pas être coupable.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 16h30
    Qui dit représentant, dit représentation. C'est un devoir politique, et en tant que tels, ils doivent exprimer la position de la "communauté" dont ils sont à la tête. De fait, personne ne leur impose de s'exprimer, c'est simplement la nature de leur fonction. Donc oui, sur ce point, je partage ton opinion.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 16h31
    OldSchool, il est possible que certains aient exigé leur intervention. Mais ils l'auraient fait, quoi qu'il en soit, car c'est de la nature de leur fonction politique. Il me paraît utile de distinguer entre représentants et simples croyants.

  • OldSchool le 08/01/2015 à 16h34
    Pascal Amateur
    aujourd'hui à 16h30

    Qui dit représentant, dit représentation. C'est un devoir politique
    ----------

    Ca me va, devoir politique. Ca me parait du coup bien moins important que la façon dont c'était introduit.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 16h36
    Eh, j'ai rien introduit, moi.
    En tout cas, pas aujourd'hui.

  • Josip R.O.G. le 08/01/2015 à 16h37
    Je comprends pas bien ce que vient faire, surtout aujourd'hui, le pamphlet de Cyran en commentaire à ce subtil article de Jérôme auquel je souscrit en tous points.
    Quant à la comparaison Cabu/Dieudonné, une certaine nausée m'envahit.

La revue des Cahiers du football