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Quand on n'appelait pas Charlie par son prénom

Si nous avons toujours veillé à voir constamment ce que le football avait de politique, nos excursions hors des terrains ont été rares, et datées: 11 septembre, 21 avril et désormais 7 janvier.

Auteur : Jérôme Latta le 8 Jan 2015

 

 

Alors que nous préparions le lancement du mensuel des Cahiers du football, mon camarade Rémi Belot et moi avions été accueillis à la rédaction de Charlie Hebdo pour assister à une conférence de rédaction. Sous les regards narquois de quelques-uns, contempteurs déclarés du football. Je me souviens avoir observé Cavanna, silencieux dans son coin, avec des pensées confuses que l'on peut résumer par "Putain, Cavanna!" Cavanna, dont Les Ritals et Les Russkoffs sont des livres si essentiels pour comprendre notre pays, pour l'imaginer autre qu'il est devenu. Cavanna qui n'aura pas vu ça.

 

On nous a souvent dit, par facilité ou flatterie, que nous étions le Canard Enchaîné du football, à quoi nous avons toujours répondu qu'au départ, c'était Charlie notre référence. Pour le format d'un tabloïd et surtout pour cette vocation à la fois "satirique et critique", si difficile à faire comprendre tant il est facile de réduire ceux qui veulent à la fois rire et réfléchir à de sympathiques déconneurs (ou à de vils provocateurs, s'agissant d'eux). Voilà pour l'épanchement autobiographique, que je vous prie de me passer: on se raccroche à ce qu'on peut, et le chagrin rend parfois égocentrique.

 

Je n'ai aucune légitimité particulière pour monter à mon tour dans le manège des commentaires, mais je me sens un devoir – de reconnaissance et de mémoire envers ceux qui sont morts – de le faire. Pour une fois et par souci de n'engager que moi, à la première personne. Ceux qui estiment qu'un site consacré au football n'est pas le lieu pour cela peuvent arrêter ici leur lecture.

 

Il est un peu tard pour rappeler qu'en démocratie, particulièrement dans la nôtre, il est permis de critiquer et de caricaturer les religions. Peu importe leur nom, mais je n'oublierai pas le nombre de ceux qui ont contribué – fût-ce dans une bien moindre mesure que celle de la folie des assassins – à faire de Charlie Hebdo une cible en stigmatisant ses journalistes et ses dessinateurs comme racistes parce qu'ils critiquaient et moquaient une religion (comme les autres religions, oublia-t-on). Ceux qui semblent aujourd'hui amnésiques et s'associent à la défense d'une liberté d'expression dont ils comprennent – peut-être – qu'elle n'est pas négociable, qu'elle ne peut limiter le droit à la satire, au blasphème, à penser que les religions sont des idéologies profondément essentialistes et aliénantes.

 

On mesure maintenant le courage qu'il fallait aux membres de Charlie pour rester debout, et même pour mourir debout selon le mot tragiquement prémonitoire de Charb. Et seuls. Car l'ampleur du soutien manifesté depuis hier contraste horriblement avec l'isolement dans lequel avait été précédemment laissé le journal, même après l'incendie dont avaient été victimes ses locaux en 2011. Ils l'avaient, sinon mérité, du moins un peu cherché, disait-on en substance. Je me souviens comment les réseaux sociaux avaient bruissé d'indignation lorsque Charlie avait remis le couvert sur l'islam. Fallait-il un massacre pour qu'aujourd'hui, les mêmes qui contestaient à Charlie cette liberté d'expression-là en découvrent le caractère inaliénable?

 

Certaines bonnes âmes, récemment, appelaient une communauté tout entière victime de stigmatisations et d'amalgames massifs à ne pas se désolidariser des fous furieux qui se réclament de ce qui la constitue. C'est-à-dire à ne pas réagir à ces stigmatisations et ces amalgames, quitte à passivement les laisser prospérer. L'enfer des musulmans est pavé de bonnes intentions : celles de ceux qui parlent à leur place et n'en finissent pas de les infantiliser et de les victimiser, en considérant qu'ils ne peuvent parler – aussi diversement qu'ils sont divers – de ce qui les concerne, qu'ils ne sont pas capables de décider eux-mêmes s'ils doivent se désolidariser ou non. Je ne sais pas s'ils le doivent, mais il ne me semble pas aberrant qu'ils disent "Pas en mon nom", et – en toute conscience des stigmatisations dont ils sont victimes – je n'ai pas à leur accorder ce droit: ils l'ont.

 

J'ai vu certaines de ces bonnes âmes utiliser encore le terme d'islamophobie pour l'affecter de nouveau à Charlie Hebdo après la tuerie. Ces coups de feu n'ont pas allumé chez eux l'étincelle de lucidité qui leur aurait fait comprendre à quel point l'usage de ce concept, jamais défini, l'a profondément corrompu et mis au service de lamentables amalgames, faisant le lit de l'extrême droite comme celui des intégristes, alliés objectifs. Devenu synonyme de racisme, comme si la notion de racisme ne suffisait pas, il a permis de rejeter dans l'opprobre quiconque s'autorisait à critiquer l'islam en tant que religion, aussi éloignée soit cette critique de ceux qui ont instrumentalisé la laïcité au profit de leur racisme, de leur xénophobie ou de leur pensée réactionnaire. On ne combat pas les amalgames par d'autres amalgames, on ne vainc pas une idéologie perverse avec des arguments malhonnêtes.

 

Après avoir été sermonnés, discrédités, marginalisés parce qu'ils provoquaient, parce que ce n'était pas le moment, parce qu'il y avait des choses dont on ne pouvait plus rire, parce qu'il ne fallait pas blesser les musulmans (comme si, une nouvelle fois infantilisés, ces derniers n'étaient pas capables de comprendre la tradition anticléricale de ce pays ni, surtout, de concevoir une liberté d'expression s'étendant à la satire des religions ; comme si, aussi, on avait renoncé à les convaincre de l'absolue nécessité de cette liberté), les membres de Charlie Hebdo ont été assassinés par les criminels imbéciles qu'ils combattaient. Des criminels persuadés que Charlie avait outragé leur dieu et que cet outrage était intolérable.

 

Bien entendu, la discussion ne doit pas s'arrêter là et, plus que jamais, il ne faut pas se tromper d'ennemi en tombant dans le travers dénoncé. Mais on éluderait à trop bon compte cette partie du problème et cette part de la responsabilité du drame d'hier. Il s'agit bien, maintenant, de mettre à jour tout ce qui a rendu impossible l'exercice d'un débat démocratique sain, tout ce qui a permis aux Zemmour, Finkielkraut, Soral, Dieudonné et autres Le Pen de prospérer avec le commerce de la haine et l'obsession de l'identité. Il y a du travail. Les moments d'émotion collective ne peuvent constituer des sursauts salutaires que s'ils sont suivis par des progrès de la raison, de la justice et de la vérité. Nous autres idiots amateurs de football le savons, pour avoir connu un vain 12 juillet, aussi lumineux que ce 7 janvier fut sombre.
 

Réactions

  • liquido le 08/01/2015 à 13h35
    Julow m'a devancé.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 13h36
    Un journal "masculin" ? D'autres partagent cette analyse ?

  • Matu-Verratti-Vieira-Touré-Clément-Cearà le 08/01/2015 à 13h36
    OLpeth
    aujourd'hui à 12h10

    Malgré tout, je trouve que Charlie Hebdo suivait une sale pente depuis les années Val/Fourest, bien loin du Charlie des grandes années.
    Cet article résume bien ce que j'en pense : lien.

    -----

    Merci pour l'article. Même si je n'ai jamais été un lecteur de CH, cela correspond à mon image "de loin" du journal. En revanche, si cet article "résume" ce que t'en penses, tu devrais sortir un bouquin.

  • OLpeth le 08/01/2015 à 14h52
    Reflète plutôt que résume (lapsus tout ça).

  • poiuyt le 08/01/2015 à 15h03
    Tout pareil que Julow et Liquido...

  • El Matheux d'Or le 08/01/2015 à 15h21
    Je vais me faire lyncher mais c'est plus fort que moi: à propos de Dieudonné, ses sketches ressemblent plus aux caricatures que Cabu qu'aux discours de Soral et de Le Pen (imha, bien sûr). Je suis d'accord avec les quelques critiques faites sur l'article, même si je l'ai trouvé intelligent et clairvoyant dans son ensemble (ce qui est la moindre des choses ici, nous sommes d'accord).

  • timath le 08/01/2015 à 15h22
    Bon.

    Depuis ce matin je cherche les mots pour exprimer mes réserves sur certains points de ton texte, tout en n'étant pas certain que ce soit le moment ni l'endroit. Julow, liquido, OLpeth et d'autres ont mis à juste titre les pieds dedans, et nous ne sommes pas les seuls à ressentir ces sentiments mêlés, et ce pas qu'en lien avec ta tribune.

    Peut-être y a-t-il de la place pour une voix qui pourrait aussi bien dire que la liberté d'expression, le droit à la satire et au blasphème sont des fondements inaliénables de notre démocratie, que les menaces dont sont victimes leurs auteurs sont inacceptables et leur lâche exécution une tragédie qui nous concerne tous, et en même temps rappeler qu'on pouvait critiquer le traitement obsessionnel réservé ces dernières années à l'Islam dans Charlie Hebdo. Dire combien on a aimé ces gens et ce journal, qu'on ne les a pas suivi partout tout en conservant une tendresse inaltérée pour ces vieux anars ; rappeler que ce n'est pas tout-à-fait la même chose d'être bête et méchant avec les puissants, les institutions politiques et religieuses dominantes, le manche de quel côté qu'il soit, et avec une religion au coeur des crispations les plus vives de notre société, quoiqu'on pense par ailleurs du fait de croire à ces sornettes. Qu'on pouvait les critiquer en discutant, en argumentant, en s'écharpant parfois mais sans volonté aucune de réduire au silence ceux dont la parole ne nous convient pas, contrairement aux salauds d'hier. Puis pleurer ensemble, pleurer sur ce qui dans un même geste fou bouleverse notre intimité la plus profonde en nous volant des figures joyeusement familières (merde, Wolinski, merde, Cabu !), et attaque symboliquement les valeurs collectives chères à tous les démocrates.
    Je ne vois pas en quoi le massacre d'hier donne a posteriori raison à Charlie. Et je ne vois pas en quoi cela nous empêcherait d'être tout autant anéantis que leurs plus fidèles lecteurs.

    Quant au passage sur les musulmans que des "bonnes âmes" voudraient dissuader de se désolidariser, je rejoins totalement la réaction de Julow. Il existe un réflexe, parfois plein de bonnes intentions, qui consiste à se tourner vers nos compatriotes supposés musulmans à chaque exaction commise au nom d'Allah pour les encourager à montrer qu'ils n'en sont pas - réflexe que chacun a pu constater aussi bien dans certains médias que sur les réseaux sociaux et dans la vie de tous les jours, y compris sur des sujets aussi absurdement lointains que Daesh. Qu'on se le dise : c'est insupportable. Et là encore je ne vois pas en quoi cette opinion serait infantilisante, puisque c'est justement considérer que chaque musulman est assez grand pour réagir comme il l'entend, que ce soit en se sentant le devoir d'exprimer son écoeurement au nom de sa religion trahie (ce qui est tout-à-fait louable), en manifestant en tant que simple citoyen choqué par ces atrocités, en restant chez lui sans se sentir concerné, sans y être plus obligé que n'importe quel Français.

    Merci cependant pour cette tribune, qui vient du coeur. Et qui fait honneur à ton (notre) site de footeux. On peut ne pas être d'accord, mais ces discussions sont saines et constituent le socle de ce que ces terroristes veulent détruire. Ne leur donnons donc pas raison.

  • cocobeloeil le 08/01/2015 à 15h22
    Idem. J'ai lu l'article (très long) hier donné sur le fil politique, me semble t-il. Excellent article, selon moi.
    Depuis bien longtemps et notamment depuis l'éviction de Siné par Val, ce journal était devenu "beurk" pour rester poli. Sans parler de ce qu'est devenu Val à la direction de France Inter (mais c'est une autre histoire)..
    A signaler que seul Tignous à l'époque avait apporté son soutien au limogeage du vieux Siné.
    Et comme je le disais hier, pour ceux qui ne connaissent pas, jetez donc un oeil sur Siné Mensuel (en grosse difficultés financières), mensuel autrement plus corrosif que le piètre Charlie. Avec notamment des dessinateurs qui participaient à l'époque aux Cahiers papiers.
    Bien entendu, cela n'enlève rien à l'horreur de la tuerie sanglante d'hier dégueulasse et lâche, mais il faudrait arrêter de parler de Charlie comme certains l'idéalisent dans le présent. C'était OK dans les années 70 et 80, Mais fini depuis bien longtemps....

  • cocobeloeil le 08/01/2015 à 15h24
    Je répondais à Olpeth, julow, liquido et Poiuyt. Solidaire.

  • Pascal Amateur le 08/01/2015 à 15h36
    timath
    aujourd'hui à 15h22

    Il existe un réflexe, parfois plein de bonnes intentions, qui consiste à se tourner vers nos compatriotes supposés musulmans à chaque exaction commise au nom d'Allah pour les encourager à montrer qu'ils n'en sont pas (...) Qu'on se le dise : c'est insupportable. Et là encore je ne vois pas en quoi cette opinion serait infantilisante, puisque c'est justement considérer que chaque musulman est assez grand pour réagir comme il l'entend (...)

    > Ah oui mais non. Que chacun, musulman ou non, soit assez grand pour exprimer, s'il le souhaite, son opinion, c'est une chose. Il y a infantilisation, oui, lorsqu'il y a demande : demande faite à ces mêmes musulmans d'agir en exprimant leur opinion - tout cela pouvant même apparaître comme un ordre à exhiber ces marques de solidarité.
    D'autant plus que cette demande me semble contraire au principe de liberté d'opinion. C'est demander aux musulmans de s'afficher, dans une logique de "coming out" solidaire ; alors qu'en principe la foi peut demeurer secrète (on pourra me dire que toute pratique est plus ou moins ostensible, en effet).
    Il y a aujourd'hui une obligation faite aux musulmans de se distinguer des assassins, objurgation à un "je n'en suis pas" qui est tyrannique. Et par-là même insupportable.

La revue des Cahiers du football