« On ne vous reverra jamais, signor Mazzola »
Les joueurs d\'exception – Au panthéon des héros et des martyrs du Calcio, Valentino Mazzola a une place de choix – pas seulement celle qu\'il occupait dans l\'avion qui s\'écrasa sur la basilique de Superga.
C’est un vieux bouquin trouvé dans le fatras du grand-père, au grenier ou à la cave. 15 exploits sportifs, qu’il s’appelle. Parmi ces pages, un texte de Max Urbini qui, quinze ans plus tard, s’est rappelé à moi durant ce mois "mortel".
Le Duce est à peine froid que le pays est pris par les cornes du Toro. Maillot grenat, âme turinoise – la vraie, pas celle de la Vieille Dame –, le Torino a embroché trois titres consécutifs. Le début de saison 1948-1949 l’emmène en tournée chez Tintin, à Bruxelles. Dans ses bagages, un record exceptionnel: le nombre de buts marqués en championnat: 125 en 1947/1948. Et un magicien: Mazzola, Valentino Mazzola.
Ces stars de l’après-guerre attisent les curiosités belges. À l’hôtel des Colonies, c’est l’émeute. On veut voir, on veut toucher le gardien Bacigalupo, le mec qui a bouffé la pelouse de Colombes, Gabetto le buteur racé, Maroso un défenseur technique et pas manchot des pieds. Et puis Ballarin, Loik, Menti, Bongiorni, Mazzola. Mazzola.
Plus hardi que les autres
"Soyez chic, signor, une signature", demande un gamin. "Avec mon prénom", ajoute un autre. Dans la légende – au moins dans mon histoire –, Valentino signe, signe, signe. Jusqu’à ce qu’un gosse, plus hardi que les autres, avance: "Venez avec nous, signor Mazzola. Venez seulement un quart d’heure. Nous apprendrons un tas de choses". Jouer la veille d’un match avec des gamins, pas possible. Quoique. Et si tous mes équipiers faisaient ainsi? Quoi? Je n’aime pas les jeunes? Moi? Le champion piqué au vif s’annonce absent pour quinze minutes maximum et part avec la bande. Qui n’en revient pas: Mazzola est avec nous, dans le tram en direction du terrain.
Sur la pelouse ou le stabilisé, le rêve est devenu réalité. Une leçon par un champion, un gars qui passe à la radio, qu’on admire dans les journaux. Passes de l’intérieur, de l’extérieur, volées, penaltys. Mais l’heure tourne. Le quart d’heure est devenu une moitié d’après-midi. Il est l’heure de rentrer alors que les garçons proposent un match. "Vous n’y pensez pas? Il est déjà tard. Regardez, dans une demi-heure, il fera nuit. Et on m’attend..."
Tombe la réplique d’on ne sait qui, d’un, de tous: "Une demi-heure de plus ou de moins qu’est-ce que c’est pour vous? On ne vous reverra jamais, signor Mazzola..."
Argument choc, Mazzola forme les équipes, joue alternativement dans l’une et l’autre. Le ballon anesthésie le temps. Le soir vient, la journée remplie, les gosses en ont pris plein la vue, pour toute la vie.
A l’hôtel, c’est l’affolement, Mazzola, si sage, n’est pas rentré d’en ville. À peine arrivé, on lui demande si elle était belle, blonde ou brune et si on aura le plaisir de faire sa connaissance bientôt. "Non, M. le président, j’ai passé l’après-midi à jouer avec des gosses. Non, ce n’était ni bête, ni gratuit. Il jouent sans arrière pensée, ils ramènent à la source, on s’aperçoit que le foot est un jeu".
Le 4 mai 1949, le Toro rentre d’une tournée au Portugal et en Espagne. L’avion s’écrase sur la colline de Superga. Le gosse avait raison. On ne vous reverra jamais, signor Mazzola.
> Lire aussi l'article de Paul Dietschy sur We Are Football, "Le désastre de Superga".