Hillsborough, heure zéro. 2/ Au bout du tunnel
La catastrophe fut terrible, ses suites aussi. Les autorités mentirent sur les causes du drame et en firent porter la responsabilité aux supporters. La vérité est accablante pour elles.
Durant trois décennies, les familles de victimes se sont battues avec un courage et une dignité exemplaires pour obtenir justice, n'abandonnant jamais, jusqu'à ce que l'accablante culpabilité de la police soit pleinement établie. Retour sur les circonstances qui ont précipité le massacre.
Extrait du numéro 4 de la revue des Cahiers du football, juin 2020. Captures d'écran extraite du documentaire Hillsborough : Anatomy of a disaster (The Guardian, 2016)
RÉCIT : Hillsborough, heure zéro. 1/ Au bord de la catastrophe
ENQUÊTE : Hillsborough, heure zéro. 2/ Au bout du tunnel

La journée a bien commencé. Il n'y a aucun contentieux entre les clubs, aucun arrière-plan de bagarres ou de comptes à régler entre supporters. La seule rivalité est sportive et sera réglée sur le terrain.
À leur arrivée à Sheffield, les supporters des deux équipes sont dirigés par la police vers les parties du stade pour lesquelles ils disposent de billets.
Ceux de Liverpool doivent accéder au stade par Leppings Lane, une rue qui passe derrière la tribune ouest, le West Stand, située derrière l'un des buts. Elle comporte un niveau bas, Leppings Lane Terrace, où les spectateurs sont debout, et un niveau haut, Leppings Lane ou West Stand, où ils sont assis.
Une place en terrace coûte six livres, c'est-à-dire pas grand-chose. Les deux niveaux du West Stand ont une capacité totale officielle de 10 100 spectateurs. Les autres supporters de Liverpool, environ 17 000, se répartissent dans les tribunes latérales.
Le goulot de Leppings Lane
Le stade d'Hillsborough est presque centenaire. Il a été un peu retapé et modifié pour la Coupe du monde 1966, mais il reste vétuste, avec une conception générale très datée.
En 1981, à l'occasion d'une demi-finale entre Tottenham et Wolverhampton Wanderers, on est passé tout près d'un grave incident : la foule était trop dense sur Leppings Lane Terrace et il avait fallu évacuer des spectateurs vers la pelouse, d'où ils suivirent le match sagement assis le long des lignes de touche. Lors des demi-finales précédentes, en 1987 et 1988, des témoins ont confié avoir été compressés au point de se sentir en danger.
Pour comprendre la catastrophe du 15 avril 1989, il faut observer la configuration des lieux. L'entrée dans le stade par Leppings Lane forme alors un goulot d'étranglement par lequel doivent passer les spectateurs se dirigeant vers la tribune ouest, mais aussi vers une partie des tribunes latérales nord et sud.

Les spectateurs s'introduisent un par un en franchissant des tourniquets à hauteur desquels les billets sont contrôlés. Environ la moitié des spectateurs doit accéder au stade depuis Leppings Lane, qui ne représente que 28 % des guichets.
Une fois franchis les guichets A à G, la majorité des spectateurs placés dans la tribune ouest, haute ou basse, se retrouvent dans une petite cour intérieure qui sert d'espace de distribution, d'où ils peuvent soit monter par un escalier vers le West Stand, soit descendre vers la terrace.
Pour cette dernière, deux voies d'accès : un tunnel ou un contournement par la droite. La tribune debout est divisée en pens, des enclos numérotés du sud au nord de 1 à 7. Une fois dans un de ces blocs, séparés par des grilles latérales, il est impossible de se rendre dans un autre.
Le tunnel débouche directement à l'arrière des blocs centraux 3 et 4. Comme les autres, ils sont séparés du terrain par une barrière, qui comporte quelques portillons ouvrant sur la pelouse. Avec le mur du West Stand à l'arrière, les pens forment des cages à ciel ouvert.
La police dépassée
Les supporters de Liverpool commencent à arriver en début d'après-midi. Les témoins sont unanimes : tout se passe bien. Une heure avant le coup d'envoi, vers 14 heures, les spectateurs arrivent de plus en plus nombreux. Un bouchon commence à se former avant les tourniquets, vieux, tournant mal, incapables d'écouler le flux des spectateurs.
La situation se dégrade rapidement et à 14h30, elle se tend nettement. À ce moment, plusieurs milliers de personnes s'entassent dans Leppings Lane. Aucune file n'est organisée, sauf sur les derniers mètres ; les quelques policiers présents, peu nombreux, sont vite dépassés.
L'heure du coup d'envoi approchant, la tension monte encore : les chevaux de la police sont effrayés, les policiers s'énervent et commencent à avoir peur, eux aussi. Des spectateurs crient, comprimés et inquiets. Certains commencent à se sentir mal, un enfant est extrait de la foule par les policiers, qui le passent au-dessus des barrières.
Un officier présent à l'extérieur demande par radio qu'on ouvre une porte - la bientôt fameuse porte C - pour permettre aux gens d'entrer sans passer par les guichets : tant pis pour le contrôle des billets. Il répète sa demande plusieurs fois, ajoutant qu'il risque d'y avoir des morts.
Pendant ce temps, la tribune basse s'est remplie de manière très déséquilibrée. Vers 14h45, les pens latéraux sont encore peu remplis, tandis que les deux pens centraux, les 3 et 4, sont pleins à craquer. Pourquoi ? Une fois que les spectateurs ont franchi les tourniquets, il n'y a pas, ou très peu, de stewards de Sheffield Wednesday (le club propriétaire du stade) pour leur dire où se diriger.

La pratique habituelle consiste à laisser les spectateurs se répartir dans les tribunes comme ils l'entendent, on vérifie simplement qu'ils vont bien dans celle, stand ou terrace, à laquelle leur billet donne droit. La plupart des gens voient le tunnel, au bout duquel ils aperçoivent la pelouse, et l'empruntent se déversant donc dans les sections 3 et 4.
Le passage par la droite est mal indiqué et peu le choisissent. De fait, à 14h45 ou 14h50, les pens 3 et 4 sont déjà beaucoup trop pleins. Des témoins, habitués des terracesd'Angleterre, affirmeront qu'ils n'avaient jamais connu pareille compression. Des images de la télévision, récupérées plus tard, montrent d'inquiétants flux et reflux de la foule.
Du bouchon à la catastrophe en vingt minutes
Dans Leppings Lane, la situation s'est aggravée. Un large portail réservé à la sortie, la porte C, a été brièvement ouvert de l'intérieur à 14h48, puis refermé. À 14h52, l'ordre est finalement donné de l'ouvrir à nouveau. Des centaines de personnes, bientôt deux mille, le franchissent en quelques minutes. La plupart se dirigent vers le tunnel, plus ou moins emportées par le flot.
La pression de la congestion dans Leppings Lane s'est déplacée sur l'arrière des sections 3 et 4 où débouche le tunnel. Celui-ci est en pente et la terrace aussi, ce qui aggrave le mouvement : les gens avancent et sont en même temps entraînés vers l'avant et vers le bas, poussant et comprimant ceux qui se trouvent devant eux. Les portillons donnant sur la pelouse sont fermés de l'extérieur. Les deux blocs centraux sont devenus des pièges mortels.

En quelques minutes, près de cent personnes sont écrasées à mort dans les pens et dans le tunnel : étouffées par la pression au sein de la foule et contre les barrières, notamment celles qui les séparent de la pelouse. Une barrière de fractionnement du pen3 finit par céder sous la pression, précipitant les gens qu'elle retenait sur ceux qui se trouvent en dessous.
Quelques spectateurs réussissent à s'en extraire, en franchissant les barrières latérales vers les blocs 2 et 5, en appelant à l'aide les spectateurs de la tribune du dessus, qui en hissent plusieurs dizaines jusqu'à eux, ou en passant par-dessus le grillage pour se réfugier sur la pelouse.
Le match a commencé à 14h59. À 15h06, un policier entre sur le terrain pour demander à l'arbitre de l'arrêter. Les deux équipes reviennent au vestiaire, tandis que la plupart des spectateurs présents dans le reste du stade croient à un envahissement de terrain et à de nouveaux débordements.
Cinq mensonges et 96 enterrements
Dès 15h15, alors que des personnes agonisent sur la pelouse et dans les pens, et que des spectateurs et des policiers s'improvisent secouristes en l'absence de moyens et de personnel compétent, le mensonge originel est formulé par l'officier de police responsable de la sécurité du match.

Le Chief Superintendent David Duckenfield explique au secrétaire de la FA, Graeme Kelly, que des supporters de Liverpool sans billet ont forcé l'ouverture d'une porte de sortie, sont entrés dans le stade et ont provoqué le mouvement de foule fatal. L'explication est immédiatement reprise à la télévision par le commentateur de la BBC, qui la répète à de nombreuses reprises.
Ce mensonge va constituer la première explication du drame : comme au Heysel, les supporters de Liverpool se sont comportés comme des voyous et, cette fois-ci, ils se sont entre-tués. Ainsi s'élabore, au fil des heures, un récit apparemment cohérent, qui conforte les idées reçues sur les supporters :
1. Les supporters de Liverpool sont arrivés en retard, ce qui a provoqué le bouchon avant les guichets ;
2. S'ils étaient en retard, c'est qu'ils se sont arrêtés dans des pubs pour s'y enivrer ;
3. Beaucoup sont arrivés sans billet, comptant sur leur nombre pour entrer quand même ;
4. Ivres, pressés d'entrer pour ne pas rater le coup d'envoi alors qu'ils étaient en retard et sans billets, ils ont submergé les policiers dont ils n'ont pas écouté les ordres, et ont pris d'assaut le stade. La police n'a pas eu d'autre choix que d'ouvrir la porte C pour éviter un drame, mais cette masse furieuse s'est précipitée à l'intérieur, provoquant la catastrophe.

Plus tard, les responsables de la South Yorkshire Police (SYP) ajouteront un cinquième mensonge :
5. Après l'écrasement dans les pens et l'arrêt du match, les supporters de Liverpool ont continué à se comporter comme une horde de barbares.
La « vérité » du Sun
Le drame d'Hillsborough est donc présenté comme une nouvelle manifestation tragique du hooliganisme, cette maladie congénitale du football anglais et des classes populaires. C'est ce que le chef de la police explique dès le lendemain à Margaret Thatcher. La première ministre s'est rendue sur place, et elle écoute toujours d'une oreille bienveillante ce qui conforte sa détestation des classes populaires en général et de la population de Liverpool en particulier.

Le 19 avril, le Sun reprend la version de la police sous le titre "The Truth" (La vérité). "Certains supporters ont fait les poches des morts. Ils ont uriné sur de courageux policiers. Ils ont frappé des policiers qui faisaient du bouche à bouche." En pages intérieures s'étalent des allégations selon lesquelles des supporters de Liverpool ont hurlé des insanités à caractère sexuel à une jeune femme blessée et inanimée.

Les morts et les survivants eux-mêmes se retrouvent donc en position d'accusés. Dans la nuit suivant le drame, les familles ou les proches qui viennent identifier les corps sont tous interrogés par la police judiciaire, qui leur demande avec insistance combien de verres eux et les victimes ont bu et combien ils avaient l'habitude d'en boire. Des prises de sang pour mesurer l'alcoolémie sont pratiquées sur les 93 morts, y compris sur les enfants.
La police porte l'entière responsabilité de la catastrophe. La SYP a préparé le match en le traitant exclusivement comme un problème d'ordre public, avec un commandant sans aucune expérience de ce genre d'événement. Nommé moins de trois semaines avant le match, David Duckenfield n'avait jamais exercé de commandement lors d'un match de football et ne connaissait pas le stade d'Hillsborough. Il ne savait pas ce qu'était un match, et ne connaissait les supporters que de réputation.
Responsable d'un grand événement devant accueillir 50.000 spectateurs sans en connaître ni les lieux, ni la nature, il s'est appuyé sur deux éléments : les notes de service laissées par son prédécesseur ; une approche dominée par le maintien de l'ordre et non par la sécurité des personnes.
Un match normal
Cette conception répressive a pesé lourd sur l'avant-match. Beaucoup de supporters de Liverpool, et aussi de Nottingham - mais le flux s'est beaucoup mieux écoulé de leur côté, où il y avait plus de place et de guichets -, sont arrivés tard parce qu'ils avaient été retenus, pas parce qu'ils avaient traîné.
La police a multiplié les contrôles sur les routes et aux entrées de la ville pour éviter que les supporters des deux équipes ne se croisent, pour leur donner des instructions et les mettre en garde sur leur comportement. Ainsi, elle a déployé un excès de moyens pour prévenir d'éventuels troubles à l'ordre public dont le risque était à peu près nul, sans organiser l'admission dans le stade - ce qui a conduit au bouchon dans Leppings Lane.
La foule qui s'est amassée dans Leppings Lane n'était pas massivement alcoolisée. Certains avaient trop bu : sur plusieurs milliers de personnes, c'est inévitable. Mais personne n'a témoigné d'une alcoolisation massive, rendant la foule incontrôlable. Personne n'a senti l'odeur d'alcool dans Leppings Lane dont ont parlé certains policiers. Les enquêtes de voisinage n'ont apporté aucun élément dans ce sens : un seul habitant du quartier a parlé de supporters ayant uriné devant chez lui. En résumé, il n'y a pas eu davantage de consommation d'alcool ce jour-là que pour un autre match.
De même qu'ils n'étaient pas ivres, les supporters n'étaient pas non plus venus sans billets. Un comptage précis des personnes entrées avant l'ouverture de la porte C, en utilisant les compteurs des tourniquets et, après l'ouverture, en dénombrant les entrants un par un sur les images de vidéosurveillance, donne un nombre total d'un peu plus de 10.000 - soit la capacité officielle du West Stand.
Il y avait forcément des supporters dépourvus de billet, il y en avait à tous les matches, mais ils n'ont pas pu, à eux seuls, créer la cohue à l'extérieur, puis l'écrasement à l'intérieur. De ce point de vue aussi, c'était un match normal.
La police n'a pas su gérer la situation qu'elle avait créée : faire entrer par quelques tourniquets hors d'âge plusieurs milliers de personnes en à peine quarante-cinq minutes. Elle n'a pas non plus décidé de retarder le coup d'envoi d'une demi-heure, ce qui aurait fait redescendre la tension. C'est pourtant la décision prise en 1987, avant la demi-finale Coventry-Leeds dans le même stade.
La porte de l'enfer
La gestion a été désastreuse de part d'autre des guichets. Il n'y avait pratiquement personne pour canaliser les supporters, qui se sont massivement dirigés vers le tunnel, c'est-à-dire vers le piège mortel des pens 3 et 4. Les forces de l'ordre et le club de Sheffield Wednesday s'en sont renvoyé la responsabilité, mais s'il n'y avait pas de stewards du club comme cela était prévu, c'est bien aux autorités qu'il faut le reprocher.

À 14h45, le commentateur de la BBC s'étonnait en direct que les pens 3 et 4 soient très pleins, alors que les 2 et 5 n'étaient remplis qu'à moitié. Les policiers qui se trouvaient dans la tribune supérieure n'ont pas pu ne pas le voir, eux aussi.
Enfin, le poste de commandement surplombait l'angle des tribunes ouest et sud. De là, on avait une vue directe et plongeante sur la terrace : impossible, là encore, de ne pas voir ce qui s'y passait. Des rapports ultérieurs ont établi que deux mille personnes étaient entassées dans chacun des pens 3 et 4, alors que leur capacité officielle était de mille, et qu'elle était déjà largement surévaluée.
La porte C n'a pas été prise d'assaut : c'est le chef de la police lui-même qui a ordonné de l'ouvrir. Compte tenu de la situation dans Leppings Lane, de ce qu'il voyait sur ses écrans de contrôle et des demandes répétées qu'il recevait, cet ordre était peut-être la moins mauvaise décision à prendre. À condition de l'avoir préparée. Duckenfield aurait dû prévoir les conséquences de l'ouverture de la porte : il aurait dû faire fermer le tunnel.
Empêcher son accès faisait justement partie des habitudes de la SYP lorsque les blocs centraux étaient pleins. Duckenfield aurait dû le savoir et y penser, ou un de ses adjoints aurait dû le lui dire. Des dizaines de policiers étaient au même moment en pause dans le gymnase derrière le North Stand et auraient pu en quelques minutes se déployer pour diriger les spectateurs vers les pens latéraux.
Vingt minutes se sont écoulées entre le moment où la situation est devenue très critique dans Leppings Lane et le moment où la porte C a été ouverte. C'était certainement suffisant pour prendre la mesure de ce qui se passait, et pour y remédier. On ne le saura jamais : ils n'ont rien fait.
Le fiasco des secours
Les premiers secours apportés aux blessés et aux mourants l'ont été de manière spontanée et désorganisée par d'autres supporters, parmi lesquels seuls quelques-uns, médecins ou infirmiers, avaient une formation dans ce domaine, et par quelques policiers - ceux qui étaient les plus proches et qui ont compris qu'une catastrophe était en cours.
Les secouristes du stade sont arrivés, mais ils étaient peu nombreux. Alors que les gens mouraient dans la tribune, d'autres essayaient de s'échapper vers la pelouse, mais les policiers ont commencé par les repousser, pensant qu'il s'agissait de hooligans tentant d'envahir le terrain.
Avant d'appeler les secours, on a commencé par faire venir en renfort les équipes antiémeutes appuyées par des chiens, pour qu'elles viennent rétablir l'ordre. De longues minutes se sont écoulées avant que les ambulances n'arrivent.
Pendant ce temps, des dizaines d'autres policiers étaient déployés à quelques mètres de la catastrophe, formant un cordon qui barrait toute la largeur du terrain pour empêcher un envahissement par les supporters de Forest. On les voit sur les images de la BBC, immobiles. En 2012, le comité indépendant a estimé que 41 personnes auraient pu être sauvées si elles avaient reçu les premiers soins nécessaires et été transportées à l'hôpital assez rapidement.
David Duckenfield a donc failli à sa mission, il l'a tardivement reconnu en 2016. Mais il n'est pas le seul responsable. Son supérieur, le Chief Constable Peter Wright, avait une conception autoritaire du rôle de la police, tournée vers la répression avant tout. Elle s'était déjà manifestée en 1984, lors de la charge de cavalerie d'Orgreaves contre les mineurs en grève. Il est mort en 2011, après avoir toujours défendu l'action de la South Yorkshire Police ce jour-là.
L'obsession du hooliganisme
L'autre responsable est l'air du temps, l'état d'esprit général qui régnait sur les matches et sur la manière d'accueillir les spectateurs dans les stades. L'obsession du hooliganisme avait fait perdre de vue la sécurité des personnes. Mais au-delà, la police, les autorités civiles, la FA, les clubs, la presse se fichaient de la manière dont les gens étaient traités les jours de match.
Les stades étaient vieux, vétustes, certaines de leurs tribunes étaient fragiles. Ils étaient sales, avec des couloirs sombres, des tunnels ou des escaliers dangereux. Les toilettes y étaient souvent des cloaques, la signalisation était insuffisante, voire inexistante. Beaucoup de stades, dont Hillsborough, étaient homologués pour un nombre de spectateurs plus important, parfois de beaucoup, que ce qu'ils pouvaient accueillir en toute sécurité.
En 1985 à Bradford, au stade de Valley Parade, 56 personnes étaient mortes dans l'incendie d'une tribune en bois provoqué par un mégot qui avait mis le feu à des détritus accumulés depuis au moins dix-sept ans et jamais nettoyés.
En 1971 à Glasgow, à Ibrox Park, le stade des Rangers, 66 personnes étaient mortes dans un mouvement de foule, après la rupture présumée d'une rambarde d'escalier. Un rapport de 1966 avait pourtant alerté sur sa dangerosité.
En 1946, au stade de Burnden Park à Bolton, 33 personnes étaient mortes écrasées avant un match de Cup entre les Wanderers et Stoke City, dans des circonstances très semblables à celles de Hillsborough en 1989. À Bolton ce jour-là, le match avait eu lieu quand même, avec les corps des victimes allongés le long de la ligne de touche, recouverts par des manteaux.
On savait donc qu'un stade de football pouvait être dangereux et que le pire danger n'était pas les hooligans. Après le drame de Burnden Park, une commission d'enquête avait sévèrement critiqué la police et émis des recommandations pour assurer la sécurité des spectateurs. Après celui d'Ibrox, un Livre vert sur la sécurité dans les stades avait été adopté. Mais en 1989, tout cela avait été oublié. Les 96 morts furent le prix de ces négligences.
RÉCIT : Hillsborough, heure zéro. 1/ Au bord de la catastrophe
ENQUÊTE : Hillsborough, heure zéro. 2/ Au bout du tunnel
Chronologie : trente ans de lutte pour la justice
Août 1989. Le rapport officiel du Lord Justice Peter Taylor établit la responsabilité de la police, dégageant complètement celle des spectateurs.
1991. L'enquête judiciaire, ne tenant pas compte du rapport Taylor, établit que les victimes sont mortes "accidentellement". Elle écarte la responsabilité de la South Yorkshire Police. Les décès survenus après 15h15 ne sont pas pris en compte, ce qui évite de se pencher sur la manière dont les secours d'urgence ont été organisés.
1997. Le ministre de l'Intérieur, Jack Straw, décide de rouvrir le dossier. Le nouveau rapport ne trouve rien de neuf.
2000. Les familles assignent Duckenfield et son adjoint Murray devant une cour criminelle. Leurs erreurs sont mises en évidence, mais le jury les acquitte du chef d'homicide involontaire par négligence grave.
2009. Vingt après les faits, Andy Burnham, ministre des Sports, diligente un comité indépendant pour établir un nouveau rapport sur la catastrophe.
2012. Le rapport du comité démontre que le stade présentait de graves défauts sur lesquelles les incidents des demi-finales de 1981, 1987 et 1988 auraient dû alerter ; que la catastrophe était la conséquence directe des fautes de la police ; que les supporters n'étaient en aucune manière responsables de la catastrophe ; qu'une réaction plus efficace aurait permis de sauver 41 personnes ; qu'une campagne de mensonges et de manipulations, comprenant la censure de témoignages de policiers, avait fait porter la faute sur les supporters pour couvrir la SYP ; et enfin que l'enquête de 1991 avait été biaisée. Le premier ministre David Cameron présente ses excuses aux familles de victimes et la Haute cour casse le verdict de 1991.
2016. Un nouveau procès établit que les 96 victimes ne sont pas mortes accidentellement et que les supporters ne sont pas responsables du drame.
2019. David Duckenfield, âgé de 75 ans, est jugé devant une cour criminelle pour homicide involontaire par négligence grave. Il est acquitté en première instance, puis en appel. Au bout de trente ans, personne n'a été reconnu pénalement responsable de la catastrophe de Hillsborough.