En finir avec les Footix
Stéréotype né en 1998 mais fort mal défini, le concept de Footix n'a cessé de dégénérer jusqu'à ne plus vouloir dire grand-chose, à part de ceux qui l'emploient sans cesse.
On reconnaît les concepts fumeux à l'impossibilité de leur associer une définition claire. C'est le cas du "Footix", tour à tour supporter à distance, amateur d'équipes "à la mode" ou de plusieurs équipes à la fois, ignorant des règles et du jeu. Un mauvais connaisseur de football aux humeurs changeantes, s'emballant inutilement à l'occasion de "ola" embarrassantes ou conspuant bêtement un joueur en méforme. Le Footix est tout cela à la fois, c'est à dire rien de bien identifiable. Derrière ce terme fourre-tout se cache en fait l'archétype vague et bancal du "mauvais supporter" (lire "L'invention du Footix").
Le problème de ce quolibet, c'est qu'il connaît désormais tellement d'acceptions différentes qu'on peut aisément l'opposer à n'importe qui pour n'importe quoi. Le "Footix", qui n'était au départ que le nom donné à ces supporters post-Mondial 98, désigne aujourd'hui à peu près tout le monde dans une certaine mesure. On est tous le Footix de quelqu'un, comme on est tous le con d'un autre. Il est devenu l'insulte ultime, celle qui met fin au débat footballistique: il est d'ailleurs à ce dernier son point Godwin. Le Footix du football est un peu le bobo de la politique. Du reste, seize ans après la victoire française en Coupe du monde, le mot devrait être définitivement passé de mode. Railler cette génération de "nouveaux" supporters, moqués gentiment pour la fraîcheur de leur passion à l'époque, n'a plus de sens.
Classé Footix
Le plus gênant dans l'invasion de ce terme, c'est qu'elle a fini par accoucher d'une définition du supporter "authentique" par exclusion: qui est Footix ne peut être un vrai supporter, donc qui est un vrai supporter est tout ce que n'est pas un Footix – c'est à dire, en réalité, pas grand-chose. Le supporter pur et incontestable, lit-on régulièrement, doit supporter le club de sa région, si possible natale.
Un amateur de football qui deviendrait le supporter d'une équipe concurrente, ou pire, étrangère, dont il apprécie les joueurs, le jeu ou les performances se verrait affublé par certains de l'ignoble qualificatif qui nous occupe. Au fond, c'est réduire le supportérisme à une simple question d'appartenance, c'est même nier qu'il y ait le moindre choix dans l'équipe que l'on se doit de supporter. Ainsi les nombreux supporters à distance marseillais ou stéphanois, qui ont vibré à l'occasion des campagnes européennes de ces deux clubs mythiques et ne les ont plus lâchés depuis, ne seraient pas d'authentiques supporters. En poussant le raisonnement au ridicule, un club ne pourrait potentiellement posséder plus de supporters que la ville qu'il représente n'a d'habitants. On n'est plus très loin des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Miroir du Footix
Ainsi également des amateurs de football qui supportent, à divers degrés, plusieurs équipes à la fois: le vrai supporter devrait rester insensible à ce qui se passe autour de lui et ne jamais se prendre d'intérêt pour un autre club, comme si la part de passion qu'il a en lui devait rester absolument indivisible, comme si elle était divisible (lire "De la liberté de supporter un autre club "). Il devrait ainsi mettre en scène et surjouer une sorte d'autisme romantique sur fond de métaphore nuptiale douteuse: on n'aime qu'un club comme on n'aime qu'une femme, ou quelque chose dans le genre. Ou on peut tromper sa femme mais pas son club. Bref, le parallèle conjugal n'est jamais loin.
Le Footix originel, celui qui était bien brave, pas franchement conscient de l'étiquette dont il était flanqué, et qui n'avait rien demandé à personne, a surtout cristallisé la tendance déprimante de nombreux supporters à se définir par le rejet. On ne se reconnaît guère entre supporters, mais plutôt entre détenteurs d'une même conception du supportérisme. Le Footix en dit sûrement plus sur le supporter que sur le Footix lui-même.
Le concept était rigolo, il est devenu un peu pénible, et vide de sens. Il irrite plus qu'il n'amuse. Sur Twitter, il sert souvent d'exutoire à un agacement paresseux: un petit "Footix!", et puis s'en va. À bien y réfléchir, le Footix, le vrai, celui sur lequel on pourrait tous s'accorder, c'est peut-être d'abord celui qui traite tout le monde de Footix en permanence.
Voir aussi "10 successeurs pour Footix"