Si vous saisissez votre mot de passe PUIS votre e-mail, vous aurez la confirmation que ça n'a aucun effet particulier. Attention à ne pas confondre vos minuscules et vos majuscules.
Vous avez oublié votre mot de passe ?
Inscription
Vous avez oublié votre mot de passe ? Il reste un espoir ! Saisissez votre adresse e-mail ; nous vous enverrons un nouveau mot de passe. Cette procédure est quasiment gratuite : elle ne vous coûtera qu'un clic humiliant.
Nous vous avons envoyé un email sur votre adresse, merci d'y jeter un oeil !

CONDITIONS D'INSCRIPTION :

1. Vous devez nous adresser, via le formulaire ci-dessous, un texte (format .txt inférieur à 100 ko) en rapport avec le football, dont la forme est libre : explication de votre passion, anecdote, aventure, souvenir, essai, commentaire composé, portrait, autobiographie, apologie, réquisitoire, etc. Vous serez ensuite informés de la validation de votre inscription par mail. Les meilleurs textes seront mis en ligne sur le Forum.

2. Nous ne disposons pas d'assez de temps pour justifier les retards d'inscription ou les non-inscriptions, et ne pouvons pas nous engager à suivre une éventuelle correspondance à ce sujet. Merci de votre compréhension.

Nous avons bien reçu votre candidature, on y jette un oeil dès que possible. Merci !

Habitus baballe

Pour causer socio, éco, sciences-po, anthropo, histoire-géo, philo, épistémo, Adorno, filporno, Bernard Pardo...

  • John Six-Voeux-Berk le 12/01/2022 à 19h15
    Classico, l'idée, tout de même, c'est qu'il est très difficile d'enrôler Nietzsche dans une pensée de gauche aujourd'hui : non pas parce que Nietzsche serait de "droite" ou "réactionnaire" lui-même (ce qui n'est pas pertinent) mais parce que la promotion de l'inégalité et d'un idéal de domination sous-tend finalement toutes ses constructions conceptuelles.

    Et donc, et c'est en tout cas ce que je recherchais en achetant Bouveresse : n'importe quelle tentative d'appropriation par la gauche d'un bout de Nietzsche (disons par exemple la réduction de la vérité à un discours découlant d'une volonté de puissance...) finira toujours par poser problème puisque ce bout contient en lui, en germe, le reste de la constellation et finira par entrer en conflit avec le reste de ce discours de gauche.

    Je crois qu'il en est de même pour Platon. Imaginons que je veuille garder tel morceau apparemment assimilable par une pensée de gauche... le reste du système antidémocratique de Platon va finir par sortir de ce morceau apparemment innocent et véroler tout ce que je croyais pouvoir faire avec lui.

    C'est aussi cela qui est admirable chez certains grands philosophes : c'est qu'on peut essayer les récupérer, mais que si la récupération est trop contre-nature, ça finit par craquer dans tous les sens.

  • Red Tsar le 12/01/2022 à 19h44
    Ça dépend, il passerait chez Hanouna ?
    Est-ce qu'il échangerait Lou Andreas-Salomé pour Raquel Garrido ?

  • John Six-Voeux-Berk le 12/01/2022 à 19h45
    Zut, j'avais complété avec un exemple, de ce que je fais parfois subir à "Platon" en cours pour montrer comment justement un bout "innocent" pouvait contenir des conséquences pénibles à nos préjugés.

    (J'ai subi un enseignement d'avant la réhabilitation des sophistes... et mon prof n'avait que formules méprisantes à leur égard... sans répondre aux objections que l'on pouvait émettre sur les conséquences politiques du platonisme)

    Théâtre de guignols en 5 scènes :

    1/ oh là là, cette théorie des idées qui semble sortie d'un imaginaire fantasque, en réalité est étroitement liée à la pratique concrète du dialogue platonicien (Hadot) ;

    2/ et cette pratique magnifique permet de mettre les deux interlocuteurs à écoute égale d'une idée tierce, qui n'est ni celle de l'un, ni celle de l'autre. Alors que si nous discourions seulement de "concepts" et non d'"idées", il y aurait toujours le soupçon que l'un ou l'autre veut imposer son "concept" à lui. Par force, par ruse ;

    3/ donc Socrate et Gnaffron, euh, avec cette théorie, inventent la possibilité du débat apaisé, qui n'est pas qu'une parodie sophistique de dialogue, dissimulant sa violence fondamentale
    - Bouh, bouh les vilains sophistes ;

    4/ Ne pensez-vous pas les enfants que nous devrions remercier Papa Socrate de nous avoir délivrés des méchants sophistes trumpiens qui prétendaient qu'il n'y avait pas de vérité, de faits, mais seulement des interprétations en conflit ?
    - Oh oui ! Merci Papa Socrate ;

    5/ Mais alors, pourquoi fiston Platon n'aimait-il pas la démocratie ?
    - parce qu'il était un fils à Papa ? parce qu'il en voulait à Athènes d'avoir condamné à mort le meilleur des hommes ? parce qu'il méprisait la canaille qui sentait mauvais ?
    - Non, mais la démocratie ne prétend-elle justement pas imposer les formes et les valeurs qui lui semblent les meilleures à un moment donné ? Sans se soumettre à une idée fixe, extérieure ?
    - Oh oui !
    - Le débat démocratique doit-il/peut-il suivre la forme d'un dialogue platonicien ?
    - Oh non. Cela voudrait dire que la réponse ou la solution au problème préexisterait.
    - Vous comprenez maintenant d'où sort le philosophe-roi ?
    - Euh pas encore tout à fait... etc.

    Il pourrait même y avoir un sixième acte :
    - pourquoi Platon nous paraît-il convenir à notre régime politique et à notre philosophe-président ?
    - Euh, parce que nous ne vivons pas en démocratie au sens athénien du terme?
    - c'est bien, voici ton gilet jaune pour la manif de demain. Mais quand tu reviendras lundi, tu te remettras dans l'esprit, qu'ici, nous travaillons sous l'égide d'une vérité qui nous dépasse.

  • Classico le 12/01/2022 à 21h39
    Ben c'est toute la discussion sur Nietzsche autour de cet article : il semblerait tout de même qu'il soit possible de trafiquer un grand auteur au point de, par exemple, nourrir toute la gauche contemporaine de la pensée d'un homme qui a élevé la volonté de puissance et les rapports de domination au rang de structure ontologique de la réalité, inspirant directement le nazisme. Suprême paradoxe. Ce "trafiquer" fécond est possible parce que la pensée trafiquée est suffisamment riche pour, justement, résister à la disloquation et continuer à vivre une fois trafiquée ; et parce que le trafiqueur est assez génial pour trafiquer en se mesurant presque d'égal à égal avec sa victime (Foucault).

    Nietzsche a pensé jusqu'au bout, jusqu'à son bout radical, la notion de construction. Tout au bout, on aboutit à poser que tout est construit et qu'il n'y a rien "sous" ou "derrière" le construit, et certainement pas une "vérité" ou une "réalité". Dès lors toutes les manifestations d'humanité, depuis la nuit des temps et jusqu'aux plus hauts sentiments moraux, sont des constructions en dernière analyse arbitraires ; dès lors elles s'offrent au philosophe pour être déconstruites ; ce qu'il y a au fond de ces arrangements, ce n'est jamais du "vrai" ou du "réel", c'est un rapport de forces, quelque chose qui a dominé autre chose ; Nietzsche légitime ce "fond" ontologique comme cause première indépassable ; il suffit de déclarer ce fond (le rapport de domination constitutif de toute structure), non pas indépassable mais lui aussi deconstructible et dépassable parce que scandaleux, pour obtenir un Nietzsche "de gauche" : on va tout déconstruire pour exhiber partout la domination, mais pour la dénoncer et la condamner.

    Hé, inutile de préciser que j'ai brossé là en 6 lignes ce qui en méritait 600 hein ? C'est seulement pour tenter de cerner la problématique.

  • John Six-Voeux-Berk le 12/01/2022 à 22h12
    Oui !

    Et en effet la question est de savoir si justement la déconstruction ne relève pas d'une éthique aristocratique ; et si l'égalité n'est pas une valeur qui ne peut s'imposer que sur un fond stable, assuré et non pas mouvant et incertain.

    En gros, ne faut-il pas des grandes impositions de type religieux pour stabiliser l'idée d'égalité ? Et à l'inverse, toutes les entreprises de déconstruction ne sont-elles pas mues par un esprit d'aventure, aristocratique, etc. Nietzsche le dit lui-même : il faut une pensée d'esclave, soumise à des valeurs ininterrogées, pour voir dans l'égalité quelque chose de souhaitable. Je ne vois pas trop comment on pourrait détacher "la critique nietzschéenne" de ces convictions qui en sont sinon la conséquence, le corollaire quasi nécessaire.

    Le dernier Foucault par exemple qui renoue avec une conception élitiste de la vie (j'en ai l'impression) ; comme si le germe nietzschéen avait attendu la fin pour apparaître au soleil. C'est tout de même un problème.

    Je n'en tire aucune conclusion. Je me retrouve comme face à Platon : j'ai besoin de lui et de ses Idées pour me justifier à moi-même toutes sortes de pratiques ; mais je sens bien que ces pratiques peuvent entrer en conflit avec d'autres pans de mon existence.

    Nietzsche m'éblouit, m'en impose (je ne suis pas à la hauteur de son héroïsme intellectuel, je le sais bien), mais indépendamment (?) de ma petitesse, j'ai aussi le sentiment qu'il ne peut que finir dans une solitude complète et folle, que je trouve finalement cohérente, admirable mais très triste et à vrai dire absolument pas exemplaire par tout ce qu'elle charrie d'illusions romantiques (le gros défaut de Nietzsche quand je le lis, malgré toutes ses déclarations déconstructrices : sa croyance en l'individu , quelle qu'en soit l'échelle). C'est peut-être cela : je vois Nietzsche comme prisonnier de la notion d'individu (- malgré tous les propos sur le dionysiaque), ce qui l'oblige à toujours penser la conflictualité de volontés opposées. Et en effet, si on suit la pente, on comprendrait pourquoi Lordon se trouve si bien avec Spinoza, et ne veut pas aller vers Nietzsche.

    Désolé pour la philosophie du pauvre... mais bon, Nietzsche est en vente libre.

  • Classico le 13/01/2022 à 00h02
    Non mais je trouve tout ça très juste. Les communismes de Badiou et de Lordon ont quelque chose d'extrêmement élitiste, qui signale peut-être un retour du refoulé nietzschéen. Et ce que tu dis de la polarité individuelle chez Nietzsche me semble avéré ; c'est seulement qu'il y a une difficulté très singulière chez cet auteur : c'est une oeuvre où cohabitent en fait, sous le même nom de plume, plusieurs auteurs. Il y a, tu as raison, un Nietzsche romantique fasciné par le tragique du destin individuel, qui écrit peut-être les plus beaux textes du romantisme. Et il y a un Nietzsche hyper-structuraliste et constructiviste, qui pourrait écrire avec Marx que "l'essence réelle des individus est l'ensemble de leurs relations sociales". Et il y en a deux ou trois autres encore. Et il est peut-être possible, à la fin, pour le nietzschéen qui a séjourné assez longtemps dans l'oeuvre, d'articuler ces différents auteurs dans l'auteur et de donner un sens unitaire à l'ensemble, mais j'en doute : je crois que Nietzsche a porté à son point d'incandescence maximale le travail de la contradiction, la rébellion contre la tradition de la logique aristotélicienne, et - j'assume mon côté mélodramatique - qu'il en est devenu fou.

  • Red Tsar le 13/01/2022 à 08h32
    Encore merci pour ce passionnant échange !

    @Classico : la question n'était pas Platon est-il de gauche ou de droite (quoi que pour la blague, je pourrais m'amuser à argumenter sur le fait que l'Athènes de son temps est peut-être plus proche de nous que, par exemple, l'Allemagne des années 1930), mais bien : comment pourrait-on en faire une lecture de gauche ? C'est quelque chose qui me fascine, que la plasticité des textes religieux ou philosophiques, qui ouvrent à des interprétations parfois très différentes. Mais au-delà de l'intérêt intellectuel, j'admets, pardon si ça salit un peu vos réflexions philosophiques, un intérêt politique. On tâtonne, on bricole, on traque des idées, on adapte, on recycle... On ne peut pas, de toutes façons, reprendre in extenso une philosophie et l'appliquer en bloc aujourd'hui. Dans la période présente, ces relectures peuvent même aider non pas à alimenter la gauche vs la droite, mais à repenser d'autres grilles de lecture que la binaire gauche-droite. Ça me fait repenser à une citation d'Althusser, probablement lâchée avant de demander à Hélène si elle avait vérifié la cuisson du ris de veau : "la philosophie doit reconnaître qu'elle n'est que politique investie d'une certaine manière, politique continuée d'une certaine manière, politique ruminée d'une certaine manière". Bien évidemment, le d' "une certaine manière" change tout, car Althusser ne superpose pas exactement les deux, mais peut-on philosopher sans avoir le politique en tête aujourd'hui ?

    @JVSB : j'ai adoré la petite saynète, mais je n'ai pas compris le 1/ Pourtant, j'ai bien fait mes devoirs, monsieur, j'ai même lu Hadot.

  • Classico le 13/01/2022 à 10h17
    On peut sans doute faire une lecture politique de Platon. Il n'est notamment pas douteux que tout son dispositif construit un univers contraire à l'univers libéral. La recherche âpre et exigeante de significations et de valeurs stables, résistant à la tempête des subjectivités en conflit, semble abhorrer profondément notre société, où, à la bourse ou sur les réseaux sociaux, les valeurs naissent et meurent au grès de caprices arbitraires. La critique radicale du simulacre semble viser spécialement notre civilisation numérique avec son culte des images. L'ascétisme joyeux semble pourfendre notre consumérisme malade. Bref, politiquement, Platon a certainement un message pour nous : le mépris le plus absolu. On peut probablement nourrir une pensée de gauche avec ce mépris. Dune gauche très élitiste.

  • L'homme bus le 13/01/2022 à 11h45
    Je vais me concentrer sur cette phrase, pour introduire mon pavé sur Bouveresse, Foucault et Nietzsche :""la philosophie doit reconnaître qu'elle n'est que politique investie d'une certaine manière, politique continuée d'une certaine manière, politique ruminée d'une certaine manière". Bien évidemment, le d' "une certaine manière" change tout, car Althusser ne superpose pas exactement les deux, mais peut-on philosopher sans avoir le politique en tête aujourd'hui ?""

    Je trouve que ce genre de phrase est typiquement de celles qui pourraient faire bondir Bouveresse. En effet, il y a là une idée qui a l'air très radicale, puissante, mais dont on voit mal exactement ce qu'elle veut dire. Bouveresse est un auteur qui n'est pas si facile à saisir, car, bien qu'il soit considéré comme l'un des grands auteurs de la philosophie analytique en France, son style en est relativement loin, c'est avant tout un ironiste et satiriste, qui se moque des prétentions de certains de ses contemporains à vouloir défendre, à travers de grandes phrases, des thèses qui semblent puissantes et profondes, mais qui au fond sont soit triviales, soit fausses ou stupides. Et le plus grave pour Bouveresse semble être en général la mauvaise foi des auteurs desdites phrases, qui ont tendance à le savoir, et ne jamais complètement assumer ce qu'ils disent, de façon à ne pas pouvoir être contredits.

    Or ici, cette phrase de Althusser me semble être de ce tonneau : qu'affirme exactement Althusser? Que les philosophes ont des opinions politiques? Mais c'est complètement trivial, tout le monde est d'accord. Que toute la philosophie est de la philosophie politique, même quand elle ne traite pas de questions philosophiques, et qu'on peut inférer du type de philosophie défendue par un auteur, même quand cela ne concerne pas la philosophie politique, mais par exemple la logique ou l'épistémologie?
    Cette deuxième perspective est sans doute plus proche de ce que veut dire Althusser j'imagine ; Bouveresse l'a déjà critiqué pour ce genre d'idées. Mais c'est éminemment faux, et cela conduit à des choses farfelues : Bouveresse a longtemps lutté pour introduire des auteurs de philosophie analytique en France, beaucoup de collègues, dont Althusser, n'ont jamais daigné s'y intéresser, parce que cette tradition baigne dans la logique et l'épistémologie en général, et que ce serait des choses "de droite" (parce que grosso modo, non-marxiste). Mais il existe de nombreux problèmes philosophiques qui ne sont pas directement politiques : qu'est-ce qu'une connaissance? L'identité personnelle existe-t-elle? Le cerveau est-il le support de la pensée?
    On pourra bien sûr dire "soutenir telle thèse sur l'identité personnelle doit conduire à soutenir telle idée politique", mais cela est souvent affirmé sans être démontré, car cela reste des domaines très différents, et en général des auteurs qui défendent des thèses proches dans ces domaines peuvent défendre des thèses très différentes dans d'autres (morale, politique...) ; elles ne s'impliquent pas logiquement. Il est tout à fait possible de soutenir que le cerveau est le support de la pensée, et d'être de droite, et de défendre que le cerveau est le support de la pensée, et d'être de gauche. Ou alors, il faudrait parvenir à expliquer le lien explicite entre l'idée que le cerveau est le support de la pensée et des convictions politiques de gauche, mais d'une manière telle qu'on ne puisse absolument pas inférer des idées de droite de la thèse de l'identité esprit-cerveau...

    Donc : soit ce que dit Althusser est trivial, soit c'est complètement faux ; mais je pense que le problème pour Bouveresse n'est même pas tant que ce soit faux, mais qu'Althusser l'affirme comme si cela était une évidence, voire démontré, sans jamais se donner la peine de le démontrer lui-même ou de clarifier sa phrase, ce qui est un manque à l'éthique philosophique.


    Cet excursus (rien contre toi Red Tsar, j'aime bien tes contributions en général et j'apprécie ton ouverture à la discussion) pour continuer sur Nietzsche, et le type de critique que Bouveresse adresse à Foucault. Je n'ai pas encore lu son dernier bouquin, mais j'en ai lu pas mal d'autres, et le type de critiques adressés par Bouveresse est récurrent. Le problème pour Bouveresse est un manque de probité : je penser qu'on peut dire que Bouveresse est un penseur de l'éthique intellectuelle, et spécifiquement philosophique. Beaucoup de ses bouquins tournent autour de cette question : c'est quoi faire de la philosophie? Comment on peut bien faire de la philosophie? Quelle attitude doit-on exiger du philosophe? Or, il défend une forme de modestie et de rigueur. Il faut éviter l'esbroufe, et ce qu'il reproche à beaucoup de ses collègues français c'est justement de céder à l'envie d'être brillants, au détriment de la rigueur et de la clarté. Le but de la philosophie est d'essayer au maximum de clarifier notre pensée, et les concepts que nous employons pour l'exprimer. Or, un des reproches que Bouveresse fait à des auteurs comme Foucault c'est de défendre des thèses comme "la vérité n'existe pas", thèse provocatrice et contre-intuitive, mais sans l'assumer à fond, sans donner tous les éléments pour pouvoir l'affirmer, et en faisant comme si cela avait été démontré. Or, Foucault n'a bien évidemment pas démontré et prouvé que la vérité n'existe pas (ce n'est sans doute pas le type de proposition qui peut être prouvé ; Foucault serait sans doute d'accord pour dire quelque chose comme "il est vrai qu'il pleut", s'il pleut.

    Pour Bouveresse, certains des continuateurs de Foucault diraient des choses "oui, mais Foucault s'est attaqué à un concept plus profond de vérité" ; ce à quoi on peut répondre qu'on voit mal ce que serait un tel concept... (Note pour continuer le pavé : Bouveresse s'attaque par exemple au flou concernant certaines propositions dans "La vérité de l'écrivain" : certains auteurs défendent l'idée que la littérature pourrait conduire à la vérité ; mais sans jamais prendre au sérieux cette thèse, c'est-à-dire sans jamais clairement expliquer ce que serait cette vérité, et si elle serait différente d'une vérité scientifique. Je précise que Bouveresse admet bien un lien entre vérité et littérature, et privilégie des auteurs qui prennent au sérieux cette thèse, c'est-à-dire qui essaient de lui donner un sens précis (Proust, Valéry, Musil...). Il privilégie l'honnêteté et la probité : si on affirme une thèse, il faut essayer de la défendre réellement). Au fond, Bouveresse accuse en général Foucault d'entretenir une confusion sans doute volontaire entre "être vrai" et "être tenu pour vrai", qui sont deux choses différentes. Des choses sont vrais (cad : correspondent à ce qui est réellement le cas) sans qu'on puisse le savoir (par ex : il est vrai soit que le nombre d'étoiles dans le ciel est pair, soit qu'il est impair ; mais on n'a pas pour l'instant de moyen de le savoir). Loin de clarifier l'usage de nos concepts (Bouveresse est très influencé par Wittgenstein), Foucault, par souci de brillance, provoque des confusions.

    Donc, pour en venir à Nietzsche, ce que Bouveresse reproche à Foucault c'est ce manque de probité : il essaie de faire de Nietzsche quelqu'un qui se serait attaqué à toute notion de vérité, ce qui n'est pas le cas. Nietszche a constamment un souci de vérité, puisqu'il dénonce radicalement des illusions. Pour pouvoir qualifier une idée d'illusion, il faut bien dire qu'elle est fausse, et donc non vrai. Certes, Nietzsche s'attaque à de nombreuses vérités établies (des propositions qui sont tenues pour vraies), mais il ne jette pas complètement l'idée de vérité.
    Et donc, Foucault essaie d'enrôler Nietzsche pour défendre ses thèses, mais d'une manière malhonnête pour Bouveresse, car cela passe par une interprétation partielle de Nietzsche. Que Foucault ne reprenne pas tout Nietzsche n'est pas en soit un problème ; mais qu'il le travestisse en est un.

    Peut-on faire de Nietzsche un penseur de gauche? Non, ce serait nécessairement le trahir. Nietzsche est un penseur aristocratique et donc élitiste. Il ne cesse de critiquer le "troupeau", et d'exalter l'individu supérieur ; il propose une forme d'eugénisme moral. Il n'a pas de mot assez dur pour ce qui est commun ; son modèle de communauté, c'est l'amitié entre deux individus supérieurs. Il critique fermement et explicitement le socialisme dès qu'il le peut. Il exècre toutes les revendications (l'individu supérieur prend, il ne demande pas).

    Une pensée de gauche peut certes tenter de se nourrir de sa critique des illusions, notamment la critique des autorités constituées, notamment de la religion, mais il faut voir que Nietzsche critique la religion chrétienne dans ce qui serait sans doute le plus compatible avec certaines idées de gauche (l'idée égalitariste du christianisme). Il peut inspirer des libertaires, mais c'est plutôt un anarchiste individualiste que collectiviste. Bien sûr que Nietzsche excède les étiquettes droites/gauche ; il n'est pas nationaliste, il voit dans les revendications conservatrices une façon de revendiquer constitutive des faibles, qui cherchent à obtenir ce qu'ils ne peuvent prendre ; il se moque des antisémites.

    L'honnêteté consiste donc à ne pas trahir Nietzsche, pour l'affadir. Il y a des propos violents, outranciers, choquants ; et vouloir atténuer la violence des certains propos de Nietzsche, à partir d'un projet visant à le "gauchiser" est un manque de probité intellectuelle.

    Bon, mon pavé s'arrête là, j'espère avoir été clair ; Bouveresse est un auteur que j'apprécie beaucoup (je conseillerai bien "La demande philosophique, que veut la philosophie et que peut on vouloir d'elle" qui me semble une très bonne façon de rentrer dans son idée de que peut et doit être la philosophie. C'est son cours inaugural au collège de France), et cette question de la façon dont on peut et doit faire de la philosophie me semble être d'une extrême importance. J'ai beaucoup lu Nietzsche, mais ça remonte un peu plus loin ; je suis assez loin d'être un expert en Foucault.
    Un très bon bouquin sur la question de la vérité, c'est celui de Paul Boghossian, La peur du savoir, qui s'attaque aux arguments relativiste, d'une manière qui me semble honnête : il essaie de formuler les arguments pour s'y attaquer, en reconstruisant des thèses relativiste subtiles. Je dirai aussi qu'il ne s'agit je pense entre Bouveresse et Foucault pas que d'une affaire de fond (un débat sur la vérité), mais de la façon même dont il peut être mené : Foucault n'a jamais confronté les critique de Bouveresse, et ne semblait même pas intéressé par le fait de le faire. Je pense que Bouveresse serait moins critique sur un auteur qui défend des thèses relativistes fortes comme Rorty, mais qui accepte totalement la discussion.

  • John Six-Voeux-Berk le 13/01/2022 à 11h55
    Le 1/ : "cette théorie des idées qui semble sortie d'un imaginaire fantasque, en réalité est étroitement liée à la pratique concrète du dialogue platonicien"?
    -----
    (réflexion d'un professeur de lettres qui a l'occasion de croiser Platon, que ce soit comme élément culturel (poésie amoureuse) ou comme théoricien de la fiction (l'opposition Aristote/Platon reste essentielle pour présenter les rapports occidentaux, fluctuants, à la représentation), voire parfois comme auteur au programme)

    Quand on découvre Platon, on se demande (où on devrait se demander) d'où sortent ces histoires de caverne et d'Idées.
    Dans mes souvenirs, Hadot propose de voir la théorie des Idées non pas comme le germe du platonisme, mais plutôt comme une élaboration secondaire et comme la seule hypothèse qui explique l'expérience primordiale du dialogue, du dialogue socratique en particulier : c'est-à-dire justement une expérience de collaboration vraie. Expérience que les sophistes prétendent illusoire, eux qui réduisent le "dialogue" à un exercice de conquête et de forçage de la persuasion par tous les moyens.

    Pour Hadot donc, le dialogue véritable aurait été pour Platon l'expérience décisive ; tout le platonisme visant à établir a posteriori l'ontologie nécessaire à cette expérience quasi érotique : pour pouvoir dialoguer vraiment, on a besoin d'une vérité extérieure aux interlocuteurs (= des Idées) ; s'il n'y a pas de Vérité, alors ce que j'ai pris pour du dialogue n'était qu'une entourloupe du père Socrate (et l'admirable Socrate n'aurait été que le pire et le plus convaincant des sophistes). Cette lecture est parfois critiquée, notamment par ceux qui insistent sur le but affiché par Platon dans certains textes (la contemplation des Idées, et non leur approche dialogique) : mais j'ai toujours trouvé cette voie d'accès au platonisme extrêmement parlante, et ce parce qu'elle dédogmatise son idéalisme, elle le réancre dans une expérience vécue et en dissipe l'aspect arbitraire. Et surtout parce qu'elle remet au centre de sa philosophie la forme littéraire du dialogue !