Touré 1983, sensuel et sans suite
Un jour, un but – Il y a trente ans, José Touré s’envole au-dessus du commun des footballeurs et capture le ballon de la finale de la Coupe de France pour inscrire un but inoubliable.
José Touré tente un petit pont sur Dominique Bathenay, mais le capitaine parisien a bien vu le coup et repousse d’un tacle assuré. Le ballon flotte sur la pelouse avant d’être récupéré par Seth Adonkor. À trente mètres de la cage parisienne, le natif d’Accra a le choix. Au milieu des défenseurs du PSG, trois coéquipiers devant lui dressent une ligne aux abords des seize mètres: Loïc Amisse, complètement sur la gauche, Vahid Halilhodži? sur l’arc de cercle et, intercalé entre les deux, José Touré.
Plein les yeux
Cela fait quarante minutes que cette soixante-sixième finale de la Coupe de France nous en met plein les yeux. Les joueurs du Paris Saint Germain, tenants du trophée, et ceux du FC Nantes, tout récents champions de France, sont portés ce soir-là par une envie toute simple, celle de jouer au foot. Les deux équipes ont lancé le match sans attendre. D’entrée, sur un coup franc lointain, Pascal Zaremba a envoyé une frappe de mule dans la cage de Jean-Paul Bertrand-Demanes. Paris a ouvert le score, mais Nantes, à peine ébranlé, s’est mis à faire circuler le ballon et à réciter ses gammes: jeu en mouvement, circulation de balle, quadrillage du terrain, les Nantais se sont emparés du match et c’est presqu’en toute logique que Bruno Baronchelli, bien lancé par William Ayache, s’est échappé pour aller mystifier Dominique Baratelli d’un petit lob… à la Giresse.
Le match est d’une extraordinaire qualité. Les actions se succèdent pour le plaisir des yeux. On voit José Touré tenter un retourné spectaculaire sur un centre de Bossis. Michel N’Gom inscrire un but que l’arbitre refuse pour un contrôle du bras. Dominique Baratelli s’offrir un vertigineux plongeon aérien sur un centre d’Adonkor. Avec le recul, tout semble avoir été préparé pour le chef-d’œuvre à venir.
Brésilien
40e minute : Adonkor choisit d’alerter José Touré, et lui envoie un ballon aérien. En suivant ce ballon des yeux, Touré entre dans la surface, légèrement décalé sur la gauche. Il est suivi par deux défenseurs parisiens, Tanasi l’arrière droit et Lemoult l’arrière gauche. Le Nantais s’envole, ouvre les bras et accueille le ballon sur sa poitrine – il dit souvent que c’est son geste préféré. Revenu au sol, il ne laisse pas rebondir le ballon. Il le maintient en l’air d’un petit contrôle, puis lui fait décrire un arc de cercle au dessus le lui-même, échappant ainsi à ses deux adversaires tout en s’ouvrant la voie du but. Et sans attendre, Touré frappe le ballon de volée du pied gauche. Il est un peu excentré, mais il frappe juste. Le ballon passe à quelques centimètres du pied d’un Dominique Baratelli désarticulé et s’en va finir sa sublime trajectoire dans le petit filet.
C’est une explosion de plaisir qui secoue le Parc des Princes. Le public applaudit à tout rompre cet enchaînement d’une audace folle. Le banc de touche nantais s’émoustille tandis que le parisien reste béat. Les journalistes cherchent le superlatif qui correspond le mieux à cette arabesque. À la télé, les ralentis défilent, et le commentateur ordonne: "Messieurs, des buts comme ça, on en redemande!"
Sans suite
Un mois plus tôt, le Nantais avait déjà régalé le stade parisien lors de sa première sélection en équipe de France, où il ponctua d’un but de félin une victoire éclatante des Bleus face à la Yougoslavie (4-0). Pour son élégance et son aisance technique, associées à sa peau mate et au maillot jaune de son club, José Touré est fréquemment surnommé le Brésilien. La presse ne résiste pas au plaisir de l’imaginer évoluant aux cotés des Socrates, Zico et Falcao, inoubliables magiciens du récent Mondial espagnol. Des chroniqueurs plus zélés se félicitent de ces touches de couleurs qui illuminent le sport français: Yannick Noah vient de remporter Roland-Garros, Serge Blanco mène le jeu du Quinze de France, et Touré, donc, annonce l’avenir du foot français.
La carrière du Brésilien ne tiendra malheureusement pas toutes ses promesses. José Touré illuminera bien quelques saisons encore les pelouses de l’Hexagone, mais une grave blessure en 1986 accompagnée de différents problèmes d’ordre personnel le rangeront à la marge. José Touré fait désormais partie, avec Jean-Marc Ferreri, Philippe Vercruysse ou Daniel Bravo, de la génération qui devait poursuivre la voie tracée par celle de Platini et Rocheteau, mais dont le talent a volé en éclat face aux turpitudes du foot-business des années 1980.
La suite de la finale de la Coupe de France 1983 n’appartient quant à elle plus au FC Nantes. L’équipe de Jean-Claude Suaudeau s’est laissée griser par son propre jeu, sans s’apercevoir en deuxième période que son adversaire reprenait le dessus. Le Paris Saint Germain inscrira deux buts et remportera la finale (3-2), l’une des plus belles de l’histoire.