Joueurs et équipes sont-ils responsables de leurs sponsors, et l'argent qu'ils en reçoivent a-t-il une odeur? Pas pour le président de l'OM, qui se lave les mains de la nature du groupe Khalifa…
On a récemment appris que Robert Pires avait l'obligation contractuelle, de la part de son sponsor et équipementier, de conserver le trait de barbe qui lui barre verticalement le menton. On savait déjà que les footballeurs étaient des marchandises, on affinera donc l'analyse en précisant qu'ils sont des produits soigneusement calibrés et marketés. Des produits de luxe, qui vont chez le coiffeur comme les chiens de concours vont au toilettage.
Pour sa part, Bixente Lizarazu n'est visiblement plus sous contrat avec Petrol Hahn. |
Les joueurs et les équipes sont donc des supports publicitaires, et parfois cela peut soulever quelques questions, comme à cette époque récente où les plans sociaux chez Lu avaient souligné leur indifférence notoire envers les politiques des annonceurs qui arrondissent leurs fins de mois (voir
Le footballeur, le petit beurre et la politique).
Cette fois, c'est le sponsor maillot de l'Olympique de Marseille qui suscite des interrogations, après le remue-ménage constaté dans le club de rugby de Bègles-Bordeaux et l'altercation entre Gérard Depardieu et Noël Mamère. Le député vert avait refusé d'assister aux matches du club de la ville dont il est maire, et a demandé l'ouverture d'une enquête parlementaire en dénonçant le groupe Khalifa comme
"allié des généraux algériens avec lesquels il a fait sa fortune, allié de ce pouvoir algérien qui contribue à la barbarie, qui assassine et torture".
Sponsor en barre
Christophe Bouchet a déclaré à La Provence:
"Je me suis posé une vraie question avant mon arrivée: est-on responsable de son sponsor? Affaire complexe. À l’OM, il est hors de question que l’on fasse de l’investigation pour savoir qui sont nos sponsors, autrement, on va avoir du mal à s’en sortir". Il y a un bel aveu dans cette affirmation: dès lors que les chèques sont honorés, on ne pose pas de questions.
"Sur le groupe Khalifa, ce que j’en vois pour le moment, ce sont des supputations, des rumeurs et rien de bien étayé". Puisqu'il semble avoir perdu le goût de l'investigation, recommandons au président de l'OM la lecture des articles de Libération (30/10, voir
ici) sur le "premier empire privé d'Algérie", son origine obscure, sa gestion opaque, son caractère factice, ses méthodes troublantes, sa dette colossale, son ascension surnaturelle, et surtout ses liens intimes avec le régime algérien.
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On a beaucoup insisté, au moment de la signature du contrat entre le club et la compagnie (présumée) aérienne, sur le bénéfice qu'allait en retirer celle-ci, grâce à un OM dont l'image rayonne sur le bassin méditerranéen, dont le prestige et la notoriété allaient conférer prestige et notoriété à la holding de la famille Khalifa (1). Malgré cela, l'OM n'aurait aucune responsabilité, alors qu'il est allé disputer un match contre l'équipe nationale algérienne il y a quelques mois et se trouve au centre d'une opération de "blanchiment d'image" du régime des militaires, selon l'expression d'un économiste cité par Libération?
"Si on avait Total sur nos maillots, serait-on responsable de la catastrophe de l’Erika?" ajoute Christophe Bouchet. Responsable non, mais complice de la politique de cette multinationale et de ses conséquences, certainement un peu (pour info, si jamais la question se posait vraiment un jour, TotalFinaElf est aussi accusé de prospérer en Birmanie à l'aide du travail forcé que lui assurent ses bonnes relations avec un régime totalitaire particulièrement ignoble — voir
transnationale.org).
On a en tout cas un nouvel exemple de la façon qu'a la logique économique d'imposer un pseudo pragmatisme qui rend le citoyen aveugle à tout autre considération, morale ou politique, dès lors que le commanditaire est solvable.
Il est pourtant possible de dire non. C'est ce qu'ont fait Laurent Blanc et Henri Emile, refusant le sponsoring du maillot de l'équipe de France 98 qui jouera au profit des sinistrés du Gard, bien que les sommes recueillies auraient incontestablement servi à une bonne cause... On peut donc mettre des limites à prolifération publicitaire et choisir de qui l'on fera la promotion. L'abolition du libre-arbitre dans le football n'est pas encore totale.
(1) On se gardera d'établir des parallèles hasardeux, mais il est intéressant de relever que le fils de Kadhafi est récemment entré au Conseil d'administration de la Juve. Un peu comme si, dans quinze ans, le fils de Ben Laden devenait actionnaire du Real…