SFR fait dans la télé-vulgarité
L'opérateur de téléphonie va inaugurer la première série télé pour mobiles, "Plein le casque", une suite de sketches dédiés au football, à partir du 24 mai. C’est le casque à pointe qu’il mériterait.
Auteur : Sylvain Zorzin
le 26 Mai 2006
Depuis que les diffuseurs de téléphonie mobile ont découvert qu’un écran de huit centimètres carrés ne servait pas qu’à recevoir des fautes d’orthographe, mais pouvait accueillir images et vidéos, les offres faites aux abonnés tentent de rivaliser de créativité. La Coupe du monde sera donc l’occasion de proposer différents programmes dédiés au football. Ainsi, si Vodaphone présentera une série de trente sketches d’une minute, intitulée "Foot de fille" – histoire de séduire les utilisatrices –, le diffuseur français SFR a coproduit la première série française écrite et réalisée pour téléphone mobile. Elle portera pour nom "Plein le casque", et consistera en trente-trois saynètes "comiques" de trois minutes. En fait, j’aurais voulu entourer le mot "comiques" de plusieurs guillemets (du style «««««««), mais le dessin me faisait trop penser au tibia de Djibril Cissé après le tacle de James McEveley.
Car la série "Plein le casque" – dont nous n’avons vu qu’un sampler, c'est-à-dire, normalement, une sélection des meilleurs sketches – est tout simplement affligeante. Les communiqués nous précisent pourtant qu’elle a été écrite et réalisée par les équipes de "Caméra Café", dont on ne peut nier la relative qualité. Il faut croire que la machine était en panne, ou que ledit café avait été préparé par les dirigeants de l’Olympique de Marseille, qui eurent la gentillesse de le déposer dans les vestiaires du PSG.
Moins drôle que les publicités
Le principe est simple : les scénaristes ont imaginé un dialogue entre deux commentateurs pendant la coupure publicitaire. Et encore, une fois encore j’aurais voulu entourer le mot "commentateurs" de nombreux guillemets (du genre »»»»»), mais le dessin montrait trop la direction de la sortie à Grégory Coupet.
Il est cependant important de s’arrêter d’abord sur les sujets traités dans cette série. Quand le premier sketch réussit à placer, en trois minutes à peine, les phrases "Tu vas me traiter de tarlouze?" et "Les gays sont des gens comme les autres", on peut légitimement craindre pour les trente-deux autres. Ah oui, mais gag! Le jeune commentateur ne supporte pas d’être traité d’homosexuel, car il a un passé sportif de… lutteur gréco-romain, les "corps huilés et tout ça". Ouah. Du coup, l’épisode sur le match en Russie qui traite les locaux, forcément pauvres, d’escrocs et de trafiquants de drogue apparaît soudain plus brillant.
Tout, en effet, est dans l’art de la caricature poussée jusqu’à l’écœurement, du stéréotype employé comme laxatif. Quand le jeune commentateur, amateur de revues de cul – on les voit clairement, il est important d’être compris – a pour l’ambition de multiplier les conquêtes, laissant à l’une le soin de l’attacher, à l’autre "le temps de s’épiler", son "vieux" partenaire demande à sa femme de lui enregistrer… Derrick. Derrick. Franchement. Cette référence est tellement éculée (oh hisse?) que l’on éprouve une immense pitié pour les prétendus scénaristes de cette suite de scènes elles-mêmes prétendues amusantes. Tant de prétention, on n’avait pas vu ça depuis Marcel Desailly.
Moins talentueux qu’un poil dans La Moustache
Ce ne seront évidemment pas les acteurs qui sauveront la série du naufrage – là encore, j’avais envie d’encadrer le mot "acteurs" de dizaines de guillemets maisà un moment, ça suffit. "Plein le casque" – titre dont on souligne le jeu de mots approximatif – est en effet interprété par Tom Novembre et un certain Denis Menochet. Si le premier est connu pour ses amitiés avec Janvion, Overmars et Guily, le second est extrait d’un anonymat dont il n’aurait jamais dû sortir. Avec à son actif une apparition dans La Moustache, le film d’Emmanuel Carrière, et surtout un rôle secondaire dans Foon, probablement l’un des plus mauvais films français de ces dix dernières années, il fait preuve d’une médiocrité que l’on n’avait plus connue depuis les remarques de David Del Bello sur la couleur des lacets des chaussures à Raymond Domenech.
Seul vrai point positif de la série, on sent chez ces acteurs un manque de conviction – et pas seulement de talent –, qui nous rassure quelque peu sur leur lucidité. Maigre consolation, c’est possible.
Que SFR et ses concurrents veulent profiter du barouf commercial autour de la Coupe du monde, bien sûr. Mais pourquoi fallait-il qu’ils commandent une série qui brasse avec autant de basse banalité les sujets dignes d’une émission de Cauet – les hommes "virils" ne sont pas des pédés, les vieux sont des impuissants, les pauvres sont dangereux, etc.? Ces sketches ne sont pas seulement mauvais (voire nuls), ils sont dangereux. A jouer avec des idées nauséabondes, à vouloir faire rire avec des clichés beauf/UMP, ils loupent le coche de l’intelligence et n’en sont que la mouche.
Alors, pour se remonter le moral on repense à Pierre Desproges qui racontait, dans son spectacle de 1986: "Guy Bedos traite carrément les footballeurs de l’équipe de France de pédés. Je suis désolé, ce n’est pas très gentil pour les pédés". Les mêmes mots. Onze classes d’écart.
