Les joies de l'indirect
Il s’est passé, lors du dernier Juventus-Milan AC diffusé sur Canal+ Sport, un évènement inhabituel. Un moment de bonheur télévisuel comme on en vit trop peu.
Auteur : Barnabé Thoven
le 21 Mars 2006
Plantons le décor : les deux cadors du foot italien s’affrontent pour décider si l’on enterre ou l’on relance le Calcio. Le genre d’affiche décisive dont on nous rabâche les mirettes, même si elles accouchent rarement de matches capables de nous faire vibrer le palpitant. Au crachoir : Paul Le Guen vient superviser ses futurs adversaires en Ligue des champions, affublé de Philippe Genin, clone vocal de Denis Balbir qui contribue grandement à la sensation d’omniprésence de ce dernier sur la chaîne cryptée, bouquet premium ou pas.
Douce friture
Il aura suffit de quelques minutes de vociférations pour que le téléspectateur finisse par se rappeler que sur certaines antennes, on va voir un match comme un concert de Hard-Rock : avec des boules Quiès. Après avoir baissé le son au minimum, l’auditeur attentif aura entendu un grésillement rapide, suivi d’un bip prolongé indiquant indubitablement une coupure de faisceau, à défaut d’une rupture d’anévrisme de l’envoyé spécial. Plus de son, que de l’image. À vous Cognac-Jay.
Mais les studios ne répondirent pas. Le commentateur de secours étant probablement parti pisser – ou chercher le maillot de Diawara, le tifoso de salon connut le bonheur intense de voir son match, agrémenté en toute austérité par les bruits du stade. En une seconde, il fut transporté dans un Stadio Delle Alpi qui compensait pour une fois la froideur de son architecture par l’énergie surprenante de ses supporters. Toute à sa surprise, il s’aperçut qu’un match sans commentaires se rapprochait diablement de l’expérience d’une visite au stade, qu’il regardait plus le jeu en l’absence de perturbations auditives - craignant à chaque seconde le retour des importuns, comme on craint après la mi-temps de se rasseoir dans les travées à côté du capo détenteur du mégaphone.
Las, il dut constater au bout d’un quart d’heure qu’on s’était activé en studio pour trouver une roue de secours. Un commentateur reprit le flambeau depuis Paris, bien en mal d’apporter à l’abonné une quelconque valeur ajoutée, disposant exactement des mêmes images. Il réussit pourtant un exploit à la 39e minute: prononcer Chevtchenko avec l’accent italien d’Aldo Maccione.
Le Guen et Genin finirent par revenir, en direct de Turin sur leur téléphone portable, ce qui eut pour effet bénéfique d’inhiber légèrement les hurlements. L’histoire ne dit pas qui a payé la communication.