Raúl, l’ange devenu Real
Passe en retraite – Un autre seigneur des années 90-2000 se retire. On n’oubliera ni la grâce, ni la classe de Raúl González Blanco, légende du Real Madrid, joueur unique, footballeur éternel.
Lorsqu'en 2010 il quittait le Real Madrid, Raúl était bardé de tous les records: 741 matches joués, 228 buts en Liga, 67 en Coupe d'Europe, 44 en équipe d'Espagne…Cinq ans plus tard, à l'heure où il quitte le foot de haut niveau, il ne lui reste que celui du nombre de rencontres disputées avec la Maison Blanche. Ses totaux de buts ont été effacés par Cristiano Ronaldo, Lionel Messi et même par David Villa. Ce n'est donc pas sur les seules bases chiffrées que Raúl laisse une empreinte indélébile sur le foot espagnol. Mais une trace bien plus forte qu’une statistique ou un trophée individuel.
Un enfant de Madrid
Raúl González Blanco est un enfant de Madrid. Il est né le 27 juin 1977 dans la capitale espagnole et son coeur bat pour...l'Atlético. C’est tout naturellement qu’il rejoint les équipes de jeunes chez les Colchoneros. Le gamin affiche d’intéressantes qualités, mais ne peut poursuivre son rêve. En 1992, le club de l’extravagant président Jesús Gil y Gil, confronté à quelques soucis financiers, décide de fermer son centre de formation. Presqu’à contre-coeur, Raúl s’en va poursuivre sa formation dans le grand club d’en face.
C'est à l'âge de dix-sept ans qu’il fait ses débuts pro dans un Real Madrid lancé en reconquête après quatre insupportables saisons de domination catalane. Poussé par la blessure d'Alfonso Pérez et les passages à vide de plus en plus nombreux du vieillissant Emilio Butragueño, l'entraîneur Jorge Valdano (lui-même ancien avant-centre merengue) lance son successeur pour une rencontre de Liga à Saragosse, le 29 octobre 1994. Sur la route qui le mène vers son premier match en pro, le gamin dort paisiblement dans le bus. Sûr de ses qualités, il avait confié à Valdano: "Si tu veux gagner, fais-moi jouer. Sinon, prends quelqu’un d’autre". Mais l'impétueux mange la feuille en cinq occasions et le Real perd 3-2.
Un échec relatif pour l’intéressé qui ne doute pas un seul instant. Son culot et sa confiance ont épaté ses coéquipiers et son entraîneur: "Certains joueurs sont des vétérans même lorsqu’ils sont encore des enfants" précise Valdano. Le hasard veut que le deuxième match de Raúl se dispute contre l'Atlético de son enfance. Une performance de feu: un penalty provoqué, une offrande pour Iván Zamorano et une splendide frappe en pleine lucarne. Cette fois, la légende est lancée pour le "Di Stéfano de notre temps” (Valdano, toujours). Il remporte un titre de champion d’Espagne dès la fin de sa première saison pro. Il incarnera longtemps le madridisme, cet état d’esprit empreint à la fois d’élégance, d’exigence et de flegme, populaire mais apolitique, et ces envies de prestige pour porter et faire la promotion internationale d’une “ville qui a grandi en même temps que ce sentiment de soutien au Real”.
Instinct et conviction
De cet immense professionnel et de ce joueur de caractère, Fernando Hierro, capitaine emblématique du Real des années 1998-2002, disait: “Il n’a 10 sur 10 dans aucun domaine, mais 8,5 de partout”. Un constat qui rejoint celui de Ángel Cappa, alors entraîneur adjoint de Valdano lors des débuts de Raúl et surpris par ce garçon qui “conduit mal son ballon, dribble mal, frappe mal“, avant de devenir “soudainement parfait en match”. Ceci s’explique par le fait que l’homme qui embrassait son alliance après chaque but est en fait “un compétiteur né: si vous êtes un joueur limité techniquement, ce n’est juste pas normal d’avoir la confiance qu’il avait.” Un footballeur animé d’une grande volonté qui compense un manque (relatif) de facilités, “más talante que talento”, selon l’expression espagnole consacrée. Une obsession et un sens du devoir qui le feront aller par exemple jusqu’à dormir dans une tente à oxygène.
Raúl était un joueur complet et d’instinct, qui sentait les coups, comme face à Manchester en 2000 avec cette course vers le but après le dribble délicieux de Fernando Redondo. Il agissait très vite, tel un exécuteur froid et brutal, mais également élégant et courbe dans ses frappes et ses courses. Avec son grand sens de l’équilibre, son calme et son sang froid, il ne semblait jamais paniquer face au gardien et appréciait de le lober pour porter l’estocade. Il est l’auteur de buts magnifiques et mémorables. Sa course solitaire en finale de la C1 2000 contre Valence qui le porte au duel face à son ami et ex-coéquipier Santiago Cañizares. Sa pichenette au Camp Nou en 1999 saluée d’un index sur la bouche intimant au public catalan de se taire, une image forte aux yeux des fans madrilènes. Ou aussi son but dans les dernières minutes de la finale de la Coupe Intercontinentale 1998 contre Vasco da Gama, 50% de talent et 50% d’abnégation, un véritable but à la Raúl en somme.
D’un souffle, souvent
Symbole du renouveau européen et national du Real à la croisée des siècles, Raúl est également la figure de proue d'une sélection espagnole riche de talents mais régulièrement décevante. Son penalty raté dans les dernières minutes d'un quart de finale de l'Euro 2000 contre la France résume bien cette période où la Roja manque ses grands rendez-vous. Eliminée au premier tour du Mondial 1998, l'Espagne rate également la consécration lors des Coupes du monde 2002 et 2006, alors qu'elle semblait capable d'aller au bout. Ultime vexation, le départ de Raúl coïncidera avec l’émergence d'une Roja triomphante qui remportera trois titres majeurs consécutifs sans lui, et parfois même sans attaquant.
Pourtant, El Angel de Madrid aura donné beaucoup à cette sélection, dont il fut longtemps le meilleur buteur et qu’il aura gratifiée de gestes de classe. Comme cette reprise sans contrôle du plat du pied face au Nigéria à Nantes lors de la Coupe du monde 1998, ou cet enroulé pleine lucarne contre la Slovénie à l’Euro 2000, en réaction soudaine à une frappe contrée dans son plus pur style de joueur d’instinct. À l'image de ses performances avec l'équipe d'Espagne, son nom sera également cité plusieurs fois pour le Ballon d'Or, sans succès. Notamment en 2001, où il finit deuxième, devancé par un Michael Owen dont le sacre sera vivement contesté dans la péninsule ibérique.
Perpétuer sa légende
Qu’importent ces classements au final, tant Raúl fut longtemps au plus haut niveau, d’une régularité qui force le respect. Et d’une grande exemplarité également, respectueux des arbitres, n’ayant jamais connu l’outrage d’une expulsion. Cet amoureux du football, tout de même féru des statistiques et des histoires de ceux qui font ce sport, prit évidemmment très au sérieux sa tâche de capitaine du Real Madrid. Trop peut-être, tant à la fin de son aventure merengue, il fut épuisé mentalement: “J’avais atteint un stade où j’avais besoin de m’échapper”. Il aura survécu à moult bouleversements au sein de l’institution madrilène, aux changements de politiques, de présidents, de dirigeants et de coaches, mais c’est ailleurs, d’abord à Schalke 04 puis à Al-Sadd et au New York Cosmos, qu’il continuera son histoire de footballeur.
En Allemagne, l’adaptation est un peu difficile. Il attend six journées avant de marquer son premier but en match officiel. Mais au bout de l’exercice, il va en demies de la C1, chutant face à l’un de ses ennemis préférés (Manchester United), et gagne définitivement les faveurs des supporters locaux avec lesquels il n’hésite pas à communier. Raúl étend son charisme et sa légende en-dehors de son foyer, quittant le club de la Ruhr sur une qualification pour la Champions League, deux nouveaux trophées (Coupe et Supercoupe d’Allemagne en 2011) et une place de leader au classement des buteurs historiques en C1 devant Gerd Müller. S’ensuivent une escapade au Qatar et un ultime titre glané avec le New York Cosmos le 15 novembre dernier, le Soccer Bowl en NASL, auquel il participe notamment avec un but décisif en demi-finale. À 38 ans, il est temps pour lui de partir. De rejoindre les autres seigneurs retraités de sa génération, en laissant derrière lui le souvenir d’un joueur à nul autre pareil.