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À Lens, le goût amer des frites

Imbroglio Martel-Mammadov, "valeurs" malmenées, supporters divisés: le RC Lens vit une terrible intersaison, qui menace jusqu'à son avenir de club professionnel. Et accable ses amoureux.

Auteur : Florent Basly le 8 Août 2014

 

 

C'est bien connu, le football fait souffrir le cœur des supporters au moins autant que le corps des joueurs. Tous ceux qui ont écrit sur l'identification à une équipe ont été contraints de reconnaître la part de martyre qu'ils s'imposaient malgré eux. Ainsi Nick Hornby avec Arsenal, Friedrich Dürrenmatt avec le Grasshopper Zurich, ou Tim Parks avec Vérone. Peu importent l'équipe, les couleurs, le stade. Peu importent le championnat, l'époque, les résultats même. La frustration face à la défaite, la nostalgie du football connu dans son enfance, la recherche illusoire d'une mystique traduite en soutien pur, inconditionnel et inaltérable pour un club restent les mêmes.
 

Toutes les souffrances ne se valent pas cependant. Pour nous Lensois, perdre sur le terrain, comme notre équipe risque de le faire très souvent cette saison, n'est peut-être rien à côté de ce que nous avons vécu cet été.

 


 


Tout sacrifier pour la carrière d'un Mathieu Bucher

Je suis Lensois et je le resterai toujours. Histoire on ne peut plus banale dans le bassin minier où j'ai passé mon enfance: j'ai aimé le football dès que j'ai été en âge de le faire, mon père lui-même aimait le RC Lens il et m'a emmené à Bollaert. J'ai éprouvé la fascination ingénue qu'on a tout jeune pour les demi-dieux du football. Et j'aurais tout donné pour en devenir un. Tout sacrifié pour la carrière d'un Mathieu Bucher ou d'un Olivier Bogaczyk, footballeurs de ma génération à la tête bien faite qui eurent le bonheur de marquer chacun une fois à domicile, au début des années 2000. Ces deux Artésiens mourront avec ce souvenir d'avoir fait exulter l'enceinte de leurs rêves. Moi, non, car j'étais nul balle au pied.
 

Puisqu'il m'a fallu sublimer l'amour du maillot dans le champ intellectuel, j'ai tâché et tâche encore d'explorer tous les recoins de la mystique du club. Chez tout supporter, l'esprit critique gagne ce que perd le chauvinisme. J'ai envie de croire que c'est une façon d'aimer Lens encore mieux, encore plus légitimement, pour ce qu'il est en vérité. Car l'histoire des Sang et Or telle qu'entendue dans le discours ambiant, non seulement celui des médias, mais des supporters eux-mêmes et du club, est chargée de traditions inventées, de mythes grossiers, d'oublis significatifs. Il serait vain d'en tenter une énumération. Relevons comme seul exemple ce que le RC Lens écrit sur son site internet en février 2014: "Le Racing club de Lens a été en effet fondé par les mineurs en 1906" [1]. En réalité il a été créé par des commerçants du centre-ville à destination de lycéens [2]. Mais je peux comprendre qu'il ne faille pas désespérer Billancourt, ou, si l'on préfère, la cité du 12/14, près de l'ancien puits minier du même nom.
 

Inutile de forcer le trait quand on évoque le lien organique entre charbon et football lensois. Si le football de haut niveau a su s'implanter durablement à Lens, la géologie y est pour beaucoup. Le gisement de houille a engendré une économie et une démographie caractéristiques, suffisamment vigoureuses pour assurer le succès d'un loisir de masse qui s'est professionnalisé à partir des années 1930 puis financiarisé à outrance à partir des années 1990. Ce n'est pas allé sans crises, celles-ci étant consubstantielles de l'industrie des matières premières. Après un dépôt de bilan en 1969, le club dut être sauvé par la mairie et, ce qui semble aujourd'hui suranné, des collectes populaires. Puis, en 1988, par un jeune et ambitieux entrepreneur local, Gervais Martel.
 


La rencontre entre Martel, ruiné, et Mammadov, présumé richissime

Qu'en 2013 le club ait été encore sauvé de la faillite par l'Azéri Hafiz Mammadov, un mécène venu d'un pays enrichi par ses matières premières, illustrait au moins une constante: une certaine forme de providence maintenait en vie, envers et contre tout, cette entreprise coûteuse dans un bassin économique sinistré. La région de Lens ne peut pas se résoudre à perdre ce maillon essentiel pour son lien social et son prestige national. Cette fois-ci, la providence avait voulu la rencontre entre MM. Martel, ruiné, et Mammadov, dont on fut bien obligé de croire qu'il était richissime.
 

Même si on avait voulu vérifier ce dernier point, comment s'y serait-on pris? Comment Gervais Martel lui-même aurait-il pu le faire? L'Azerbaïdjan est une oligarchie opaque, où les journalistes ne peuvent exercer leur travail normalement, quelle que soit leur envie de le faire. Seule ouverture notable à un examen "à l'occidentale" de la fortune de l'Azéri: son groupe s'était offert les services d'agences de notation, et reçu une appréciation peu flatteuse. Fallait-il s'y fier? Gervais Martel, trop heureux de revenir aux commandes, n'en eut cure. Le vendeur, le Crédit agricole, trop soulagé de trouver un acquéreur, ferma les yeux. La DNCG, soucieuse de laisser au moins démarrer l'investisseur tombé du ciel, laissa se conclure la transaction tout en émettant des réserves: recrutement encadré dès la première saison.
 

Et le public lensois, que fit-il? Il vint en masse à Bollaert dès la première rencontre, remportée par la plus petite des marges contre le troisième club corse, le CA Bastia. Le diffuseur de la rencontre, Eurosport, loua l'ambiance retrouvée. Tout allait bien. Tout semblait aller bien encore quand France 2, au lendemain de la fin du championnat, diffusait un reportage hagiographique d'une demi-heure sur la renaissance de Lens. Lens remontait en Ligue 1. Lens pouvait toujours compter sur la même ferveur. On allait en engloutir, de la frite Sensas. On allait en entendre, des gosiers entonner "Les Corons" [3]. On allait en voir, de l'argent couler à flots, venu aussi bien de la boutique du club que du Caucase. Le succès populaire et sportif de cette saison avait endormi nos doutes. Nous n'avions aucun signe annonçant le feuilleton rocambolesque qu'a offert le RC Lens depuis la fin juin.
 


Spectateurs impuissants

Sans prétendre parler au nom de tous les autres amoureux du RC Lens, je ressens une profonde amertume, comme celle qu'on a à goûter des frites molles, pas assez cuites, quand on nous a promis un bon repas. Être associé à la quête de respectabilité d'une république gazière anciennement soviétique était déjà difficile à avaler. Pour nos contempteurs, il n'était pas besoin de pousser le raisonnement très loin pour faire de nous des alliés objectifs d'un régime peu recommandable. Que notre actionnaire azéri nous ait bernés avec un comportement erratique, se montrant un jour prêt à débourser 50 millions d'euros pour acheter un club anglais, un autre incapable de verser les fonds (bien moindres) demandés par la DNCG, et un autre encore occupé à des attaques contre des membres de la direction sans oser les nommer, nous écœure. On peut se gausser de l'invocation récurrente des "valeurs" que serait censé porter le RC Lens (travail, humilité, sportivité, accessibilité populaire, etc.) et qu'aurait bafouées Hafiz Mammadov, personnage bling-bling qui offrit du Petrus et une Rolex à des journalistes de Canal+ [4]. Il n'empêche qu'il y a du vrai dans la critique formulée par les défenseurs desdites "valeurs".
 

Le choc culturel ne semblait surmontable qu'avec un apport fiable de liquidités, propre à au moins équilibrer les comptes, sans folie dans le recrutement. Les supporters lensois ne demandaient pas de rivaliser immédiatement avec le puissant voisin lillois, qui s'est habitué à la Ligue des champions. Il aurait accepté des années moyennes en Ligue 1, tant qu'elles auraient vu l'épanouissement de jeunes formés au club et d'un jeu offensif. Ce qu'il n'accepte pas, c'est d'être devenu le spectateur impuissant de la déliquescence de l'empire d'un homme d'affaires que les journalistes qualifient pudiquement de "mystérieux", "étrange" ou "troublant".
 

Jamais nous n'avons été moins enthousiastes de voir notre club entamer une saison en Ligue 1. Nous devrions nous réjouir, après avoir frôlé un maintien en L2. Nous n'y arrivons pas. Lens est devenu la risée d'une bonne partie de la France du football. Son effectif s'est vidé de certains de ses meilleurs éléments durant cette horrible intersaison, qui l'a peut-être irrémédiablement traumatisé. La pérennité de son modèle économique suscite les pires craintes. Son public s'est divisé entre tenants de la théorie du complot, qui voient la DNCG comme aussi hostile à Lens que conciliante vis-à-vis du PSG, et fans désabusés, cherchant péniblement à se convaincre que l'équipe a les moyens de se maintenir dans des conditions aussi défavorables.
 

Il était difficile d'imaginer Lens sans mines. Pourtant c'est arrivé. Il est peut-être temps d'imaginer Lens sans football professionnel. Nous en semblons proches.

 


 


[1] Voir la vidéo : "Le Racing et la mine". 
[2] On trouvera cette histoire, ainsi que celle des 92 années qui suivirent, brillamment retracée, avec une attention particulière au contexte politique, économique et social local, par la Nordiste Marion Fontaine dans sa thèse de doctorat, publiée en 2010 sous forme de monographie (Le Racing Club de Lens et les "Gueules Noires". Essai d’histoire sociale). Le lecteur passionné de football pourra cependant trouver quelque peu dommageables le faible intérêt et la méconnaissance de l'auteur pour le jeu en lui-même, avoués sans fard.
[3] La chanson de Pierre Bachelet est un cas rare en France d'hymne local que connaissent des auditeurs de tout le pays. Souhaitons-lui une postérité aussi éclatante que son pendant lillois, la fameuse Canchon dormoire (plus connue sous le nom de P'tit Quinquin), composée près de cent trente ans auparavant.
[4] Remises par les journalistes de Enquêtes de foot à Reporters sans frontières pour être vendues aux enchères.
Photo 1 : cc Flickr / Guillaume Bavière.

Réactions

  • osvaldo piazzolla le 11/08/2014 à 03h31
    Je trouve le ton de l'article juste et tout supporter a envie de compatir. Par contre, je n'aime pas trop les corrélations entre "étranger" (surtout quand "étranger" rime avec ex-soviétique, musulman, ou autre facteur aggravant) et "mafieux". Je n'ai absolument aucun avis sur Mammadov, j'imagine que les commentaires sur lui sont justifiés, mais je suis parfaitement convaincu qu'en France, nous avons des (et je dirais même que c'est une caractéristique essentielle) présidents ou mécènes qui n'ont rien à lui envier. Nous avons même un président de club à Ajaccio ouvertement d'extrême droite mafieuse avec un nom de stade en hommage à un personnage mafieux et d'extrême droite, sans que ça choque lien puisqu'on est en corse, je ne crois pas qu'au gazelec, ils apprécieraient qu'on qualifie le CA BAstia de "troisième" club corse)

  • myjupiler le 11/08/2014 à 10h10
    La chute de ces clubs sous perfusion d'un argent qui à l'odeur du pétrole ou du gaz guette de nombreux clubs en Europe.
    Chelsea, Manchester City, Paris ou Monaco pour ne citer qu'eux, sont menacés à moyen (court?) terme d'explosion, quand le robinet se refermera.

    Peut-être que nos dirigeants (pas la ligue qui se réjouit de l'explosion des droits TV), mais les gouvernements européens s'en rendront compte un jour et penseront à mettre leur nez dans cette complète dérégulation du football. Dans l'intérêt des supporters, leurs citoyens...

  • Tonton Danijel le 11/08/2014 à 11h28
    osvaldo piazzolla
    aujourd'hui à 03h31

    Nous avons même un président de club à Ajaccio ouvertement d'extrême droite mafieuse avec un nom de stade en hommage à un personnage mafieux et d'extrême droite, sans que ça choque personne.
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    Ca choque un peu, quand même, sur le diaporama, dans certaines gazettes ou sur le forum (parfois).

    Après, difficile d'en faire un article à part entière sans tomber dans le piège de la diffamation, l'homme étant assez mystérieux sur ses activités.

  • osvaldo piazzolla le 12/08/2014 à 16h06
    @Tonton: pardon pour le "personne". j'aurais du écrire "pas grand monde" et ça réchauffe le coeur qu'il y ait des endroits où ça choque.

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