Qui veut la peau des internationaux?
Patrick Vieira s'avoue carbonisé après cinq journées de championnat, mais Arsène Wenger le laisse au charbon. Quant à son collègue Gérard Houllier, il verrait bien les équipes nationales jouer deux fois par an, les années bissextiles.
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Non, Arsène Wenger et Gérard Houllier ne sont pas les dignes représentants du football français, mais figurent plutôt parmi ses pires ennemis. On pourra gloser sur les services rendus à la Nation en ayant révélé des joueurs au plus haut niveau, mais il ne faut pas se bercer d'illusions. Cette mission n'a été remplie que dans le seul intérêt des clubs qu'ils dirigent, et pas un pouce au-delà. D'accord pour entretenir des internationaux, surtout si c'est pour voir augmenter leur valeur marchande, mais l'employeur a droit de corvée sur ses joueurs et les sélections ne peuvent plus en récupérer que les débris (voir L'Europe sauvée des sots).
Gérard Houllier a participé au Forum des entraîneurs organisé par l'UEFA à Nyon début septembre, et il s'est exprimé pour remettre en cause l'utilité des matches amicaux des équipes nationales : "Parfois, quand il s'agit d'un match amical, j'aimerais que les sélectionneurs prennent en compte le fait qu'ils jouent beaucoup de matches à cette période de l'année" (AFP, 04/09). Ce qui est remarquablement malhonnête dans cette réflexion, c'est la façon de poser le problème, les matches de trop étant spontanément présentés comme étant ceux des sélections, comme si les clubs et les calendriers domestiques n'étaient en rien responsables de la situation. "Vous savez, a-t-il encore déclaré, du début de la saison à la fin septembre, il y a environ 46 jours, et au cours de cette période, toutes compétitions confondues, ils vont devoir disputer 12 matches". Soit cinq fois plus de matches de club que de rencontres entre nations sur cette période précise. Pour information, l'équipe de France va disputer en une année entière, du 12 octobre 2002 au 11 octobre 2003, huit matches en tout et pour tout, dont un amical. Une peccadille en regard de la bonne cinquantaine de matches imposés par les clubs anglais à leurs employés les plus méritants (hors matches amicaux).
Mais peu importe, si l'on écoute notre ex-directeur technique national, pourtant nourri à la mamelle de la DTN, s'il faut supprimer quelque chose, ce sont les matches amicaux des sélections. Les sélectionneurs, qui peinent déjà à faire travailler ensemble leur internationaux, apprécieront. "Les joueurs ont trop de rencontres à jouer et ils ne semblent même plus prendre plaisir à disputer des matches amicaux internationaux". Leurs entraîneurs les inciteraient-ils à cette dégoûtation, y aurait-il une part de suggestion ou un souhait dans cette assertion? Les pressions directes ou indirectes qu'ils exercent sur leur cheptel ne peuvent pas être sans effet sur le dévouement des footballeurs à leur maillot national.
Dans un contexte de déprime tricolore, on peut s'inquiéter de ce que la sélection ne devienne une corvée pour certains cadres… Toute ressemblance avec des attitudes remarquées à l'occasion de la dernière réunion du groupe de Santini serait-elle fortuite? Autant dire qu'à force de vouloir rogner les délais de mise à disposition des internationaux et supprimer les matches amicaux, de dissuader les joueurs et de miner leur santé, les équipes nationales n'auront bientôt plus droit qu'à un vague all-star game annuel, le poste de sélectionneur sera attribué par tirage au sort et son travail ne prendra pas plus de quelques heures par an.
Qui vivra Vieira
Dans un mouvement de franchise assez exceptionnel dans ce milieu (on se souvient toutefois des déclarations à l'emporte-pièce d'Emmanuel Petit sur le même sujet), Patrick Vieira a avoué à l'issue d'Arsenal-Manchester City être "carbonisé" et avoir besoin de souffler, annonçant son intention de demander du repos à son entraîneur (L'Equipe, 11/09). Wenger ne l'a pas entendu de cette oreille et il a immédiatement répliqué sur le site officiel d'Arsenal, assurant que le joueur avait fait cette déclaration sous le coup de l'effort fourni pendant le match et qu'il n'avait pas prévu de repos pour lui. "J'ai regardé les statistiques du match de mardi, et physiquement, Patrick a été extraordinaire". Donc il n'est pas fatigué.
L'an passé, Patrick Vieira a joué 53 rencontres sous le maillot des Gunners (52 titularisations et 51 fois en disputant l'intégralité de la rencontre). Depuis la reprise, il totalise déjà huit rencontres en cinq semaines, dont deux avec les Bleus. Les joueurs de son standing ne connaissent quasiment plus d'intersaison. Si un jour on apprend qu'il a avalé un paquet entier de Coramine glucose, il sera difficile de lui en vouloir, ou de s'étonner s'il se fracasse le genou ou perd à nouveau ses nerfs... Quoiqu'à la réflexion, encore un ou deux cartons rouges assortis de quelques invectives à l'arbitre, et il les aura ses vacances.
Le footballeur est bien cet ouvrier qui, pour justifier un salaire exorbitant, doit subir certains traits de la condition d'esclave (s'il ne meurt plus dans l'arène comme le gladiateur, il y laissera quand même sa peau). Tant pis, mais qu'au moins on ne lui enlève pas ces heures de "bénévolat" durant lesquelles il peut représenter autre chose que les intérêts de son boss. Quant à nos figures de proue managériales, Wenger et Houllier se confirment année après année comme de parfaits petits lobbyistes au service des grands clubs (voir la Gazette 59), méprisant totalement le football de sélection. Reconversion assurée au G14?