Passeports: escalade et mots couverts
Stop ou encore?
Les menaces d'une avalanche de recours se précisent dans le sillage des sanctions prises dans l'affaire des faux passeports. C'est le Stade rennais qui veut s'introduire dans la brèche ouverte par Toulouse, et demande que ses réserves déposées à l'occasion de Metz-Rennes (2-2, le 13 janvier), rejetées par la Commission juridique, soient soient réexaminées par la Commission d'appel, en considération de la fausse nationalité présentée par Mondragon sur la feuille de match. Les règlements semblent en effet donner raison à Gérard Lefillâtre, manager du SR, qui veut imiter Toulouse (le TFC avait eu gain de cause en appel) et obtenir la victoire sur tapis vert.
Dans la foulée des premières révélations, de nombreux clubs ont déposé des réserves depuis la 19e journée, au cas où. Mais celles-ci ne sont même pas nécessaires pour saisir les instances disciplinaires. L'AJ Auxerre (déboutée en première instance) peut encore récupérer trois points pour son déplacement à Saint-Étienne (2-0, 16 décembre), de même que le RC Lens (Lens-Saint-Étienne 0-0, 18 novembre) qui réfléchit aux démarches éventuelles. Toulouse a annoncé son intention de mener une procédure identique à l'encontre de Metz (Metz-Toulouse 1-1, 25 novembre). Et il se murmure que certains pourraient s'associer pour demander la rétrogradation pure et simple de Saint-Étienne en D2…
Le classement est donc à merci des recours que pourront encore opposer les adversaires des Verts, des Messins voire des Monégasques, sachant que les résultats déjà homologués peuvent aussi être remis en cause, et que le dépassement du quota de joueurs non communautaire n'entre pas en ligne de compte, mais la seule fraude sur l'identité. Si certains franchissent le pas, les autres vont vouloir les imiter pour ne pas être en reste. Le championnat deviendrait alors un ridicule monopoly, loin des pelouses … Mais les dirigeants vont-ils prendre le risque de déclencher une guerre civile au sein du foot pro, alors que leurs destins sont liés par toutes sortes de relations contradictoires? La seule exécution de l'ASSE semble une solution tellement plus raisonnable.
Urbi et Orbi
Il faut dire que le cas stéphanois semble aussi plombé que Gérard Soler. Etrangement, les déclarations des joueurs concernés par les faux passeports n'ont pas du tout la même teneur selon qu'ils s'expriment en France ou à l'étranger. D'autant qu'après Alex (avant sa comparution) et Levytsky (après), dont les propos avaient été plus ou moins démentis, c'est Berezovski —le gardien arménien dont le transfert presque conclu avait avorté durant l'été— qui charge les dirigeants de l'ASSE, lesquels l'auraient conditionné la signature du contrat à obtention d'un passeport… grec, comme celui que s'est procuré son "remplaçant" (FF 09/02). Alex et Levytsky ne s'étant quasiment pas exprimés devant la presse française, qu'ont-ils déclaré à la Commission juridique? Leur témoignage s'est-il rapproché de ce que les journaux brésiliens ou russes ont rapporté? On veut bien douter de la fiabilité de certaines presses étrangères (et encore, ce serait un peu méprisant), mais une telle convergence est troublante. Pourquoi la Commission a-t-elle tenu le secret sur les témoignages qu'elle a entendus, alors qu'ils auraient pu justifier ses sanctions, notamment à l'égard de Gérard Soler?
Enfin, la "mise au point" des dirigeants toulousains à propos des accusations voilées portant sur Robert Nouzaret n'a fait que souligner cette loi du silence ou du demi-mot qui semble prévaloir dans le football français. L'entraîneur, mais aussi Jacques Rubio et Didier Couécou ont déclaré que le cas stéphanois était un secret de polichinelle depuis longtemps, seul le TFC ayant eu le "courage de monter au créneau" (L'Equipe 10/02). Le président raconte même que constatant le changement de nationalité de Levytsky par rapport au match aller, il avait rencontré Alain Bompard dans le bureau de ce dernier, le jour du match, pour lui faire part de son intention de poser une réclamation si le gardien ukrainien figurait sur la feuille de match. Son homologue a refusé de prendre une telle disposition. Avec les conséquences que l'on sait.
Nouzaret donne son explication de la révélation (en interne) des arrangements stéphanois, avec l'épisode brésilien, plusieurs fois évoqué au cours de l'affaire, qui aurait vu Gérard Soler confier à Bernard Lacombe le mécanisme de transformation de la nationalité des joueurs hors communauté (les nommés avaient démenti cette conversation). De là serait venue la fuite, qui a évidemment coulé dans le bureau de Jean-Michel Aulas, dont on a vu qu'il avait très tôt les cartes en main… Dans les limites de la profession, les professionnels parlent donc.