Omar da Fonseca : « Je préfère mettre des fous sur le terrain »
À la veille du premier match de l'Argentine dans le cadre de la Copa America 2015, il fallait s'entretenir avec Omar da Fonseca. Le consultant de beIN Sports nous a parlé de la sélection de Tata Martino, de l'héritage de Menotti mais aussi du football français.
Au bout du fil, Omar Da Fonseca cherche désespérement un moyen de rallier le Chili. Il se trouve encore en Argentine, où il vient de passer quelques jours en famille, et la grève des transports tombe mal. Malgré cet imprévu, le consultant argentin de beIN Sports a fait une pause dans ses recherches pour nous parler. On comptait se focaliser sur la Copa America, et puis les histoires d’Omar nous ont ramené en France petit à petit, sans oublier Javier Pastore, Ever Banega et Marcelo Bielsa. Au final, un entretien qui déborde de romantisme.
L’Argentine aborde cette Copa America avec quel statut?
Celui de prétendante, de favorite même. Pour moi, si elle n’arrive pas en finale, c’est presque une faute professionnelle. Quand on se dit qu’à l’intérieur de cette équipe, il y a le meilleur buteur d’Angleterre, un des meilleurs buteurs d’Italie, le meilleur buteur d’Espagne (Messi a en fait terminé deuxième derrière Ronaldo, ndlr), Mascherano, Banega, qui a gagné l’Europa League, Otamendi, Garay, Di Maria, qui n’a pas joué, certes... et avec un Messi gonflé à bloc, parce qu’il y a surtout Messi! Il faut en profiter. C’est la sixième ou septième grosse compétition internationale avec Messi. Ça serait du gâchis si l’Argentine ne gagnait rien du tout avec lui.
Pastore était titulaire contre la Bolivie en amical il y a quelques jours. Il y a une place pour lui au milieu?
Il a une énorme carte à jouer. J’aimerais bien voir l’Argentine copier le système, le modèle du Barça. Aujourd’hui, je pense qu’il faut que Messi joue un peu sur le côté, en partant de là, sans le figer, sans le discipliner, avec Agüero dans le rôle de Suarez, Di Maria dans le costume de Neymar, Mascherano comme Busquets, Banega comme Rakitic, et là-dedans, Pastore a une énorme carte à jouer! Il peut faire l’Iniesta. C’est le seul qui peut le faire. Biglia, Gago et Lamela ne peuvent pas. Pastore a cette possibilité de jouer dans le dos du milieu défensif adverse, entre les lignes. Et on sait que Messi et son entourage proche ont une influence en équipe d’Argentine. Le côté créativité, entente, une-deux, passes, possession, contrôle du jeu... J’espère que Martino ira vers cette tendance et qu’il ne jouera pas avec Higuain ou Tevez, je crois que ce ne sera pas la bonne méthode de jouer avec autant d’attaquants. On l’a déjà expérimentée et ça n’a pas marché. Lors de la dernière Copa America, en Argentine, ils avaient fait jouer tout le monde, Tevez, Higuain, Lavezzi, Di Maria, il y avait cinquante-cinq attaquants! Et on était passé à la trappe. J’avais couvert la compétition, j’étais à Canal à l’époque: il (Sergio Batista, sélectionneur à l’époque, ndlr) avait fait jouer Agüero, Higuain, Tevez sur un côté, Messi derrière tout ça, Di Maria au milieu et Pastore était entré en deuxième mi-temps! Il faut jouer dans le modèle barcelonais avec un seul attaquant pour que Messi s’en serve. Le problème, c’est qu’on n’a pas de latéraux. Zabaleta et Rojo, bon…
Surtout Rojo, c’est un peu faible offensivement...
(Soupir) Déjà à la Coupe du monde, l’année dernière... Zabaleta, ça va, il fait encore peur, mais il n’a pas du tout la qualité technique de Daniel Alves, l’aisance balle au pied pour combiner. On ne peut pas faire ce qu’on a fait à la Coupe du monde, c’est-à-dire laisser cinq, six joueurs derrière la balle, derrière Messi, et qu’il se démerde. Ce n’est pas du tout ça au Barça, où il a cinq, six joueurs devant lui quand il a le ballon. Les propositions, les options sont constantes. Il faut jouer avec un seul attaquant, qui sera Agüero, et Tevez ou Higuain entreront en jeu.
L’Argentine de Martino est quand même plus menottiste que celle de Sabella, non?
Oui, et c’est ce que je préconise tout le temps. Ici, en Argentine, on est divisé, peut-être pas 50-50, mais on a les bilardistes et les menottistes. Et moi, je suis à fond dans le menottisme, je suis à l’extrême du menottisme! Avec Valdano, Bielsa, Gallardo, Guardiola, Berizzo…
Vous avez suivi un peu le Celta Vigo de Berizzo cette saison d’ailleurs?
Oui. C’est très bon, très bien ce qu’il fait. J’ai commenté certains de ses matches, contre le Real Madrid notamment. Des matches magnifiques. Il est un peu comme Bielsa, avec cette histoire de marquage individuel sur les milieux, avec des défauts peut-être, d’accord, mais tu ne t’ennuies jamais. Ils peuvent perdre, d’ailleurs ils ont perdu contre le Barça, avec un but de Mathieu en fin de match. Mais qu’est-ce qu’ils avaient bien joué! Ils méritaient autre chose. De toute façon, Martino joue beaucoup aussi. Lors de son expérience au Barça, là-bas, on ne l’a pas traité de débile mais pas loin, on a parlé de ses limites, parce qu’il n’a rien gagné. Il ne faut pas oublier qu’il a perdu le titre à la toute dernière journée contre l’Atlético. Donc il se doit de gagner, mais le style de son football va être à nouveau mis en cause.
« Je suis à fond dans le menottisme, je suis à l’extrême du menottisme ! Avec Valdano, Bielsa, Gallardo, Guardiola, Berizzo… »
Vous n’avez pas peur qu’il mette Biglia ou Gago pour sécuriser le milieu, comme Sabella à la Coupe du monde?
Pfff... Je n’aime pas du tout ces joueurs-là (rires). Pour moi, c’est du diesel. Je parlais un peu à Martino l’autre jour, je lui ai dit qu’il fallait jouer! Mascherano et Banega, je crois qu’il va les associer. S’il met Lucas Biglia ou Gago, il va montrer un peu de caguette et s’il montre un peu de caguette et qu’il ne gagne pas, il va se faire taper sur les doigts. Le premier match contre le Paraguay va donner la tendance. L’idée reste de valoriser Messi, chose qu’on n’a pas faite à la Coupe du monde ni à la dernière Copa America. En Argentine, on ne sait pas appuyer Messi. Messi n’est pas un joueur qui va faire des appels, attaquer les espaces. Il faut que la balle trouve Messi. Pour ça, il faut qu’il soit le plus proche de la surface adverse, pour qu’il puisse appuyer sur le bouton et décider du moment. Pour ça, il faut qu’il y ait du monde qui bouge autour, avec de la construction et de l’élaboration. Il faut s’installer dans le camp adverse, avec Di Maria, Pastore et Banega.
La renaissance de Banega cette saison a dû vous plaire...
Quand il n’était pas allé à la Coupe du monde, j’avais trouvé ça scandaleux. Je n’aime pas du tout les milieux "passeurs de balle", les Gago, les Biglia, les Clément (oui, Jérémy, ndlr). L’excellence du football, c’est un milieu qui casse des lignes, soit par le un contre un, soit par la passe, ce que font Iniesta, Rakitic, Vidal, et Banega. Certains disent que c’est un faux milieu, etc. Mais je préfère mettre des fous sur le terrain que des mecs prévisibles. Dans le football, il faut se désorganiser pour déstabiliser, et avec les joueurs que l’Argentine a... Quand je vois défendre Cavani à Paris, je me dis qu’on marche à l’envers. Bon, là, il ne va pas beaucoup défendre, il sera le seul attaquant de l’Uruguay.
Vous voyez une équipe créer la surprise dans cette Copa America?
Non, pas vraiment. Je pense que les demi-finales seront Chili-Colombie et Argentine-Brésil. Avec Chili-Argentine ou Chili-Brésil en finale, mais on va manger les Brésiliens, ils n’ont que des défenseurs.
D’ailleurs, dans les menottistes, on avait oublié Sampaoli (sélectionneur de la Roja)...
Absolument! Le Chili va faire le spectacle, c’est une équipe assez homogène. Ils ont Valdivia, un joueur que j’adore, qu’on connaît beaucoup moins en Europe. Il va faire un festival, et puis avec Alexis et Vargas... Alexis est en train de manger Zamorano, de devenir l’icône du football chilien, grâce à la saison qu’il a fait. Et puis Sampaoli, c’est un entraîneur que j’aime beaucoup, souvent dans l’auto-critique, comme Bielsa, des fous qui mènent 2-0 et rajoutent un attaquant.
Comme Paco Jemez au Rayo Vallecano en fait?
Ah, lui, je l’adore... Je regarde tous ses matches! C’est un phénomène! Il fait jouer quatre numéros dix ensemble. Je me fais toujours charrier, on me parle des moyens, tout le temps les moyens... Le Rayo Vallecano, c’est dix-huit millions de budget. Ça fait cinq ans, ils finissent toujours douzièmes. Et surtout, ils marquent des buts! Ensuite, on me dit qu’ils prennent 5-0. Bien sûr, contre le Real Madrid, ça leur arrive. Mais tu payes un billet et tu ne t’ennuies jamais.
« Sampaoli, c'est un entraîneur que j'aime beaucoup, souvent dans l'auto-critique, comme Bielsa, des fous qui mènent 2-0 et rajoutent un attaquant »
Et si on le faisait venir en France?
En France, en France... Ils n’aiment pas les étrangers. Regarde ce que Bielsa prend dans la gueule déjà...
Pour revenir à l’Argentine, en plus de ceux déjà présents, il y a de l’avenir en attaque...
On a du monde! Vietto, Icardi, et Dybala que je connais très bien. Il a une bonne frappe, il a une certaine vitesse mais il n’a pas une conduite de balle très juste. C’est une espèce de Cavani avec un peu plus de folie. Ses prises de balle ne sont pas toujours très serrées. Mais il élimine et va vite. Je l’avais proposé à Saint-Étienne, il jouait dans un tout petit club, j'étais allé le voir quatre, cinq fois. Je l’avais suivi pendant très longtemps.
Ça s’est passé comme avec Pastore alors?
Oui voilà, un peu comme Pastore. Mais en France, quand les joueurs sont aussi jeunes, le premier regard du recruteur se porte sur le physique. Je parle souvent à des entraîneurs, la première question qu’ils te posent, 90% du temps, c’est "Est-ce qu’il va vite, est-ce qu’il est puissant?" Ce sont les deux premières questions qu’on te pose. Mais moi je m’en fous! Je ne relève pas l’aspect physique. Par contre, le un contre un, la couverture de balle, les appels de balle, oui. Quand ces joueurs-là sont encore jeunes, encore frêles, comme Pastore, qui faisait quarante kilos tout mouillé quand il a fait un essai à Saint-Étienne, on te dit "Il n’est pas puissant, il n’est pas endurant". Tout ça, c’était vrai! Bien sûr que c’était vrai. Mais ce n’est pas ce qu’il faut regarder. Il faut voir le reste, la technique, le contrôle, le maniement, parce que Pastore avait déjà tout ça. Mais encore une fois, il faut avoir un esprit, une approche du football complètement différents. Je suis en Argentine en ce moment, je le vois, je suis allé à des entraînements, ils font toucher la balle aux jeunes. Ici, jusqu’à quatorze ans, tu joues sur des petits terrains, tu fais des neuf contre neuf, on leur apprend. Le mec qui sait dribbler, on le force à continuer à dribbler, on ne lui dit pas (Omar crie, avec autant si ce n’est plus de "a") “Donne ta baaaaalle!” comme en France.
Vous avez proposé beaucoup de joueurs comme ça?
Oui, beaucoup. Bon, j’ai fait venir des tocards aussi. Parfois, je me suis sérieusement trompé. Bilos, je l’ai fait venir à Saint-Étienne. Un désastre. Guarin, je l’ai fait venir à Saint-Étienne. Matuidi et Payet aussi! Matuidi, je le connaissais à Vincennes et puis à Troyes également, parce que je suis très proche de Jean-Marc Furlan. Payet était à Nantes et j’aime bien les joueurs qui dribblent. Je l’ai vu trois ou quatre fois, dans le un contre un, il était bon. J’aime les mecs qui éliminent. Faire contrôle et passe, c’est plus ou moins permis à une masse importante de joueurs. Lorsqu’il faut faire un contrôle et enchaîner un dribble ou une feinte de corps, une passe longue, pas toujours plat du pied sécurité, ça rentre déjà dans une catégorie de joueurs plus difficiles à trouver.
Payet a fait une super saison avec Bielsa, en numéro 10, au coeur de son système de jeu...
Ah oui. Le seul qui a mis Payet au milieu comme ça, c’est Bielsa. Avant, en équipe nationale, on le faisait jouer à droite. Comme Ribéry, qu’on voulait faire jouer à droite à un moment. Tu ne peux pas. Il se sent mieux à gauche. Si tu le mets à droite, il a le terrain à l’envers.