Luttes de pouvoir
Invité : When Saturday Comes – Quand les compositions d'équipes sont faites par les joueurs cadres plutôt que par les entraîneurs, les choses ne peuvent que mal finir.
Nouvel épisode de notre partenariat avec When Saturday Comes avec un article extrait du numéro de février. Titre original : Power Struggles.
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Pour un observateur extérieur, il paraît insensé qu'un club qui n'a quasiment pas quitté les quatre premières places depuis le début de la saison fasse l'objet de rumeurs l'annonçant en pleine tourmente et sur le point de limoger son manager. C'est pourtant très exactement la situation dans laquelle Chelsea et Andre Villa-Boas se sont retrouvés, à différents moments qui ont généralement coïncidé avec de très relatifs creux dans les performances ou les résultats. Les spéculations ne sont toutefois pas parties de là: elles ont éclos dans l'ombre où s'exerce constammentle pouvoir des joueurs.
Le choix de Villas-Boas
Le noyau de l'équipe est resté inchangé et est allé de succès en succès tout au long de l'ère commencée avec la prise de pouvoir de Roman Abramovitch. Au cours de cette période, on a dit que chaque entraîneur n'a été embauché puis licencié qu'après consultation de ces joueurs omnipotents. Mais voilà que Villas-Boas commet le péché de défier l'influence auparavant incontestée de ces joueurs cadres.
Ceux-ci sont incontestablement perturbés, John Terry et consorts voyant dans la mise à l'écart de Lampard le signal de leur propre condition de mortels, de plus en plus tangible. Chelsea dispose d'un groupe vieillissant qu'il va falloir régénérer. Certaines préférences tactiques du nouvel entraîneur, comme une défense évoluant haut et défavorisant des joueurs au crépuscule de leur carrière, en peine de tenir le rythme, peut aussi s'interpréter comme une volonté de les remplacer. Mais curieusement, l'histoire alors racontée par la presse fut celle de la précarité de la position de Villas-Boas.
Photos : thesportreview.com (creative commons)
Il a été avancé qu'un nouvel entraîneur n'aurait pas été embauché sans discuter de son programme avec le propriétaire, et que ce dernier a forcément connu et approuvé l'intention de remplacer à brève échéance des stars en déclin. Ce n'est pas nécessairement vrai. Ce scénario présume que Villas-Boas n'a pas changé ses plans depuis sa prise de fonction. Pourtant, après quelques semaines d'observation des joueurs, il a très bien pu décider d'accélérer leur inéluctable remplacement. Seuls les membres du club savent ce qu'il en est. Peu importe, d'ailleurs: la question est que le manager doit être capable de prendre des décisions difficiles concernant l'équipe. S'il n'a pas ce droit, ce pas un manager du tout, juste un bouc émissaire.
Le crépuscule des vieux
Rares sont les joueurs capables d'évaluer honnêtement le déclin de leurs forces. Même ceux qui arrivent à reconnaître un creux dans leurs performances vont estimer pouvoir surmonter la difficulté, comme ils y sont à chaque fois parvenus par le passé. Mais lorsqu'il s'agit des effets de l'âge, il n'y a pas de come-back possible. C'est la raison pour laquelle donner le pouvoir aux joueurs est toujours une erreur. Accorder à un joueur – ou plus souvent à un groupe de joueurs, le privilège de décider de qui doit figurer dans l'équipe va provoquer toutes sortes de problèmes. Personne ne peut diriger un club où certains joueurs ne peuvent être écartés – à plus forte raison s'ils décident aussi qui doit toujours jouer. Les conséquences sur l'esprit du groupe ne peuvent être en rien bénéfiques. Et, plus grave encore, si l'objectivité des choix de joueurs est sujette à caution, toutes les décisions managériales le sont également.
Les exemples de prises de pouvoir des joueurs ne sont pas si rares. À la suite de la relégation de Newcastle, l'entraîneur Chris Hughton a autorisé la création d'un comité de joueurs cadres tels que Kevin Noland et Joey Barton. Ils avaient pour mission de discipliner le vestiaire, théoriquement sans influence sur les feuilles de match. Alors que le groupe s'était soudé pour obtenir une remontée rapide, le nouveau coach Alan Pardew se sentit moins à l'aise avec leur emprise et la plupart des membres du comité furent expédiés ailleurs.
La Coupe du monde 2010 de la France a été marquée par la grève des joueurs en réaction à l'exclusion de Nicolas Anelka. La désintégration qui a suivi donne une idée de la sottise de ce genre d'initiatives, même en tenant compte de la faillite bien documentée du leadership de Raymond Domenech. Lors de la même compétition, John Terry annonça son intention d'obtenir un entretien avec Fabio Capello afin d'appuyer la titularisation de son ami Joe Cole, attendant pour faire machine arrière que l'entretien lui soit refusé.
À Chelsea, Villas-Boas est avantagé par le fait que plusieurs de ses joueurs-clés atteignent ensemble un âge avancé. Cela lui a permis d'entamer le démembrement du grand Chelsea de la dernière décennie. Cependant, même indépendamment de la limite d'âge, un entraîneur devra toujours résister aux désaccords émanant de son groupe. Tout autre façon de procéder serait rendre un mauvais service à un club qui doit espérer être plus grand que n'importe quel groupe de joueurs.