Le racisme devant les juges, pas devant les caméras!
Un dérapage prévisible
Dans l'exemple strasbourgeois, les graffitis ne sont que le dernier épisode d'un phénomène qui avait déjà culminé en décembre 99. Après une victoire surprise à St-Etienne, Claude Le Roy avait lâché quelques propos vindicatifs qui avaient déclenché une sérieuse polémique: "Cette victoire va faire taire les fachos et les nazillons qui abîment l'atmosphère du Racing". Quelques dignes Alsaciens (dont Jean Wendling, président du conseil de surveillance du RCS) s'étaient élevés contre ce qu'ils avaient voulu prendre pour une attaque contre leur région, niant presque l'existence de telles dérives. Le Roy avait dû ensuite préciser qui il désignait, tout en soulignant la nature des faits: "Ma remarque ne vise qu'une petite minorité, pas même un millième des gens qui nous entourent. Ceux qui nous envoient des fax avec des insultes racistes par exemple. Sans parler de ce colis contenant des excréments "de la même couleur que tes nègres"".
Le début de saison catastrophique du Racing a vite fait de réveiller ces démons, trop heureux d'une telle opportunité. Les débordements dans les tribunes et près du parking des joueurs avaient été saisis par des caméras complaisantes (voir Strasbourg: suicide en direct), il ne manquait qu'un geste lamentable pour pourrir un peu plus la situation.
Un graffiti de chiottes au journal de 20 heures
Les images des dégradations effectuées aux guichets de la Meinau sont suffisantes pour avoir une idée des facultés mentales de leurs auteurs: une croix gammée génétiquement modifiée, qui n'a visiblement pas été dessinée par un spécialiste, et un "Le Roy sale juif" presque assez grotesque pour faire sourire. Deux ou trois imbéciles ont eu assez d'instinct pour comprendre que ce geste aurait un joli retentissement. Et de fait, ces images se retrouveront sur toutes les chaînes, jusqu'au 20 heures de TF1!
Le problème est que dans les sujets d'actualités, comme dans les reportages sur le hooliganisme, les journalistes produisent un effet de loupe sur une minorité qui serait négligeable si elle n'était aussi nuisible, confortent l'opinion publique dans l'idée que les stades sont des nids de fachos et donnent l'impression que le phénomène est généralisé. S'il semble perdurer, c'est surtout parce qu'il est toujours surexposé dans nos lucarnes: le piège fonctionnera tant que les médias (et surtout les télévisions) voudront montrer ces aspects tristement "spectaculaires" plutôt que rendre compte simplement des faits et de l'état des poursuites, ainsi que de la réalité de ce hooliganisme xénophobe (cité pat l'AFP, le directeur du stade la Meinau Serge Cayen estime de 10 à 40 le nombre d'extrémistes). Pour cela, il faudrait éviter de regarder ailleurs le reste du temps, enquêter un peu plus sérieusement et exiger des clubs et des instances qu'elles combattent le fléau.
Un tournant dans les clubs?
Pourtant, de tels actes ne doivent évidemment pas être tolérés et l'on ne peut qu'approuver les réactions sans ambiguïté du club (pris dans la confusion d'une débâcle sportive) et de la mairie qui ont porté plainte pour incitation à la haine raciale, avec le soutien de la préfecture du Bas-Rhin, de la mairie, du ministère et des associations (LICRA, CRIF, SOS racisme). On peut aussi y voir les signes d'une évolution intéressante, qui fait écho aux mesures prises l'an passé par le PSG: soumis à une pression plus intense de l'opinion publique, dans le contexte favorable d'une régression de l'extrême droite et de ses effectifs dans les stades, il semble que les clubs soient résolus à mettre fin à leur passivité en la matière. Les dirigeants devront établir des stratégies et prendre des mesures concrètes, montrer qu'ils s'engagent sur ce terrain-là. Il y a du chemin à parcourir, notamment pour ceux d'entre eux qui déclinent encore toute responsabilité vis-à-vis de leurs supporters et appliquent la politique de l'autruche.
Souhaitons que la tendance se renforce un peu partout et que les soi-disant supporters racistes soient clairement désignés comme indésirables, exclus symboliquement et physiquement des stades, et dépossédés enfin de ce moyen d'expression de leur haine. Au grand soulagement de l'immense majorité des spectateurs.