Le Général Hiver frappe-t-il par surprise ?
Et cinq de plus ! qui dit mieux ? La 21e journée de D1 et la 23e journée de D2 sont à leur tour tronquées par le report de quatre nouvelles rencontres, ce qui porte à 26 le nombre total de matchs décalés. Il faut remonter à l’hiver 1984-1985 pour retrouver trace d’une pareille hécatombe. La faute est bien sûr rejetée sur ce phénomène climatique incongru qu’on appelle hiver, et qui a frappé dès le mois de décembre. Mais est-il le véritable responsable?
Un calendrier démentiel pour un championnat tronqué.
Encore une fois, Metz ne joue pas. Cela fait plus d’un mois que le club lorrain n’a plus disputé de compétition officielle. Le club se retrouve avant-dernier du championnat avec trois matchs en retard. Les joueurs sont à court de compétition, et les entraînements sont aussi perturbés. Leur moral s’en ressent, et on peut craindre certaines difficultés lors de la reprise sans cesse repoussée. Pour compenser, les dirigeants organisent des matchs amicaux dans des contrées moins touchées par le gel, mais au lieu de toucher les entrées d’un stade plus ou moins plein, ils doivent supporter les frais du déplacement, entre 10.000 et 15.000 euros. Si le cas de Metz semble presque caricatural, seuls cinq clubs de D1 ont pu disputer tous leurs matchs: Guingamp, Sochaux, Nantes, PSG et Rennes. Et ce n’est peut-être pas terminé, car le mois de février est statistiquement le plus froid de la saison.
Le calendrier est donc complètement chamboulé. De plus, en cette année de Coupe du monde, l’obligation de terminer le championnat le 4 mai est absolue. En raison des coupes nationales (elles-mêmes perturbées) et européennes, il ne reste guère plus de créneau de libre, ce qui va contraindre la Ligue à faire disputer un maximum de rencontres en semaine à des heures inhabituelles (fin d’après-midi). En effet, les impératifs des retransmissions télévisées des coupes signifient que ces matchs reprogrammés ne doivent pas se jouer à la même heure. Le manque à gagner sera d’autant plus important pour ces clubs que les affluences dans les stades ne seront vraisemblablement pas comparables à celle d’un sacro-saint samedi soir.
Le calendrier de la fin de saison sera donc démentiel pour certains clubs, qui ne manqueront pas de souligner que le championnat est de fait faussé, surtout s’ils restent longtemps en course dans les coupes. Finalement, Lyon peut se réjouir de s’être fait éliminer de la Coupe de la Ligue. Et tout le monde que le passage à vingt clubs n’ait pas eu lieu cette saison.
Est-ce évitable ?
A priori, la réponse est non. Surtout si on lit les commentaires des dirigeants de la Ligue. Pourtant, ce phénomène est bien français, et essentiellement circonscrit dans le nord-est du pays réputé pour son climat plus continental. Le nombre de reports est limité dans les îles britanniques, même en Ecosse en raison d’un climat plus océanique où l’on connaît moins le gel. Nos voisins insulaires ont aussi appris, eux, à gérer les problèmes de neige. Les Allemands, connaissant un climat encore plus continental quant à eux, ont trouvé depuis longtemps la solution en prévoyant une longue trêve hivernale, au cours de laquelle les équipes professionnelles disputent des tournois en salle très prisés outre-Rhin. Les Scandinaves et les pays de l’est ont pour la plupart un championnat d’été, tandis que les pays méditerranéens jouissent d’un climat plus clément.
Cependant, vous aurez peut-être remarqué que Sochaux est l’un des rares clubs français à ne pas être touché par cette fatalité d’autant plus étrange que le pays ne connaît pas une vague de froid exceptionnelle comme lors de l’hiver 1984-1985. Le cas des Lionceaux est d’autant plus remarquable que leur ville est, selon les statistiques de la météorologie nationale, la plus froide de celles qui ont un club en première division. De plus, l’orientation nord-sud du stade Bonal a pour conséquence qu’une partie de la pelouse est quasiment constamment à l’ombre, donc encore plus menacée par le gel. Il n’y a pas de mystère pour autant: la pelouse est chauffée par un système de câbles souterrains. Coût total de l’installation: 274.000 euros, soit environ 1.8 MF. Plus quelques dizaines de milliers d’euros pour l’entretien et le fonctionnement. L’investissement est dérisoire par rapport aux sommes engagées dans l’achat de joueurs, et les coûts de fonctionnement sont bien moindres que le manque à gagner par ces reports. Qui paie alors? Comme le montre l’article sur la folie des grandeurs des stades, les collectivités locales sont dans la plupart des cas propriétaires des installations sportives, et elles sont déjà grandement mises à contribution sur le sujet. Difficile de leur en demander plus? L’argument est creux. Rien n’empêche un locataire ou un usager quasi-unique d’engager ce genre de travaux avec l’accord du propriétaire. Au contraire.
Cette hécatombe était donc évitable, et sa véritable cause n’est pas un phénomène climatique somme toute normal malgré les risques de réchauffement de la planète. Il faut encore une fois chercher plutôt une explication du côté de l’imprévoyance et de l’immobilisme habituels des dirigeants et des instances du football français, qui préfèrent s’en remettre à la fatalité et proposer des solutions difficiles à mettre en application et qui, les beaux jours revenus, seront probablement vite oubliées. Certains dirigeants proposent en effet de rallonger la trêve hivernale, comme cela avait été mis en place à la fin des années 1980 après deux hivers rigoureux. La différence aujourd’hui, c’est que le calendrier est beaucoup plus chargé avec la multiplication des compétitions (Coupe de la ligue, Intertoto, Ligue des champions sous forme de poule), sans parler du passage de la D1 à 20 clubs. Toujours le mot pour rire, Bourgoin quant à lui met à l’ordre jour de la prochaine réunion de la Ligue la mise en place d’un championnat d’été, ce qui figure d’ailleurs dans les projets de certains membres de l’UEFA. Mais comment faire? Avancer progressivement sur quatre ans les prochains championnats en juin, mai, avril puis mars? Ce sera de toute manière difficile à concilier avec les coupes européennes de clubs et les compétitions d’équipes nationales, et il faudra croiser les doigts pour espérer que l’hiver sera clément d’ici-là. L’une ou l’autre de ces solutions est illusoire tant qu’une harmonisation globale ne se fait pas au niveau européen. Et pour ça, il sera sûrement long et difficile d’obtenir l’accord d’une forte majorité et de faire preuve d’une volonté suffisante.