La folie s'empare du marché des transferts, la bêtise aussi
Été après été, les records sont battus, et celui de Crespo à la Lazio (370 MF) semble même en sursis. Il faut donc compter en centaines de millions allègres pour acquérir une star ou une demi-star, les transactions passent par des montages de plus en plus alambiqués et des intrigues obscures, les intermédiaires et les commissions plus ou moins occultes se multiplient. Les transferts formulés en francs il y a quatre ou cinq ans le sont aujourd’hui en euros, sans que la somme ait changé! Et par-dessus tout, le destin des joueurs se décide au terme de négociations ubuesques, comme dans cette ridicule comédie jouée par le Real autour de Figo, Zidane et Anelka.
Bienvenue dans la salle des marchés
Les chiffres qui circulent semblent avoir perdu toute mesure, en totale disproportion avec les résultats sportifs que les clubs peuvent réellement escompter, et ce quelle que soit la qualité exceptionnelle des joueurs concernés. À ce jeu, il ne faut plus seulement considérer la valeur sportive avérée d’un joueur, mais aussi sa valeur potentielle (comme dans le cas des espoirs dont l’âge est un élément important de la plus-value à venir), et surtout sa valeur purement marchande, qui est de plus en plus découplée de la première. Les joueurs deviennent un capital purement financier (que les clubs aimeraient d’ailleurs bien pouvoir inscrire dans leurs actifs), évalué selon sa cote sur le marché, donc très volatil. L’aspect sportif devient presque secondaire, l’essentiel étant de réaliser une belle opération financière et publicitaire (permettant déjà de générer du chiffre d’affaires, notamment grâce à l’effet de la publicité réalisée (sur le merchandising et les abonnements). Le pillage des centres de formation montre aussi que la spéculation frappe à tous les niveaux, sans aucun scrupule.
Quand cette bulle spéculative va-t-elle exploser? Un club qui recrute pour 200 millions de brouzoufs espère revendre contre 400 deux ans plus tard, en postulant que l’inflation se poursuivra à son rythme actuel. Mais si le marché s’écroule à cause de plongeons répétés, on suivra avec curiosité ceux qu’il entraînera dans sa chute. Peut-être les dirigeants se rappelleront-ils alors qu’il vaut mieux avoir la meilleure équipe que les meilleurs joueurs, et que cela coûte en outre moins cher.
Des joueurs complices et victimes
Les objets de tous ces délires se prêtent eux-mêmes à ce jeu, avec le concours intéressé de leurs agents. Leurs organisations professionnelles comme l’UNFP veulent les protéger de tout retour sur les conséquences de l’arrêt Bosman (contre les quotas de nationalité dans les clubs ou la réforme du système des transferts et des contrats), au nom de la liberté de leurs clients, qui ne doivent pas être “traités comme du bétail“ à la merci de leurs employeurs. L’intention n’est pas mauvaise, mais les joueurs sont pourtant les esclaves de (grand) luxe de ce marché spéculatif et leur évolution de carrière est totalement dépendante d’opportunités sans rapport avec une quelconque logique sportive. Quel a été le bénéfice pour les intéressés (autre que financier) de parcours comme ceux d’Anelka, Dabo ou Camara? Quel bénéfice a retiré Karembeu de sa volonté d’aller au Real? Comment sont compensées les blessures ou d’ex-recordmen comme Ronaldo et Vieri, ou les échecs à la Denilson? Combien sabordent prématurément leur carrière à cause mauvais choix fatals?
Par ailleurs, on voit déjà éclore une génération de joueurs qui ont parfaitement intégré le système et compris qu’ils sont les maîtres de ce jeu. Comme Wiltord à Bordeaux, ils engagent des bras de fer avec leurs clubs, avec les armes pour l’emporter. Juste une hypothèse: avec 20 millions de francs à la signature, 40 millions de salaires en deux ans et les revenus d’image, les sommes atteintes ne permettront-elles pas des retraites très anticipées? Les joueurs concernés pourront précocement arrêter leur carrière avec un pactole suffisant pour le restant de leurs jours… Évidemment, l’appât du gain constitue une motivation toujours renouvelable, mais est-elle suffisante pour rester au plus haut niveau? Sans aller jusque-là, les sommes touchées changent nécessairement les comportements de vedettes de plus en plus individualistes, encouragées en cela par la mentalité mercantile des clubs eux-mêmes. Le cynisme du business se propage rapidement.
Les contrats sont bafoués et perdent tout sens, leur durée nominale étant de pure forme (voir les 12 années de contrat de Luccin à l’OM…), les clubs perdent leur identité dans la grande valse des intersaisons, l’écœurement gagne les supporters, mais les présidents comme Cragnotti s’enthousiasment des perspectives de profit infinies qui s’ouvrent devant eux et ouvrent les robinets de cash.
On se prend alors à rêver de punitions sportives ou économiques exemplaires, à des fiascos encore plus spectaculaires que ceux récemment connus par certains cadors, à des relégations cinglantes ou des redressements judiciaires sans appel, à des PSG-Gueugnon dans toute l’Europe… Quoi qu’il en soit, attention au retour de balancier.