La soirée de Nîmes a montré à la fois la belle capacité de mobilisation des footballeurs, sous l'égide d'un Laurent Blanc égal à son image, et l'indifférence ou la mauvaise volonté d'une autre partie du football professionnel…
À l'initiative de Laurent Blanc, les champions du monde de 1998, renforcés de quelques joueurs, ont donc affronté l'OM dans un match au profit des victimes des inondations qui ont eu lieu dans le Sud-Est, au mois de septembre. Le geste est à l'image de la classe et de la générosité dont a fait preuve l'ex-défenseur des Bleus tout au long de sa carrière. On peut cependant s'interroger sur l'attitude de certains vis-à-vis de cet événement — entraîneurs et dirigeants étrangers, qui n'ont pas libéré certains joueurs pour participer à la fête, mais également certains de ces derniers, qui n'ont pas semblé très prompts à se plaindre de ce traitement.
Un geste remarquable… et rare
L'idée de cette soirée au profit des sinistrés du Sud-Est est née dans la semaine même qui a suivi les inondations dans le Gard. Laurent Blanc, l'enfant du pays, décide en effet de mobiliser ses ex-compagnons de l'aventure bleue de 98 pour organiser un match sur les lieux mêmes de la catastrophe (ou en tout cas à proximité: ce sera finalement à Nîmes). Sa "volonté première est de récolter des fonds, mais également de donner du plaisir à des gens meurtris". Sur le principe, plusieurs joueurs s'engagent dès l'annonce publique de la soirée pour soutenir l'initiative. Finalement, le défenseur de Manchester convie également les six joueurs écartés au dernier moment par Aimé Jacquet avant la Coupe du Monde, ainsi que plusieurs footballeurs ayant côtoyé la sélection nationale à diverses époques (Angloma, Vairelles, Djorkaeff etc.). C'est finalement l'OM qui est choisi pour affronter les Bleus, sur proposition du club des Bouches-du-Rhône.
Ce geste de Laurent Blanc est tout d'abord remarquable parce qu'il est rare. Il n'est pas fréquent de voir des joueurs de football s'impliquer aussi spontanément dans un acte citoyen (même si les actions caritatives font de plus en plus partie de leur activité).
On se rappelle ainsi qu'au mois de mai dernier, plusieurs d'entre eux avaient reconnu ne pas avoir accompli un geste aussi simple que de se déplacer dans un bureau de vote pour les élections présidentielles. Le fait même de répondre à des journalistes sur des questions de société est souvent considéré comme dépassant le champ des compétences des footballeurs, y compris quand les questions soulevées sont en relation directe avec leur activité professionnelle (voir
Responsabilité limitée).
Il est donc réjouissant de constater que plusieurs joueurs se sont engagés de façon positive: si cette initiative est à l'instigation de Laurent Blanc, elle est aussi la première action de l'association "France 98" dont Didier Deschamps est le président et Henri Emile le secrétaire (Laurent Blanc étant le trésorier, et non… le président). Un regroupement, qui selon le défenseur central de Manchester United aura pour but de développer ce genre de manifestations, en rendant au public ce que ces derniers ont donné aux Bleus.
Voir ainsi des footballeurs mettre leur image et leur savoir-faire en commun dans un but d'intérêt général ne peut qu'être applaudi. Il faut maintenant espérer que cet exemple, qui vient d'en haut, soit repris par d'autres professionnels du milieu du foot. On ne se fait pas trop d'illusions, mais ça ne coûte pas grand-chose de le souhaiter.
Jamais gratuit
Pour autant, cette belle initiative a été quelque peu ternie: plusieurs entraîneurs et dirigeants de clubs se sont ainsi opposés à ce que leurs internationaux rejoignent le groupe de Laurent Blanc dans le Gard. Une partie d'entre eux appartiennent à un G14 qui exerce une pression croissante sur les fédérations afin que ces dernières réduisent le nombre de leurs matches amicaux: visiblement, cette partie contre l'OM, même labellisée "match à vocation humanitaire", ne présentait pas plus d'importance à leurs yeux qu'une confrontation à seule ambition sportive.
Quelques joueurs sont donc restés devant leur cheminée, bien que la plupart n'ait pas de match à disputer dans l'immédiat. Si Vieira était présent, Wiltord et Henry sont ainsi restés en Angleterre, et Candela n'a pas quitté la capitale italienne. Quant au Bayern, l'un des rares clubs à devoir disputer une partie, il a pour sa part profité d'un tour de Coupe d'Allemagne le lendemain de France-OM pour retenir Lizarazu en Bavière.
Venant de clubs qui disposent d'effectifs particulièrement développés, on ne peut que regretter que cette soirée à caractère tout à fait exceptionnel n'ait pas trouvé grâce à leurs yeux. Il est inquiétant qu'y compris pour ce genre d'initiatives, les clubs ne sont pas capables d'un geste de solidarité. La "visibilité" d'une telle initiative humanitaire ne devait pas être suffisante dans leurs pays respectifs. Objectivement, le fait que tous les joueurs soient présents n'étaient pas forcément indispensable, mais on peut constater une nouvelle fois que les impératifs privés l'emportent sur tout autre considération.
Parmi ces clubs, on doit cependant souligner la bonne volonté du Real, par exemple, qui, malgré un match dans 48 heures, a autorisé Zidane et Makelele à disputer quelques minutes de la rencontre.
Les joueurs absents : un brin de mauvaise volonté
Les dirigeants ne sont pas les seuls à blâmer. Malgré le refus des clubs de les libérer, ces joueurs internationaux, qui savent pourtant jouer de leur influence quand il s'agit de négocier leurs contrats, par exemple, auraient sans doute pu se donner un peu plus de mal pour être présents.
Certaines absences sont le signe d'un certain manque de motivation, bien inquiétant au regard de l'objectif de la soirée. Le désir de Laurent Blanc de montrer que si "le monde du sport de haut niveau est impitoyable et égoïste, les footballeurs sont des personnes sensibles" ne serait-il pas partagé par tous les joueurs?
S'il en est un qui se devait d'être présent pour ce match, c'est bien Sabri Lamouchi. Le joueur de Parme a en effet débuté sa carrière à Alès — le cœur même des inondations — au début des années 90 avant de signer à Auxerre. Sa simple présence (même sans fouler la pelouse) aurait été particulièrement symbolique: retenu par son club, il aurait démontré que les liens du cœur ne sont pas forcément moins puissants que les clauses contractuelles… Et les risques pris par le milieu de terrain en désobéissant à ses dirigeants auraient finalement été minimes: remontrances ou pénalisation financière, il ne serait agi de rien de vraiment dramatique pour un joueur respecté pour son jeu et particulièrement bien rémunéré.
Quant à Nicolas Anelka ou Sylvain Wiltord, leurs attitudes restent singulières. Laurent Blanc s'est étonné du silence du premier: "Je lui laisse des messages, il ne répond pas". Sur son site Internet, l'ex-parisien a finalement informé tardivement ses fans que son entraîneur l'avait retenu en Angleterre. Curieux.
Concernant Sylvain Wiltord, on s'étonne que celui qui était capable, à son époque girondine, de sécher un entraînement pour aller passer du bon temps sur la côte méditerranéenne ne se soit pas déplacé à Nîmes (1). La présence de Patrick Vieira atteste pourtant que les dirigeants d'Arsenal n'avaient apparemment pas posé de veto à la venue de leurs joueurs en France. À moins que le milieu récupérateur ne soit le seul des trois (Henry complétant le trio) à détenir un bon de sortie ou à avoir désobéi à ses "supérieurs"…
On peut surtout s'étonner que ces joueurs, capables de se libérer des créneaux horaires pour réaliser des spots de pub et des émissions de télévision ou participer aux diverses animations organisées par leurs sponsors personnels, ne soient pas capables de se déplacer pour un événement de ce type. Après tout, il ne s'agissait, tout au plus, que d'une demi-journée dans leur emploi du temps…
Les Tartuffe de TF1
Quant à la première chaîne française, elle a une fois de plus parfaitement joué la partition de l'hypocrisie. Après avoir pris l'antenne à 20h50, et présenté brièvement la soirée, Thierry Roland et Jean-Michel Larqué ont ainsi lancé trois minutes de pages publicitaires. Deux nouvelles séries de spots, d'une petite dizaine de minutes, sont venus faire patienter le consommateur à la mi-temps. Tout cela serait sans grande conséquence, si, comme le disait Thierry Roland, "tous les échelons" s'étaient impliqués dans l'élan de solidarité de la soirée, TF1 y compris, en reversant une partie des recettes publicitaires induites par la soirée au fond des sinistrés. Mais en l'absence de précision de l'équipe de TF1 sur ce geste, il y a fort à parier que les bénéfices tirés des annonces ont été versés intégralement sur les comptes de TF1 (2). Notons que la chaîne est coutumière du fait, avec les célèbres soirées des Enfoirés (pour les Restos du Cœur), dûment sponsorisées et grassement rémunératrices.
Bref, le charity-business, ou comment faire du profit tout en bétonnant son image de marque. Félicitons-nous, cependant, que la chaîne ne nous ait pas imposé sa traditionnelle question minitel (3).
Ce type de soirées nous fait côtoyer, comme souvent, le meilleur comme le pire. Mais restons néanmoins sur l'image positive d'une communauté du football capable de se mobiliser pour la bonne cause…
Les citations de Laurent Blanc sont extraites de l'interview donnée à France Football le 1er novembre 2002.
(1) Initialement critiqué pour être allé voir un concert de rap, celui-ci avait finalement reconnu avoir rendu visite à des amis à Marseille, tandis que ses coéquipiers s'entraînaient du côté du Haillan.
(2) La chaîne a versé 1 million d'euros pour diffuser le programme, somme inclue dans le chèque remis au préfet.
(3) Imaginez Thierry Roland lâchant, en plein cœur de la première mi-temps: "Combien de noyés le département du Gard a-t-il compté dans la semaine du 9 au 13 septembre 2002?"