Et après ?
L'extrême dramatisation de l'affaire de la banderole a surtout dévoilé l'hypocrisie du football français et montré que les clubs risquent d'y perdre des plumes et des points...
Auteur : Pierre Martini
le 7 Avr 2008
Un coup à moitié réussi
Et la banderole elle-même, dans tout ça? On l'aurait presque oubliée, ensevelie comme elle l'a été sous l'opprobre. Ses auteurs ont vraisemblablement sous-estimé l'ampleur de la réaction, s'exposant au glaive de la justice, mais ils ont au moins réussi, de manière spectaculaire, une partie de leur coup, consistant à se donner de l'importance. Choisissant le "bon endroit" et le "bon moment", ils n'ont cependant fait qu'exploiter ce qui fait le succès des fractions les plus indésirables du Parc des Princes... depuis plus de vingt ans. Profitant de la médiatisation du football et du PSG, des minorités ont ainsi pu transformer des bouts de tribune en caisse de résonance de leurs exploits – contaminant au passage l'image de l'ensemble des supporters du club. Désormais, ces actions peuvent aussi bénéficier des emballements émotionnels de la majorité des médias et de la sphère publique, en obtenant cette fois une publicité exponentielle.
Une bonne dose d'hypocrisie
Pour autant, il ne faut pas occulter ce que les acteurs de cette tragi-comédie ont fait mine d'ignorer la semaine dernière: les banderoles de cet acabit sont une monnaie relativement courante dans les tribunes. Les aphoristes du Stade de France n'ont d'ailleurs pas eu besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination s'ils ont eu connaissance du "Stéphanois, ordures consanguines" déployé à Gerland lors du dernier derby. À croire que les auteurs pensent que les galeries de mine se prêtent aux rapports incestueux.
En tout cas, on peut trouver confondante la naïveté de l'éditorialiste du Monde qui croit pouvoir écrire que "cette banderole serait probablement passée beaucoup plus discrètement il y a quelques années". En réalité, le paramètre déclencheur est l'exposition de cette finale, devant les caméras et un parterre de personnalités politiques, dans un contexte marqué par le succès de Bienvenue chez les Ch'tis, film désormais estampillé "phénomène de société" qui aurait vraiment rendu service aux Nordistes s'il avait évité de les assimiler à un nouveau stéréotype, aussi excessivement positif soit-il.
Championnat des tribunes
Contrairement à ce que de nombreux commentateurs ont voulu affirmer, effectuant ainsi un rapprochement avec leurs propres stéréotypes, ces banderoles relèvent d'ailleurs bien plus des rituels des ultras que du hooliganisme ou du racisme, même si des ambiguïtés existent évidemment. Cela ne change rien à la teneur de celle-ci, mais il importe de ne pas faire abstraction du contexte: celui d'un échange régulier de provocations, ayant souvent recours à différents procédés de dégradation de l'adversaire (sexuelle, sociale, historique, etc.). Cette prose, fort ancienne et bien connue des chercheurs qui ont étudié le supportérisme, balaye un spectre de contenus qui vont de la bonne vanne (rare) à l'insulte la plus basse (beaucoup plus fréquente). Globalement, elle participe de la capacité des Ultras à se rendre détestables.
Le "Pédophiles, chômeurs consanguins: bienvenue chez les Ch'tis" est donc une provocation de très mauvais goût, une insulte qui veut blesser en usant de stigmates qui mélangent indignité économique et indignité humaine. Mais est-elle pour autant une profession de foi et peut-on assurer que les auteurs de la banderole y ont mis, au-delà d'une bêtise déjà impressionnante, la "haine" que tout le monde leur a prêtée? En déployant une banderole parodique "Escrocs, mafieux, putes, camés, bienvenue messieurs les Ch'tis", les supporters niçois ont montré comment il valait mieux prendre la chose.
Trois minutes dans le stade, une semaine dans les médias
On ne peut qu'être frappé par l'insistance mise par les élus et les médias pour convaincre les Nordistes qu'ils devaient absolument se sentir outragés (lire "Banderole décomposition"). Et par la contradiction qu'il y a à vouloir accorder une telle importance à un acte unanimement considéré comme indigne, à lui donner le pouvoir de bafouer la dignité des personnes... Ainsi, lorsque le président de Valenciennes, Francis Decourrière évoque "la pitoyable et humiliante banderole", il ne se rend pas compte qu'elle peut difficilement être l'un et l'autre. N'y avait-il pas la possibilité, sans passer la banderole sous silence et en condamnant ses auteurs, d'éviter de lui donner une telle portée?
En usant des facilités offertes par le PSG et les exploits d'une fraction de ses supporters, en abusant d'une dramatisation à l'extrême, la campagne politico-médiatique ne s'est pas donnée les moyens d'aborder le problème de manière à le résoudre, ni de demander vraiment des comptes aux autres parties prenantes: pouvoirs publics, instances sportives et clubs, dont les responsabilités sont pourtant manifestes.
Les clubs sentent le danger
L'agitation à peine calmée, on a senti un début de panique au sein des clubs. Le premier, Jean-Michel Aulas a compris la menace et préconisé que les supporters (pour lesquels il demande des interdictions de stade à vie) soient pénalisés, et non les clubs. "Nous ne sommes pas responsables des faits de société. C'est un problème politique", a-t-il affirmé. Cette position fait écho à des jugements récents qui ont statué sur la responsabilité des actes commis par les supporters d'un club. Le Conseil d'État vient de confirmer que les clubs sont bien comptables devant la justice des éventuelles exactions de leurs "troupes" (lire "Les clubs répondent bien de leurs supporters", CdF #41).
Les dirigeants voient évidemment d'un mauvais œil la possibilité de les impliquer dans les dérives de tribune... alors que tous les observateurs déplorent leur déresponsabilisation – quand il ne s'agit pas, parfois, de tolérance coupable. En sortant du rendez-vous avec le président de la République, Gervais Martel a tenu des propos modérés, appelant à ne pas faire l'amalgame entre une fraction des supporters et les autres, ni avec le club lui-même. Un discours louable en ces temps d'exagération, mais sous lequel transparaît aussi un intérêt bien compris. Contribuer à l'éventuelle relégation d'un club – par ailleurs très utile pour l'élite sur le plan économique – aurait en effet des effets désastreux pour la sérénité du football français. Sans parler du débarquement en L2 d'énergumènes déjà contenus à grand peine dans les stades de L1. Tout cela, même un RC Lens à la lutte avec les Parisiens ne le souhaite pas.
Metz, une jurisprudence embarrassante
Problème : la Ligue, déjà mise en cause en tant qu'organisatrice de l'événement (au contraire des rencontres de championnat, qui relèvent des clubs recevant), s'est elle-même placée en situation délicate lorsque sa commission de discipline, dans le cadre des affaires Kébé et Ouaddou, a sanctionné le SC Bastia et le FC Metz d'un match à huis clos, et surtout le club lorrain d'un point de pénalité. Une décision conforme à l'idée de réprimer les manifestations racistes et d'afficher le volontarisme des instances, mais qui devient embarrassante si elle doit faire jurisprudence pour un PSG menacé de descente... "J'avais prévenu la Ligue au moment du dossier Kébé, il ne sert à rien de médiatiser ce genre d'affaires. Le président Thiriez a voulu faire son show, résultat, à force de donner de l'importance aux supporteurs, voilà ce qui arrive", s'est rengorgé Pierre-Paul Antonetti, président délégué de Bastia (Le Parisien).
La Ligue a annoncé que sa Commission de discipline, réunie jeudi, devait "prendre connaissance des différents rapports dans l’affaire de la banderole déployée à l’occasion de la finale de la Coupe de la Ligue, le 29 mars dernier au Stade de France", sans mener des auditions qui ne commenceront que cette semaine. Il est urgent de prendre son temps et de baisser le feu sous la cocote-minute.
Retrait de points ou point de retrait?
Le débat est ouvert sur la nature des sanctions à prendre, mais il faut d'abord constater que la politique actuelle a démontré son indigence. Les matches à huis clos constituent un manque à gagner que les clubs sentent mieux passer que les amendes, mais ils n'ont pas d'effet très direct sur les causes du problème. Les pénalités sportives, comme le retrait de points, sont très controversées, tant il semble que les joueurs et les supporters ne devraient pas payer pour une minorité de fauteurs de trouble. Les sanctions collectives se marient mal avec l'État de droit. Il y aurait pourtant une certaine logique à maintenir cette forme de solidarité qui devrait lier toutes les composantes d'un club. S'agissant d'un problème de tolérance excessive, mais aussi d'un phénomène très difficile à circonscrire et à traiter, ne faut-il pas créer les conditions d'une répression "spontanée" des dérives?
Récemment, un supporter du Betis Séville responsable d'un jet de bouteille sur le gardien adverse a été pris à partie par ses voisins, ulcérés par les conséquences potentielles pour leur club, qui avait déjà payé pour des faits similaires (lire "Le tragique bêtisier du Betis"). Faute d'une responsabilisation collective de ce genre, comment espérer "disqualifier" les agitateurs s'ils continuent à fixer les limites eux-mêmes?
S'il est à espérer que l'affaire permette d'éclaircir quelque peu les rangs des touts petits esprits qui en sont la cause, le problème ne sera de toute façon pas résolu du jour au lendemain. Et il est à craindre qu'à terme, la normalisation survienne selon les préceptes d'un modèle anglais qui l'a déplacé loin des stades en embourgeoisant progressivement ses tribunes et en mettant en œuvre des dispositifs sécuritaires que décrit précisément L'Équipe: "À la moindre alerte des stewarts, formés en conséquence, des spectateurs eux-mêmes, incités à la délation, ou des douzaines de caméras braquées sur la foule, la police intervient sur-le-champ, sans armes".
Désireux d'accomplir sa révolution économique dans les années à venir, le football français en profitera peut-être pour garnir les gradins de ses futurs stades d'une population plus conforme à cette ambition. Les associations de supporters, elles, pourraient se réveiller avec le sentiment d'avoir raté toutes les occasions de défendre leurs intérêts, en ayant laissé les dérives d'une partie de leurs membres les discréditer toutes entières.