Chapiteau piteux
Avec "L'émission des Bleus", Canal+ a montré sa capacité à imiter TF1… Et apporté la preuve définitive de l'inanité des interviewes de footballeurs.
Auteur : Jordy Weissmuller
le 7 Juin 2006
Cette Coupe du monde est décidément l'occasion d'une guerre des chaînes en France, entre TF1, Canal+ et M6 – avec des alliances changeantes selon les occasions. En revendant à Canal+ et Eurosport, en "sous-licence", les droits de diffusion qu'elle venait d'acquérir auprès de la société Infront – les derniers encore disponibles – TF1 a planté un couteau dans le dos de M6, qui perdait ainsi l'exclusivité des 31 matches acquis il y a fort longtemps. De quoi juguler les velléités de l'ex-chaîne 0% football, qui venait déjà de voir la Coupe de France lui filer sous le nez, au profit d'une alliance improbable entre France Télévisions et Eurosport.
Tout récemment, c'est TF1 et Canal+ qui s'écharpaient pour être au plus près de l'équipe de France. Après l'échec des négociations pour une exclusivité des interviewes de joueurs durant la compétition, la première chaîne a dû laisser à sa rivale cryptée le privilège d'une grande émission réalisée depuis Clairefontaine, baptisée sobrement "L'émission des Bleus" (1) et programmée en début de soirée de ce lundi de Pentecôte. Un véritable événement télévisuel, proposant un vaste tour de table des internationaux avant leur départ vers Saint-Étienne puis l'Allemagne. De quoi assurer un avantage concurrentiel décisif, des profits d'image inégalables, l'occasion de marquer les esprits avec un programme exceptionnel...
Télévision de papa
Le décor a donc été planté avec une certaine pompe, sous un chapiteau dressé devant les dépendances du château. Tout était paré pour le show, avec un véritable défilé d'invités, la liste des 23 en guise de casting. Las, les naïfs qui en attendaient vraiment quelque chose purent seulement mesurer leur déception.
Hervé Mathoux, d'habitude à l'aise dans le cadre de l'Équipe du dimanche, a multiplié les bafouillages et les questions alternativement embarrassantes ou à contretemps. À ses côtés, Bixente lizarazu a montré qu'avant de devenir consultant, il est préférable de suivre une vraie formation et d'éviter de faire étalage de sa complicité avec les interviewés. Même le trublion de service, Darren Tulett, censé apporter une touche d'originalité, a sombré avec la mise en scène lourdingue de petites saynètes pathétiques, maladroitement interprétées par les internationaux qui ne figuraient pas en plateau.
On se serait vraiment cru au temps de la télévision de papa, et ceux qui doutent encore que Canal+ n'incarne décidément plus la moindre modernité en furent pour leurs frais. Pas de doute: la chaîne peut faire aussi niais que TF1 – ce sont les vertus de la concurrence, on finit par se ressembler complètement (jusqu'aux interminables tunnels de pub).
Néant verbal
Mais les joueurs avaient quand même des choses à dire, objectera-t-on. Que nenni, les interviewes se résumèrent à une longue suite de banalités, de barbarismes et de borborygmes, ponctués de récits vagues, d'allusions obscures et de confidences frelatées. De longs moments d'ennui sans la moindre valeur éditoriale, mais filmés avec des batteries de caméras, à grands coups de travellings, de contre-plongée et de panoramiques: une débauche de technologie audiovisuelle au service du néant verbal. La seule gêne qui ne sera pas passée à l'écran est celle du téléspectateur.
Le fond sera touché avec une séquence de la Minute blonde – à laquelle il arrive d'être bonne, mais cette fois parfaitement consternante –, diffusée sous le regard embarrassé de Zidane, dans l'écran incrusté.
Quand on pense que les chaînes de télévision se battent pour de telles exclusivités, que les journalistes de presse écrite se lamentent quand les accès aux joueurs sont restreints et que la profession fait un scandale lorsque le sélectionneur réserve ses confidences à un opérateur de téléphonie... Comme le faisait remarquer Charb dans Charlie Hebdo, si le rôle des médias classiques est de retransmettre bêtement les mots creux des footballeurs, ils ne valent pas mieux que des téléphones.
(1) Comme une triste parodie de "Les Nuls, l'émission" ?