Drame mineur sous les projecteurs
Les crétins plus forts que les terroristes
Ironie grinçante. On avait déployé un dispositif pour empêcher tout drame majeur, dans une période marquée par les attentats suicides et dans laquelle on imagine des avions s'écraser sur tous les symboles qu'ils survolent, et c'est un infantile envahissement de pelouse qui stoppe net le match et prend à revers tout ce dispositif.
Un très grave défaut d'organisation
Dans le catalogue des équipements du Stade de France figurent des barrières qui peuvent être positionnées à deux hauteurs (en fait, la partie haute, montée sur charnières, se rabat sur la partie basse). Elles ont rarement été employées en position haute (notamment au début, pour les finales de Coupe de France et de Coupe de la Ligue 1998), mais s'il y avait bien un match pour lequel il ne fallait pas prendre de risques, c'était tout de même celui-là. Ou alors, il fallait garantir un nombre suffisant de stewarts pour arrêter dans l'œuf les tentatives. La facilité avec laquelle les premiers envahisseurs ont pu amuser la galerie a donné des idées aux autres, nettement plus nombreux, qui n'ont pas tardé à les imiter.
On aura remarqué que des panneaux publicitaires avaient été nouvellement installés sur ces barrières rabattues. Après les panneaux lumineux très pénibles le long du terrain, le Consortium ne néglige aucune surface commercialement exploitable (même pas les escaliers). On n'ira pas jusqu'à dire que la mise en place de ces panneaux empêchait de relever les barrières, mais la coïncidence est fâcheuse.
Quoi qu'il en soit, les organisateurs (Consortium, Fédération et autorités policières) ont gravement failli, et leur irresponsabilité est plus grande que celle des imbéciles qui eux n'ont même pas les moyens de mesurer les conséquences de leurs actes. Côté FFF, on retiendra les déclarations de Gérard Enault (directeur général) qui ne reconnaît aucune négligence, aucun défaut d'organisation et défend le principe de l'absence de barrière, invoquant des dangers (écrasement type Heysel) sans aucun rapport avec la situation. Beau sens des responsabilités et belle intelligence, car des événements comme ceux de samedi sont le plus court chemin vers le rétablissement systématique de ces dispositifs.
Les crétins plus forts que les journalistes ?
Le plus dommageable est finalement l'unanimisme avec lequel la presse stigmatise les incidents pour en faire un "gâchis" pur et simple et sortir ses grilles d'interprétation automatique. Les "unes" de dimanche sont suffisamment éloquentes et consacrent le véritable échec de ce France-Algérie, auquel il n'aura manqué que… 12 minutes de calme pour qu'on lui donne le sens qu'il méritait.
Symboles et amalgames
Dans le contexte émotionnel des dernières semaines, et dans celui d'une campagne électorale qui va être axée sur les problèmes d'"insécurité", on a entendu des journalistes partir à toute vitesse. Ainsi sur France Info ou "des Algériens" ont envahi la pelouse, puis des "jeunes de banlieue", où furent évoqués "les coups, puis la peur". Quels coups? Aucune agression n'a eu lieu sur la pelouse, aucun incident n'a été signalé à la sortie du stade. Pour stupide qu'elle fut, l'invasion fut pacifique (même pas politique, puisque aucun drapeau palestinien ou kabyle n'a été aperçu).
Les responsables seront vite étiquetés, stigmatisés par les gros plans : ce sont ces sauvageons, ceux que les couvre-feu veulent maintenir à la maison, les juvéniles délinquants, le prétexte à tous les amalgames et toutes les politiques sécuritaires. Une véritable aubaine pour les répressionnistes. Pourtant, il ne fallait pas voir dans ces exploits pitoyables une volonté de nuire, mais l'expression d'une bêtise toute simple et assez universelle, celle qui de tout temps a poussé des gamins à faire des grosses conneries. Car franchement, faut-il condamner la vingtaine d'interpellés à 10 ans de prison?
A cet instant, le petit gros rigole. Mais dans quelques heures, Francis Maroto va lui coller une torgnole, ou l'envoyer au bagne. |
Exemple parmi d'autres, Stade 2 a entièrement axé son traitement du match autour des événements. Francis Maroto a employé sa science du larmoyage pour sortir la barre à mine contre ces "dizaines de voyous qui gangrènent les spectacles sportifs et les autres", tout en prétendant ne pas leur faire trop d'honneur et de publicité (un reportage entier, pas mal quand même). Surtout, il mélange tout dans les trémolos de sa voix chevrotante, les "40.000 personnes qui sifflent la Marseillaise", les "centaines" qui ont envahi le terrain, les casseurs de manifs… Le sac est assez grand pour contenir d'autres catégories.
Ce match était trop chargé de symboles pour que les incidents ne soient pas surinterprétés, que la parabole ne s'étende abusivement à la situation sociale avec l'invocation des éternels stéréotypes. Et effectivement, ces agissements compromettent l'occasion espérée de faire de cette rencontre un moment fort et consensuel. Mais les lectures simplistes qui les dramatisent à outrance ne font pas mieux. On célèbre les symboles immaculés comme Zidane, mais on a plus de mal avec les représentants de la réalité. C'est compréhensible, mais le grand écart est quand même impressionnant.
Une sagesse inattendue
Un petit miracle se produisit néanmoins samedi soir. Alors que les commentaires de Thierry Roland et son acolyte partaient un peu en quenouille, Pascal Praud se dressa dans la tribune présidentielle et se fit Jean Jaurès, apôtre de la paix. Il relativisa fort à propos, en signalant qu'aucune violence ne s'était produite dans les tribunes. Quelques minutes plus tard, il insista sur la poignée de personnes coupables et sur les intentions parfaitement innocentes des supporters algériens rencontrés dans la journée, et pour qui la fête aussi était gâchée. Nous tapons suffisamment sur le service des sports de TF1 pour signaler une action louable d'un de ses membres quand elle se produit.
Sinon, Roger Lemerre a été parfait de modération et de philosophie, évoquant "un petit moment de liesse", saluant la réconciliation en marche.
La potion fut plus amère pour Marie-George Buffet et Claude Simonet, dans le cadre des téléobjectifs. L'émotion les a un peu emportés au moment de s'adresser au public, la ministre recevant une bordée de sifflets, le président de la Fédération pris au piège d'un lyrisme un peu maladroit (cela a été le seul effet involontairement comique de la soirée). Il était en en effet trop tard pour sauver le match, et le bénéfice politique qui en était attendu. Il fallait tout de même du courage pour organiser cette rencontre et la maintenir après les événements du 11 septembre. Sur la corde raide, elle a basculé du mauvais côté des symboles. Et les médias ne se sont pas privés de se jeter sur elle.