Godard in the sky with diamonds
Le football a son Jean-Luc Godard: il s'appelle Fred Godard, et filme plutôt comme Claude Lelouch. Voyage psychédélique avec le réalisateur culte de France Télévisions. Avertissement: les illustrations de cet article peuvent heurter la rétine et le bon sens).
Les réalisateurs de télévision ayant renoncé à toute réelle innovation dans la mise en scène des matches de football, tous tricotent leurs petites manies. Ceux de Canal+, versent dans la surenchère technologique et le décorticage des décisions arbitrales. Chez France Télévisions règne un autre esprit: celui de Fred Godard, réalisateur des affiches de Coupe de la Ligue qui s'est bâti une notoriété à coups d'audaces déjà entrées dans la mémoire collective. Tout le monde ou presque connaît sa "spéciale": lors d'un temps mort, des gros plans sur les visages des joueurs, avec des couleurs saturées et une bande-son de battements de cœur.
Tout le monde ne parvient pas à apprécier ce talent si particulier et nous avons ainsi pu lire ceci sur le forum de France 3: "Tu es réalisateur de match de foot, pas réalisateur d'un film de Steven Seagal (...) Et c'est quoi cet effet pourri où le caméraman filme a travers un gobelet en plastique?" Toujours, les vrais artistes ont été incompris.
Un courageux défi au bon goût
Formé à l'école des retransmissions de Roland-Garros façon eighties, Godard maîtrise l'art des incrustations d'images, des plans irrésistiblement pittoresques, des fondus enchaînés élevés au rang d'alpha et d'omega de la mise en scène et des symboles poids lourd. Comme si Chénez était passé à la réalisation, après avoir pris du LSD.
Mais Fred Godard est un artiste de proximité. C'est vous ou moi, quand nous penchons l'appareil photo pour faire artistique. C'est le petit frère auquel on confie le caméscope et qui zoome comme un forcené durant des plans-séquences de trente-quatre minutes. C'est encore notre cousin qui prend 250 photos de la lune pour profiter de son téléobjectif acheté à prix d'or.
Il y a de tout ceux-là dans Fred Godard, et un peu du facteur Cheval aussi. Un facteur Cheval ou un enfant qu'on aurait mis aux commandes d'une régie complète avec douze caméras et tout le personnel pour faire tourner ce gigantesque train électrique.
Saisissant l'occasion d'un OM-Metz remarquable de médiocrité footballistique durant le temps réglementaire, nous avons compilé et classé les principales figures de style de sa grammaire audiovisuelle.
L'école de l'art
Sa marotte actuelle, c'est le split screen relancé par la série 24 Heures, mais dans un halo blanc, comme pour nous signifier que sur le service public, on se sent parfois cotonneux. Quant aux plans à vocation esthétisante, il y en a tellement qu'ils finissent par agir comme des tableaux de Warhol ou de Viallat: répétant toujours le même motif. Et Godard ne lésine pas sur la quantité.
OM-Metz n'a pas failli à la tradition, avec un lot de cadrages osés, de gros plans inédits, de contre-plongées inopinées, de zooms brutaux et de travellings déconventionnés.
Des coups de projecteur
Comme irrésistiblement attiré par la lumière, tel Icare, Fred Godard donne vraisemblablement à ses caméramen des primes au nombre de projecteurs filmés. D'autres astres passent aussi à la casserole: la lune et, occasionnellement, la balle en plein vol. Cela occasionne des travellings complètement irrationnels, comme lorsque la caméra suit le ballon sur un dégagement du gardien pour filer prendre un projecteur qui passait par là. Pendant ce temps, que le ballon se débrouille pour vivre sa vie.
Un festival de piquets
Nettement plus original (et fascinant pour les spécialistes des névroses) fut l'incroyable défilé de piquets auquel donna lieu cette rencontre, comme s'il s'agissait d'un hommage aux défenseurs marseillais. Là encore, seul un système de prime explique que toute une équipe de techniciens très spécialisés se met à suivre aveuglément les directives du commandant de bord – fût-il devenu fou.
Note : les images montrées ici correspondent toutes à des plans différents, insérés tout au long du match.
Bonus : l'alter-piquet
Petit flirt avec les filets
D'autres approches furent effectuées, Godard ayant le génie – comme Rohmer – de frôler l'obscénité comme on frôle une érection. Le spectateur crut donc s'emmêler dans les filets à plusieurs reprises, sans dommages.
Jeu-test : zone mixte
Si tu connais bien Fred Godard ou si tu as bien suivi ce qui précède, tu dois être capable de reconnaître les deux figures de style que le maestro a réussi à placer simultanément dans chaque image.