La chaîne cryptée n'a pas fait de détail pour rafler la mise, c'est-à-dire s'offrir l'intégralité de la L1 pour une somme record. Le foot français est finalement le seul qui s'enrichit encore, mais sa canaldépendance s'aggrave…
Dans le football, rien ne se passe comme ailleurs. C'est ainsi qu'au lendemain du dépôt des dossiers pour l'appel sur les droits télé du championnat de France, avec force cérémonial et huissier de justice pour l'ouverture des enveloppes, tout le monde était au courant des offres. Dommage pour le suspens, mais on sait donc que Canal+ s'est engagé à un niveau largement supérieur pour les trois premiers lots, qui lui assureraient trois matches décalés plus les sept autres rencontres en paiement à la séance sur CanalSatellite. Pour 480M€ par an, soit 130 de plus que le précédent contrat (2000/2004) et 60 de plus que l'offre de TPS, la chaîne de Xavier Couture emporte donc le morceau. Tout le morceau. Ça va si vite et si bien que le Conseil d'administration de la Ligue pourrait être avancé à ce vendredi pour entériner la désignation (1).
Thiriez par les cheveux
Si cela était confirmé, il faudrait d'abord saluer la victoire de Frédéric Thiriez, qui va véritablement asseoir son statut de président de la Ligue, ce qui n'était pas gagné. Un simple demi-échec sur ce dossier ô combien essentiel pour le foot français, et il aurait vu son pouvoir durablement miné par les sapeurs de la profession. On a au moins une raison de ricaner: avec ses déclarations dubitatives et ses prévisions pessimistes, Jean-Michel Aulas a une nouvelle fois l'air bête. Cela dit, nous n'y croyions pas non plus…
On repensera aussi en souriant à l'affrontement entre les clubs professionnels et le foot amateur, à propos de la convention de solidarité dont la signature avait été retardée, provoquant la fronde des amateurs et précipitant la Fédération dans la crise (voir
Une paix armée). Une clause rajoutée par la Ligue conditionnait en effet le montant de l'aide à l'évolution des ressources télévisuelles, ce qui semblait préparer une baisse de l'enveloppe. Thiriez avait défendu une "clause de rendez-vous" (finalement acceptée après avoir été rédigée autrement) qui permettrait de réévaluer la montant vers le bas comme vers le haut. À l'époque, tout le monde avait haussé les épaules, tant le nouveau président de la LFP semblait se moquer du monde en imaginant une hausse.
L'Empire Canal plutôt que Canal en pire ?
Si beaucoup se félicitent d'échapper à la généralisation du football façon TF1, la situation qu'engendrerait ce nouvel ordre télévisuel mettrait Canal+ en situation de quasi-monopole. Il ne faut pas oublier que la société est déjà associée à Darmon et à UFA Sport (Bertelsmann) au sein de Sportfive, qui gère déjà l'essentiel du marketing et de la publicité du foot français… Par ailleurs propriétaire du PSG (et donc représentée à la Ligue) et bientôt diffuseur exclusif du championnat, elle occupera une place encore plus centrale et risque de multiplier les conflits d'intérêts.
Cet empire (qui ne deviendra toutefois effectif qu'à partir de la saison 2004/2005) pourrait pourtant prendre un tout autre visage, relativement aux incertitudes sur le sort que réserve Vivendi Universal à sa filiale. Sachant que TF1 guette la proie, et cette fois pas sur un simple appel d'offres footballistique, l'ironie serait totale si le groupe TF1 récupérait les droits du foot français en faisant l'acquisition de son concurrent… Quoi qu'il en soit, il faudra que le futur opérateur assume économiquement cet investissement pharaonique et en prouve la rentabilité. Durcissement du commerce et renchérissement des abonnements en vue?
Manne power
Enfin, les clubs français vont se retrouver dans une situation totalement inédite, puisqu'ils verront leurs ressources progresser de 20% au moment où elles régressent partout ailleurs en Europe. Ils doivent peut-être cette inflation inespérée à la qualité d'un championnat de France qui a su préserver un minimum d'équité entre ses clubs, et donc d'intérêt sportif. Le discours misérabiliste des clubs — en cette époque où Bâle et le Lokomotiv Moscou se qualifient au deuxième tour de la Ligue des champions, mais pas un OL à 100M€ de budget — pourrait ne plus être d'actualité. Heureusement, il reste les "charges trop élevées" et les législations socialo-communistes pour se plaindre.
Mais ne brossons pas un tableau idyllique trop vite, au moment où la FIFA vient de fixer à 90.000€ par an le montant de l'indemnité de formation qui servira à évaluer les transferts des joueurs en fin de contrat de formation. Une somme jugée dérisoire en regard des investissements réels consentis par les clubs français pour maintenir leur formation à un très haut niveau. Plusieurs responsables de clubs (cités par L'Equipe, 08/11) évoquaient même, sous le coup du dépit, la possibilité de l'abandonner purement et simplement. Francis Collado, directeur administratif et financier du RC Lens a ainsi déclaré: "Je préfère garder la somme et faire comme les autres, aller piquer un ou deux joueurs ailleurs".
La hausse des droits de télévision, qui va particulièrement profiter aux clubs modestes (car ils représentent une part plus importante de leur budget), pourrait alors avoir un effet pervers, en lançant les clubs français dans la spirale qui a gravement compromis la santé financière de leurs voisins européens, et en les incitant à abandonner leurs points forts. On n'en est pas encore là, l'irritation des clubs étant en partie due à des réflexes patronaux et n'est pas partagée par les représentants des joueurs, mais l'enjeu est particulièrement important pour les équilibres du "modèle français".
(1) Les autres lots sont encore en jeu. TF1 devrait pouvoir conserver Téléfoot, Eurosport voudrait conserver les matches décalés de L2 et acquérir en même temps le magazine dédié, et Didier Roustan peut encore rêver que L'Equipe TV récupère le magazine du lundi.