Et pis Fanny : dictionnaire de la défaite
Avec une constance dont seuls la détournent l’OM et le PSG, la presse française s’intéresse exclusivement aux vainqueurs. C’est un tort.
Auteur : Bernard Fat
le 10 Jan 2008
Extrait du n°37 des Cahiers du football.
La défaite sans conséquence
C’est celle de l’amoureux qui s’entend répondre "Pourquoi pas?" à sa demande en mariage; celle du buteur qui ne peut que pousser son défenseur à un "contre son camp". C’est surtout, sans surprise, une spécialité lyonnaise. Défaits par Guingamp lors de la célébration de leur deuxième titre, les Lyonnais ont réédité ce genre de performance en allant perdre à Paris pour remporter le championnat 2004. Zélotes du groß Kapital, joueurs et supporters célèbrent sans vergogne ces "défaites positives"; comme un board d’actionnaires se réjouit de ce que son action a monté de 0,2 point à la suite du licenciement de 40.000 employés: ça valait le coup.
La défaite attendue
Elle fait ressentir au fan les émotions du cuisinier qui sort du four son moule à manquer, elle ravive les souvenirs de divorce avec une trop belle mariée. On n’y a jamais vraiment cru mais on est un peu déçu tout de même, comme quand, bambin, une mère grave nous annonça que le père Noël nous en voulait finalement moins que le tiers prévisionnel.
La défaite soulagement
L’historiette veut que le docteur Guillotin ait affirmé que sa célèbre invention procurerait "une agréable sensation de fraîcheur". La défaite soulagement, c’est un peu cela. On a beaucoup craint la défaite et l’on n’est plutôt pas malheureux de se rendre compte qu’elle n’a pas de conséquences si dramatiques. Les oiseaux chantent encore et le Château-Petrus de 1973 n’a pas subitement pris un goût de bouchon. Et puis, les joueurs l’ont dit, ils vont tous travailler ensemble et ce n’est surtout pas le moment de baisser les bras. Le match à Lorient sera, d’ailleurs, très important. Évidemment, il exista aussi des supporters du Matra...
La défaite surprise
C’est celle de Scarlett Johansson qui, le désirant par extraordinaire, se ferait éconduire par Gervais Martel, ou de l’électeur socialiste qui se serait préparé un bon petit plateau-repas pour regarder la soirée électorale du 21 avril 2002. La surprise l’emporte un temps sur l’abattement et le supporter, durant quelques semaines, commencera et terminera toutes ses phrases par: "Putain, Gueugnon, quand même". Le foot présente toutefois cet insigne avantage sur la politique: tout le monde a maintenant oublié Alex Dupont.
La défaite de trop
C’est lundi. Vous vous êtes levé en retard, avez bu de l’eau chaude faute d’avoir mis du café dans le filtre la veille, pris une douche froide, vous vous êtes engueulés avec votre compagne pour n’avoir "toujours pas appelé le plombier", acheté Le Monde le matin en oubliant que vous l’aviez lu la veille, cassé la clef dans le contact, pris une châtaigne en démarrant aux fils, êtes logiquement à la bourre au boulot, sans avoir acheté L’Équipe (grève des NMPP). La défaite de trop, c’est se rendre compte que le dossier du jour était dans la chemise bleue. Pas la rose. La bleue.
Le foot a ceci d’épatant que vous pourrez toujours mettre la défaite de trop sur le dos de Monsieur Tual. Un argument à l’égard duquel un trop peu conciliant directeur général reste souvent obtus.
La défaite injuste
Elle implique très souvent la sélection nationale, parfois un club, mais toujours face à des étrangers. C’est la condition sine qua non pour que le quidam comme l’analyste autorisé trouvent unanimement "qu’on ne méritait pas de perdre". Après une Suze, sa petite sœur, son grand frère et ses deux cousins, l’expert en géopolitique qui sommeille en chaque supporter ajoute généralement: "surtout contre des Boches".
La défaite ovine
Quand Materazzi n’est pas là, que les poteaux sont ronds et que Harald Schumacher s’est garé des accidents, il est tout à fait possible de se retourner contre un bouc émissaire. De Ginola à Trezeguet en passant par l’arbitre (ce qu’on n’aura pas manqué de lui proposer tout au long du match), le choix est large. Cette défaite permet de libérer, enfin, la parole des vrais experts. Au vu du nombre de ses concitoyens qui lui ont affirmé, avec l’air des hommes de métier, qu’un cinquième tir au but, en Coupe du monde, s’exécute TOU-JOURS en force et au milieu, l’auteur s’inquiète en effet d’avoir loupé quelques phases finales.
La défaite plaisir
Le plaisir vient ici de ce que la défaite concerne les autres. De la Vengeance par les cousins italiens au Bari perdu, il a été assez souligné, ici et ailleurs, les joies sadiques que peut procurer ce genre d’événement. Il n’est pas nécessaire d’y revenir tant l’Olympique lyonnais se charge de raviver ces sensations avec une régularité "au plus haut niveau", comme le souligne ce comique injustement décrié qu’est Jean-Michel Aulas.