Ligue : le temps de la restauration ?
Gérard Bourgoin n'a donc pas survécu à l'unanimité qu'il est parvenue à dégager contre lui, et il part finalement sans ruer dans les brancards. La défection collective du CA de la Ligue a eu raison de ses velléités de résistance, lui permettant de saisir l'occasion de garder l'initiative sa propre démission. La parenthèse se referme après deux années de règne qui ont outrepassés nos prédictions pourtant pessimistes (voir notre article du 7 juillet 2000, au lendemain de l'élection de Bourgoin), notamment dans le registre du pathétique.
Le bal des hypocrites
Bourgoin n'est pourtant pas le seul responsable de l'état de discorde actuel dans le foot pro (Journal de crise), ni de la gestion catastrophique de la plupart des dossiers (faux passeports, droits de retransmission, arbitrage…). Son départ ne change rien, a priori, à la ligne politique de la majorité actuelle et à ses objectifs. Le prétexte de la mauvaise image donnée à la Ligue par Bourgoin est une façon pour le cartel Aulas de se défausser de ses propres responsabilités et de s'éviter un ridicule trop important, quitte à atteindre un écœurant degré d'hypocrisie. On appréciera dans ce registre les propos de Jean-Michel Aulas: "Il suffit de lire les comptes-rendus tous les jours dans les médias pour comprendre qu'il y a un problème de crédibilité de la Ligue" (L'Equipe TV). Au rayon mauvaise foi éhontée, on ajoutera cette déclaration faite au Progrès: "Nous avions trouvé un consensus pour mener une stratégie qui satisfasse autant les grands clubs que les plus modestes".
On évoque également le fiasco de l'appel d'offre pour les droits radio, mais à qui va-t-on faire croire que cette initiative émanait du seul Gérard Bourgoin? C'est pourtant la fable qui court, tout comme le prétexte d'une image trop marquée à droite, alors qu'il y a quelques jours encore, Patrick Proisy qualifiait Marie-George Buffet dans des termes dignes des années 50 et que la vulgate libérale d'Aulas le place sans ambiguïté aux côtés de Madelin et Sellières (voir L'ultralibéralisme expliqué aux enfants).
Recentrage
Le désastre a cependant été tellement important qu'Aulas, Campora et Martel, après avoir prouvé leur totale absence de sens politique, sont aujourd'hui contraints de rappeler à leurs côtés leur principal adversaire, l'homme qu'ils avaient imprudemment évincé à l'été 2000 malgré un bilan archi-positif, Noël Le Graët lui-même. On ne saurait mieux souligner le fiasco de nos aventuriers. L'ex-président étant intelligent, il s'est bien gardé de triompher et s'est fondu dans la structure provisoire établie autour de Frédéric Thiriez, homme providentiel et probable futur président. Il est évident que la Ligue a besoin de fins diplomates, aptes à concilier des intérêts contradictoires et à faire valoir l'intérêt général… Autant de missions dont la précédente direction fut bien incapable de s'acquitter. Avocat de la Ligue passé par la Fédération, Thiriez connaît bien le milieu et s'il est trop tôt pour voir en lui le candidat unique de la prochaine élection, il semble idéalement placé pour être celui qui réconciliera les différentes "familles" du football (joueurs, entraîneurs, arbitres, médecins, administratifs). Qu'adviendra-t-il alors de l'envie déclarée de certains dirigeants d'exclure ces familles de la gestion de la Ligue, comme cela avait été ébauché avec un "bureau" fonctionnant de manière totalement autocratique?
Et pour l'avenir?
C'est donc une majorité recomposée et rééquilibrée qui va se dégager, les ultra-libéraux ayant reconnu la nécessité d'élargir le consensus et de réunir l'adhésion de l'ensemble des clubs professionnels. Leurs objectifs élitistes devraient logiquement être révisés à la baisse, a fortiori dans un contexte d'annonce de grosse tempête économique. Il est temps en effet de resserrer les rangs.
Quels compromis et quels arbitrages définiront alors la ligne politique de l'instance? Si le retour de Le Graët semble la garantie d'une certaine modération, le Guingampais est trop pragmatique pour ne pas tenir compte des aspirations de l'actuelle "majorité", aussi fragile (et susceptible de recomposition lors du prochain scrutin) soit-elle.
D'ici à l'assemblée générale élective de Cannes (28 et 29 mai), le milieu sera aussi dans l'expectative quant au résultat des élections législatives, qui déterminera le futur ministre des sports et surtout l'orientation politique à l'égard du foot professionnel et de ses nombreuses revendications (fiscalité, cotation en bourse, propriété des droits…). Autant dire que le départ de Bourgoin n'est que le premier épisode d'un feuilleton qui se prolongera durant l'été et au terme duquel on saura vraiment où va la Ligue nationale de football.