Les demoiselles de Reims
Condamné au silence depuis Vichy, le foot féminin est réapparu en France à la toute fin des années soixante, notamment à Reims, grâce à la clairvoyance d’un journaliste et la détermination de jeunes femmes.
C’est difficile à admettre, mais c’est bien grâce à une attraction de kermesse que le foot féminin a repris racine en France à la fin des années soixante. Mai 1968 vient de passer et l’une des principales préoccupations du journal L’Union reste de trouver une idée originale pour attirer un large public à son tournoi annuel, qui aura lieu le dernier week-end d’août.
Après un spectacle d’humoristes la première année et une... exhibition de catch pratiquée par des nains la seconde, une idée toute aussi saugrenue est proposée par un journaliste de la rédaction, Pierre Geoffroy: un match de foot disputé par des femmes.
Le foot féminin en sommeil
L’idée surprend car le foot féminin a quasiment été éradiqué dans l’Hexagone. Après le formidable engouement des années vingt, la FSFSF, Fédération des sociétés féminines sportives de France, a cessé dès 1933 de soutenir ses adhérentes du ballon rond. Pour enfoncer le clou, le régime de Vichy en 1941 a purement et simplement interdit aux femmes de pratiquer le football.
La gent masculine est en effet très hostile au foot pratiqué par ses sœurs, ses filles, ses épouses. Ne dit-on pas qu'il est inapproprié, voire nocif pour les femmes? Des médecins interviennent pour rappeler que le corps féminin est inadapté au ballon rond et qu’il s’expose à de graves dangers, notamment lors d’un contrôle de la poitrine. Et puis, après tout, une femme sérieuse n’est-elle pas vouée aux tâches domestiques plutôt qu’à courir en short derrière un ballon?
L’Union publie une annonce dans son édition du 9 juillet 1968. Celle-ci rencontre un succès inattendu: une quinzaine de jeunes femmes se présentent aux bureaux du quotidien régional pour relever le défi. Lors des premiers entraînements, dirigés par l’ancien professionnel Richard Gaud, certaines filles montrent de belles dispositions à manier le ballon rond. La plupart ont une bonne condition physique, puisqu’elles pratiquent par ailleurs l’athlétisme ou le handball, des sports a priori “autorisés” pour les jeunes femmes.
Projet sportif
Ce qui devait n’être qu’une attraction destinée à distraire le public devient un projet sportif des plus sérieux. La veille du match exhibition au tournoi de L’Union, le Stade de Reims lui-même propose aux jeunes femmes de disputer au stade Auguste-Delaune le lever de rideau d’un Reims-Valenciennes de deuxième division devant 6.000 spectateurs.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais les jeunes filles se sont prises au jeu, et Pierre Geoffroy avec elles. Un club est monté, le RFCF (Reims Football Club Féminin), deux entraînements ont lieu chaque semaine ainsi qu’un match le dimanche matin. Le journaliste devenu manager, entraîneur et promoteur multiplie les contacts pour trouver des matches un peu partout en France.
Il emmène également son équipe dans des tournées à l’étranger, notamment aux États-Unis, au Canada, en Tchécoslovaquie, où le football féminin est déjà solidement réimplanté. Les filles se rendent jusqu’en Indonésie, où elles jouent devant 60.000 spectateurs à Bandung.
Co-championnes du monde
Au début de l’année 1970, le Stade de Reims propose d’intégrer l’équipe pour fonder sa section féminine. L’histoire se remet en marche. En mars, le football féminin est de nouveau reconnu par la FFF. Plusieurs formations voient le jour un peu partout dans l’Hexagone. Un championnat de France dames sera mis sur pied à partir de la saison 1973/74.
Entre temps, dès 1971, Pierre Geoffroy se sert de ses joueuses pour mettre sur pied l’équipe de France féminine, qu’il emmène disputer un tournoi international au Mexique. En 1978, c’est à Taiwan que la formation rémoise se rend pour une nouvelle officieuse “Coupe du monde” dont elle partage la victoire finale avec la Finlande.
L’aventure prendra fin quelques années plus tard lorsque Pierre Geoffroy sera confronté à des problèmes de santé. Les filles quittent le club et ne sont pas remplacées. La section déclare définitivement forfait en 1985.
Les filles de Reims sont reconnues aujourd’hui comme les pionnières d’un renouveau du football féminin en France. Une plaque à l’entrée du stade Auguste-Delaune rappelle leur cinq titres de championne de France. En 2018, la comédie “Comme des garçons” de Julien Hallard sort sur les écrans et s’inspire, dans une version très romancée, de cette formidable épopée.