Du cyclisme au football...
Les derniers masques sont tombés au procès Festina. Face au dopage, dans l'opinion, il n'y aura plus de naïfs qui auraient pu s'auto-persuader que le dopage était négligeable dans le cyclisme. Restent les cyniques ou les fatalistes, que le grand déballage n'effraie pas.
Est-on si loin du football que cela? Qui sont aujourd'hui les naïfs parmi nous, amateurs de foot? Des évolutions comme l'"explosion physique" du football lors des vingt dernières années, la médicalisation croissante des effectifs professionnels, l'exigence de spectacle, l'intensification des compétitions, la domination des intérêts économiques sont autant de facteurs qui suggèrent, sinon un dopage systématique, du moins la probabilité de dérives significatives.
Il y a quelques semaines, le témoignage d'un "joueur professionnel de D1" expliquant dans Le Parisien-Aujourd'hui comment il avait eu recours en toute tranquillité à des produits interdits était tombé dans un silence remarquable. L'absence totale de réaction a même pu faire croire que les autres journalistes avaient de gros doutes sur l'authenticité de cet entretien, effrayant par banalité apparente des pratiques qu'il décrit (Dopage: des mots qui font peur). À moins qu'il ne soit totalement impossible de porter un peu de lumière sur le sujet dans la discipline reine. L'industrie du football, en comparaison de laquelle celle du cyclisme est négligeable, n'est-elle pas suffisamment puissante pour se protéger d'un séisme comparable à celui du Tour de France 98?
S'il faut s'interroger sur l'existence d'un dopage généralisé dans le football, autant commencer par rayer quelques illusions sur tous ceux qui auraient intérêt à le laisser dans la clandestinité.
1. Les mensonges des sportifs
On l'aura compris, les dénégations criantes de sincérité, les grands serments, les protestations d'innocence des athlètes professionnels ne peuvent définitivement plus être prises en compte (malheureusement pour ceux qui, dans d'autres disciplines, sont véritablement innocents). Le discours des cyclistes avait parfaitement intégré le mensonge fondateur, le tabou suprême à ne jamais transgresser, sous peine d'être exclu par ses pairs du monde professionnel (voir le cas de Christophe Bassons). Des sportifs de haut niveau sont capables de mentir avec un aplomb formidable et de cacher même à leurs proches, voire à eux-mêmes, la réalité de leurs pratiques. S'il y avait de tels secrets dans le monde du football, nul doute qu'ils seraient aussi gardés farouchement par le cercle des initiés.
2. La complicité des instances
Il est aussi impossible désormais de douter de la complaisance des instances lorsqu'elles sont confrontées à un dopage massif qu'elles ont auparavant été incapables d'endiguer. L'Union cycliste internationale est vraisemblablement l'une des confédérations les plus compromise, ayant couvert des contrôles positifs, prévenu les coureurs avant ceux-ci, et été d'un laxisme coupable. Le CIO connaissait l'ampleur du recours à l'EPO, et a même abrité en son sein des médecins aujourd'hui convaincus d'avoir expérimenté et répandu les méthodes du dopage. En Italie, Sandro Donati, qui a fait des révélations très graves sur l'usage de l'hormone de croissance au sein de l'équipe olympique italienne vient tout simplement d'être écarté du Comité olympique italien (CONI).Ce dernier est accusé d'avoir financé le pr. Conconi (directeur de la commission médicale de l'UCI et membre de celle du CIO) et le centre médical de Ferrare pour développer des méthodes scientifiques de dopage!
Les fédérations ont bien du mal à consacrer les moyens suffisants à la lutte antidopage, et ce n'est pas un hasard si ce sont à chaque fois les pouvoirs publics qui doivent lancer les campagnes. Mais cette impulsion est elle-même tributaire des responsables politiques (à qui il arrive aussi de couvrir les dérives). Les obstacles opposés à la création de l'Agence mondiale antidopage, les tardives réactions du Comité international olympique de Samaranch, les indulgences des confédérations comme celle de l'athlétisme sont autant d'illustrations de l'attitude des dirigeants sportifs, qui préconisent la politique de l'autruche (surtout pour les autres) et freinent des quatre fers quand il s'agit de passer aux actes.
Si la FIFA évite les ambiguïtés dans son discours et met en place les dispositifs préconisés , elle se garde bien de lancer de vastes opérations et de se mettre à l'avant-garde de la lutte. En termes de fréquence et de nombre de produits dépistés, le football est bien légèrement surveillé (à quand un dépistage de l'EPO à l'aide des nouveaux tests?).
3. La bienveillance des médias
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On se rend compte, lors d'occasions comme le procès de Lille, qu'il existe de nombreux journalistes qui ont une très bonne connaissance des affaires en cours et du dopage en lui-même. Le problème des médias sportifs est qu'ils ne peuvent à la fois vanter la soupe et "cracher dedans". Dans la position du vendeur, ils ne peuvent évidemment déprécier la valeur du spectacle ou ternir l'image du produit. Un peu de critique ça va, un peu plus et c'est déjà trop. Un seul exemple de cette schizophrénie: L'Equipe parvient à rendre compte assez exhaustivement et sans complaisance du procès Festina, tout en relatant très normalement les championnats du monde de cyclisme sur piste ou les tentatives de record de l'heure, sans que les constats effectués sur une page puissent avoir des conséquences sur une autre.
La notion même de journalisme sportif tend à disparaître: à la télévision il n'y a plus que des présentateurs, des commentateurs et des animateurs. L'attitude grotesque du service des sports de France 2/3 à l'égard du tour de France montre bien le caractère intenable de cette position. Au procès Festina, on attendra vainement les aveux de Gérard Holtz et Patrick Chêne: "Oui, nous avons retransmis et glorifié les exploits de sportifs dont nous savions pertinemment qu'ils étaient dopés jusqu'à la moelle". En fait, s'il n'y avait pas la justice pour mener à terme les instructions, il y a fort à parier que tout le monde se contenterait des promesses de "renouveau", et le vélo serait officiellement "à l'eau claire" depuis deux ans.
On est effectivement passé du registre de l'information à celui du commerce, dans lequel la recherche de la vérité est facultative ou découragée. Il ne faut donc pas attendre la moindre velléité d'investigation, le courage étant forcément suicidaire dans ce milieu.
C'est donc une sorte d'"intérêt général" qui protègerait le coaching chimique s'il existait dans le football, et à moins de rebondissements judiciaires, il y aurait peu de chances qu'il soit mis à jour prochainement. Ces constats n'autorisent aucune conclusion, puisque notre sport préféré est présumé innocent. D'autre part, les comparaisons faites ici avec le cyclisme ne concernaient que l'environnement de ces deux disciplines, elles s'arrêtent là, le problème ne pouvant être posé de la même façon sur tous les plans (type d'effort et de qualités physiques, dimension "culturelle" etc.). À l'exception de cas de problématiques cas de positivité à la nandrolone (voir l'archive sur le dopage), le football européen s'est significativement épargné de graves ennuis. L'enquête du juge Guariniello en Italie n'a pas vraiment abouti, mais a cependant jeté un lourd soupçon sur les clubs italiens. Surtout, on a aujourd'hui l'impression que bien peu d'efforts sont consentis pour jouer la transparence, dissuader la fraude sportive et rassurer les inquiétudes mentionnées dans cet article. Le retard des instances, le peu d'exigence des médias et les enjeux économiques gigantesques sont les conditions réunies d'une tolérance déjà coupable... En soi, ce n'est déjà pas bon signe.