Dopage: des mots qui font peur
Un jeu d'enfant
Ce témoignage, s'il est authentique, clarifie ce simple fait: le football n'est pas miraculeusement épargné par ce mal. Si le dopage n'y est pas généralisé ou systématisé comme dans le cyclisme, il y est possible et pratiqué à titre individuel, dans une relative tolérance et avec de bonnes chances d'échapper aux contrôles.
Le témoignage est très éclairant sur la facilité à se procurer des produits interdits: le mode d'emploi y est décrit assez précisément, et les failles du système semblent béantes. Documentation, fausses ordonnances, recherche de pharmacies pas trop regardantes, apprentissage de l'injection intramusculaire... Le plus inquiétant est que la démarche semble avoir été suivie de façon totalement individuelle, les doses étant auto-administrées, avec les dangers que cela comporte: le joueur reconnaît une sorte de boulimie, renforcée par les progrès constatés. Des progrès tellement spectaculaires qu'ils finissent par l'inquiéter: "Si j'ai arrêté, c'est parce que sur le terrain, je restais au sprint pendant très longtemps. Ça m'alarmait, d'autant que mon cœur battait toujours régulièrement. Je n'étais jamais fatigué".
Nandrolone toujours....
Les déclarations de notre inconnu mettent en cause, en plus d'une hormone de croissance, la fameuse nandrolone, qui fait partie des seules substances détectées ces dernières années chez certains footballeurs, donnant lieu à différentes affaires et autant de polémiques (voir notre article et notre entretien avec Vincent Guérin de mai dernier). La thèse de la production endogène de cette substance, soutenue par la plupart des athlètes positifs, avait marqué des points récemment avec la publication de travaux scientifiques moins affirmatifs que les pouvoirs sportifs. Les propos reproduits par Le Parisien indiquent que le produit serait pourtant assez courant, malgré les risques encourus du fait de son identification très facile dans les analyses. Cette dernière observation suggère malheureusement que les dispositifs de dépistage sont encore largement déficients. Ainsi, la fréquence des contrôles dans le football paraît bien faible pour un sport professionnel de cette importance.
Autre motif d'inquiétude, les hormones de croissance, comme la nandrolone, ont pour effet d'augmenter la masse musculaire et d'améliorer l'endurance, et ce simple énoncé suffit à expliquer leur séduction. Mais elle est aujourd'hui indétectable, et on l'annonce comme le nouveau produit vedette de nombreuses disciplines. Dans le contexte décrit par le joueur, comment ne pas penser qu'elle se répandra aussi dans le football?
Un dopage banal et toléré?
Grave aussi est la description du laxisme des dirigeants, qui préfèreraient ne pas savoir tout en sachant... On ne sait pas dans quel club évolue ou a évolué le joueur en question, mais ses propos sont alarmants, considérant que les dirigeants se doivent d'adopter sans ambiguïté une attitude de dissuasion en exposant clairement à leurs effectifs que toute pratique dopante est totalement prohibée, afin de limiter les dérapages à des cas individuels. Si les clubs couvrent les fautifs sans se soucier de les sanctionner, quelles seront les barrières pour empêcher de véritables systèmes collectifs d'approvisionnement de se mettre en place? "Quand les dirigeants d'un club constatent qu'un joueur "explose", ils ne vont pas lui mettre des bâtons dans les roues". Issus des milieux d'affaires où tous les moyens sont bons, les patrons ou les gestionnaires modernes ajoutent aux enjeux sportifs des intérêts économiques radicaux, et il ne faut pas compter sur eux pour respecter une éthique irréprochable. Il est d'ailleurs significatif qu'ils n'aient pris l'initiative d'aucune démarche symbolique ou concrète pour s'engager publiquement dans la lutte antidopage, pour par exemple édicter une charte que leurs clubs s'engageront à respecter et à faire respecter par leurs joueurs. Cet engagement ne présenterait pas une garantie absolue, mais contribuerait à rappeler clairement les responsabilités et à placer les coupables futurs devant
Le "repenti"
Il est très délicat de se prononcer sur la base d'un témoignage anonyme dont la véracité ne peut pas être certaine. On a le souvenir du cas de corruption "dévoilé" par le magazine Capital l'an dernier, qui s'était révélé largement bidonné et romancé (voir l'article de mars, La contagion du doute). On aimerait que le journal ou l'auteur précise les conditions de cette rencontre et en certifie le contenu (étonnamment court, il lui semble manquer des précisions ou des parties), on regrette qu'un commentaire plus développé ne l'ait pas accompagné, étant donnée la gravité des faits.
On peut ainsi s'interroger sur les motivations du "témoin", qui veut parler "parce qu'il est scandaleux que des jeunes puissent se procurer aussi facilement des produits dopants", mais qui admet avoir aussi arrêté en raison de l'interdiction à la vente de ceux qu'il utilisait, et surtout qui ne regrette rien. Espérant aujourd'hui intégrer l'équipe de France, nous dit-on, il en arrive implicitement à légitimer les moyens utilisés pour atteindre son objectif: "J'avais gagné. Je voulais exploser, ça a marché. J'ai percé, je joue au haut niveau". Et le danger est bien là, dans cette affirmation sous-jacente que la triche chimique est efficace, voire nécessaire...
Dans les jours qui viennent, on observera comment les médias nationaux reprendront ces "révélations", puis comment les instances entendent réagir. Dans les heures qui ont suivi la parution du journal, la circonspection et un certain mutisme ont prévalu, mais les conditions sont réunies pour que cette pierre dans la mare provoque quelques remous... Si le dossier reste ouvert, qu'en sortira-t-il?