Trafic de rêve
Ce ne sont évidemment pas les scrupules qui étouffent les publicitaires — sinon ils devraient pratiquer leur métier en apnée. Sur le marché très concurrentiel des équipementiers sportifs, tous les coups sont permis, surtout pour les outsiders.
Une pièce en deux actes
Puma s'était déjà attribué le beau rôle dans l'affaire du maillot "une pièce" des Camerounais, il y a deux ans, transformant ses propres prises de risques avec le règlement en opportunités de communication dont la sélection camerounaise a risqué de faire seule les frais – écopant de six points de pénalité dans son groupe de qualification pour la Coupe du monde 2006 et d'une amende de 200.000 francs suisses. L'épisode, alors très médiatisé, avait en effet valu un joli nombre de retombées presse pour la marque allemande, qui s'était mise en scène comme une entreprise novatrice face à l'intransigeance des vieillards conformistes de la FIFA. Peu importa que le maillot du scandale était une pure fumisterie (voir Plate couture), le tour était joué.
Par la suite, la FIFA annulait ses sanctions tandis que Puma réclamait deux millions d'euros de dommages et intérêts... Avant que nous n'apprenions, en octobre dernier, que les deux parties étaient parvenues à un accord amiable "dans l'intérêt du football international" (sic), mais que celles-ci s'étaient également "engagées à la discrétion absolue concernant les termes de l’accord qu’elles ont conclu"... Amis de la transparence, bien le bonjour.
Les bénéfices du mirage
Cette fois-ci, la FIFA ne trouvera certainement rien à redire à la campagne publicitaire de Puma, lancée et abondamment diffusée à l'occasion de la Coupe d'Afrique des nations. Le spot en question raconte en un seul plan-séquence le parcours fulgurant d'un adolescent camerounais auquel sa famille offre une paire de chaussures: un agent jovial lui fait signer un contrat en l'assurant d'un destin de "superstar", il est sélectionné avec les lions indomptables contre le Sénégal, marque le but de la victoire, soulève la coupe et se retrouve sur le terrain à parler de retraite avec son conseiller. La magie du football en quelques secondes, le jeu, la gloire et l'argent dans le même panier...
Tout cela serait fort innocent si ces images ne mettaient délibérément en scène un mirage très répandu en Afrique, dont les effets sont désastreux sur les jeunes du continent, avec une immigration sauvage dont profitent des intermédiaires véreux et qui laisse la plupart de ces joueurs dans l'échec sportif et la précarité (1). Un système dont le football européen bénéficie indirectement mais envers lequel il se défausse pourtant de toute responsabilité. À l'image de Puma, "fier partenaire du football africain" qui se contrefout des effets aggravants de sa communication publicitaire. Il faut dire que, quels qu'en soient les effets symboliques en Afrique, les résultats commerciaux sont surtout attendus en Europe, là où est le pouvoir d'achat.
L'indifférence dans laquelle sont laissés les jeunes Africains, une fois tombés dans le piège des rêves trompeurs, est justement un des sujets de lutte de l'association Culture Foot Solidaire, évoquée dans le n°19 des Cahiers en octobre dernier (voir Afrique, l'exode continental). Nous relayons ci-dessous son communiqué – sans grande illusion sur ses reprises par une presse sportive généralement plus soucieuse de ses annonceurs que de la défense concrète des valeurs auxquelles elle se réfère pourtant régulièrement…
(1) Lire à ce sujet le superbe roman de Fatou Diomé, "Le ventre de l'Atlantique" - J'ai Lu Poches.
Communiqué de presse
Saint-Gratien, le 4 février 2006.
Culture Foot Solidaire, l’association de solidarité internationale par le football, par la voix de son président Jean-Claude Mbvoumin, souhaite vivement réagir à la dernière campagne publicitaire de la marque Puma. Cette publicité, régulièrement diffusée dans la presse écrite et dans la presse TV, lors des matches de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) qui se déroule en Egypte depuis le 20 janvier, met en scène un agent sportif faisant signer un contrat à un jeune footballeur, avec la promesse d’en faire «une superstar». L’image suivante montre l’adolescent marquant un but pour une sélection africaine avant de brandir la coupe d’Afrique quelques secondes plus tard.
En tant qu’ancien international des Lions indomptables du Cameroun et porte-parole d’une association qui milite quotidiennement sur les vertus éducatives du football et qui lutte contre le trafic et l’exode sauvage des jeunes joueurs africains mineurs vers l’Europe, le président de Culture Foot Solidaire estime que ce genre de publicité porte atteinte à l’éthique du sport et donne une image complètement fausse de la réussite dans le football. L’association, soutenue par Aimé Jacquet et de nombreuses institutions du football français, s’inquiète des conséquences que pourrait avoir cette publicité en Afrique et son impact sur les jeunes footballeurs africains et leur famille. Cette campagne est de nature à entretenir la naïveté de millions d’enfants qui, dans l’avenir, seraient ainsi tentés de croire et de suivre le premier agent sportif venu, licencié ou non, sans penser aux conséquences souvent dramatiques de cet engagement.
En conséquence, Culture Foot Solidaire exige la suppression immédiate de cette campagne publicitaire et demande à Puma de tout mettre en œuvre afin de rectifier le message initial.
Jean-Claude Mbvoumin
Président de Culture Foot Solidaire