Thiriez promet le grand bond en avant
Le président de la Ligue a battu ses propres records d'enthousiasme en lançant son "Plan Footpro 2012". Un plan surtout conçu pour convaincre Canal+ de racheter la Ligue 1 au prix fort. Extrait du n°37 des Cahiers du football, juillet 2007.
Auteur : Jérôme Latta
le 3 Oct 2007
Frédéric Thiriez aurait-il, naissance mise à part, le profil du parfait président pour la Corée du Nord? Non point pour d’éventuelles tendances dictatoriales (qu'il serait bien en peine de mettre en application au sein d'une Ligue gouvernée par les présidents de clubs), mais pour sa faculté à dépeindre un présent radieux annonçant un avenir encore meilleur – ce, malgré une réalité pour le moins contrariante. Ainsi, au terme d'une saison que beaucoup ont pourtant trouvée exceptionnellement terne, cet exercice d'acrobatie verbale est impressionnant, à défaut d'être très pertinent.
Record de records
Lors de l'assemblée générale tenue à Metz le 16 juin, et découvrant par la même occasion les effets euphorisants du Prozac, le président de la LFP a prononcé à quatorze reprises le mot "record". Entamant un discours fleuve, il a d'abord salué une "pluie de records en L2", décrétée "deuxième compétition sportive préférée des Français, nettement devant le Top14", sur la base de chiffres d'audience cumulée hautement discutables. "Records" aussi pour la Coupe de la Ligue et sa pathétique finale: non pas d'ennui, mais de remplissage du Stade de France et de parts de marché sur France2. Tant pis pour la contre-publicité faite auprès des téléspectateurs par un si piètre spectacle.
Mais le morceau de résistance du discours présidentiel a évidemment concerné les "records", encore, de la Ligue1. Avec une remarquable faculté à faire dire à peu près n'importe quoi aux chiffres, l'ami Frédo a donc décrété que "sur Canal+, ce fut aussi la saison de tous les records", recourant à force "barre symbolique" et autre "plus haut niveau historique" pour étayer son propos. En décortiquant cette avalanche de chiffres, on s'aperçoit que le dirigeant s'inspire de Sergueï Bubka… dont les records de saut à la perche étaient battus centimètre par centimètre.

Le public "a voté"
Tout est à l'avenant: audience des multiplex radiophoniques, de Téléfoot et même opinion des amateurs de football, dûment sondés par la LFP et l'UCPF. Non seulement le championnat de France reste leur compétition préférée (le contraire serait franchement inquiétant), mais ils estiment aussi à 97% que nous possédons de très bons joueurs, à 91% que la Ligue1 a un bon niveau technique et à 80% que les matches sont de qualité. Vive les sondages. C'est le moment que choisit Thiriez pour monter en fréquence: "Tout ceci pour dire quoi? Pour répondre simplement à ceux qui doutent, à ceux qui s'interrogent, à ceux qui critiquent voire dénigrent, par tempérament ou par tactique (!), que le public, notre public, lui, ne s'y trompe pas. Il a voté (sic)! Et il a voté oui! C'est la seule chose qui compte et vous pouvez, vous devez, en être fiers, tous autant que vous êtes, car ce succès est le vôtre!"
L'euphorie à la sauce Coué ne s'arrête pas en si bon chemin: s'ensuit un éloge univoque de notre championnat, dans lequel tout est bon, comme dans le cochon – qu'il s'agisse de la présence d'un "grand club européen six fois champion de France, capable de battre n'importe quelle grosse cylindrée anglaise, italienne ou espagnole" ou d'une baisse de 7% du nombre de cartons rouges.
Canal+ par la queue
Ce panégyrique s'inscrit évidemment dans une perspective: l'appel d'offres pour les droits de télévision de la période 2008-2011, qui sera lancé en fin d'année, et la crainte que le football professionnel ne retrouve pas le niveau des 600millions annuels payés par Canal+ jusqu'à la saison prochaine. Le but est donc de rassurer un diffuseur dont le mécontentement s'est exprimé moins bruyamment cette saison – et qui compte vraisemblablement sur le marasme ambiant pour justifier une offre à la baisse–, mais avec lequel les relations ne sont pas au beau fixe. Le patron des sports de Canal+, Alexandre Bompard, rappelait en janvier, dans L'Équipe, la "loi des quatreS": suspense, stars, stades modernes, spectacle. La quadrature du cercle pour la Ligue, dont les membres n'ont pas su valoriser la manne télévisuelle du contrat en cours. Surtout, le printemps a vu s'ouvrir un nouveau contentieux: en séparant, pour les droits de la Ligue2, la production des images de leur diffusion (lire l’interview d’Eric Ginet dans les CdF #36), la LFP a alimenté les craintes qu'elle ne fasse de même pour la Ligue1, afin d'élargir un marché rendu moins concurrentiel par la fusion entre CanalSat et TPS… Une vraie déclaration de guerre pour la chaîne cryptée.
Alors, Thiriez remet le "partenaire historique du foot français" au centre de son speech, saluant son "coup de génie" lorsqu'il emporta le précédent appel d'offres, vantant "une stratégie gagnant-gagnant et non la politique du pire qui dégraderait ses comptes en même temps que son propre produit".
« 50% des joueurs de Ligue 1 sont internationaux, l'équipe de France comprend deux tiers des joueurs du championnat, l'arbitrage est professionnel en Ligue 1 et assisté par la vidéo »
Objectif: 750 millions
Heureusement, Frédéric a une astuce: le "Plan Footpro 2012", programme quinquennal qui promet un grand bond en avant pour nos clubs, capable "d'enclencher ce cercle vertueux, cette spirale positive de la puissance économique et de la performance sportive". Qu'on en juge: "Imaginons qu'en 2012, notre championnat occupe la place de troisième à l'indice UEFA, une victoire a été remportée par un de nos clubs en Champions League, deux clubs au moins sont régulièrement qualifiés en quart de finale d'une coupe d'Europe, 50% des joueurs de Ligue 1 sont internationaux, l'équipe de France comprend deux tiers des joueurs du championnat, l'arbitrage est professionnel en Ligue 1 et assisté par la vidéo".
Passons sur ce dernier point, marotte du président de la Ligue qui ne relève pourtant pas du tout de ses prérogatives (lire aussi ci-dessous). Pour le reste, son scénario de science-fiction envisage également un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros, la rénovation ou la reconstruction de quinze stades, la suppression des grillages "grâce au recul de la violence", et même l'obtention de l'organisation de l'Euro 2016. On note aussi le projet d'une "mutualisation" de la formation des 15-18 ans "pour le compte des clubs par des centres de formation régionaux sous le contrôle de la Ligue".
Ce tableau tout en camaïeu de rose serait effectivement de nature à inciter le futur diffuseur à déposer une grosse enveloppe sur la table, histoire de financer le programme. On table sur 750 millions au sein de la Ligue. Reste à savoir si la surenchère verbale de Frédéric Thiriez contribuera à cette inflation.