Supporters : les pouvoirs publics s'acharnent sur le bouton répression
Incapables de traiter les violences en marge des rencontres, les pouvoirs publics se répandent en mesures absurdes qui frappent les supporters, pas les délinquants. Nouvelles illustrations pour ceux de Lens et du PSG.
"Rien n’est plus dangereux en diplomatie que de parler de paix en amateur." [1]
Si le football amateur français peine à franchir le cap du monde professionnel (lire "Luzenac, le petit poussé dehors"), il est pourtant un autre amateurisme qui préside durablement dans le championnat de France. Plus de vingt ans après les premiers incidents graves et plus de quatre ans après le médiatique et radical Plan Leproux, les responsables du football français persistent à faire montre d’incompétence et de maladresse dans l’appréhension des questions de sécurité dans les stades. Si la réaction face aux débordements est absolument nécessaire, ce sont toujours ses modalités qui fâchent. Nouvelle saison, nouvelles illustrations.
Refus du dialogue, restrictions, répression
Samedi 9 août, alors que le SC Bastia reçoit l’Olympique de Marseille, des incidents interviennent à plusieurs kilomètres du stade. Alors que ce match était déclaré à risque, malgré la mobilisation en nombre des forces de l’ordre et de nouvelles restrictions à la liberté de déplacement des supporters, les pouvoirs publics ont encore démontré leur incapacité à préserver l’ordre public. Pour justifier d’éventuels huis-clos au stade Armand-Cesari, les pouvoirs publics martèlent: "L’enfer, c’est les autres." Incapables d’autocritique sur l’inefficacité de leurs dispositifs, ils ne cessent de remettre en cause le droit des supporters à être des citoyens normaux. Une réponse en trois temps: refus du dialogue préalable, restrictions unilatérales des libertés fondamentales, intensification de la répression. C’est ainsi que, pour la rencontre devant opposer le SC Bastia au RC Lens le 13 septembre, les pouvoirs publics nous ont offert une Valls à trois temps.
Le 22 août, le préfet de Haute-Corse interdit l’accès au stade à tout supporter lensois en se fondant, par exemple, sur des incidents datant de 1972 (mais qui sont datés de 1976 dans l’arrêté…), et notamment un rodéo de voitures sur le terrain d’entraînement bastiais. Le 9 septembre, comprenant que les incidents ont désormais souvent lieu loin des stades et que les individus concernés n’utilisent souvent le football que comme un prétexte, le ministre de l’Intérieur prend un arrêté interdisant le déplacement entre le département du Nord Pas-de-Calais et la Corse.
Dans l’euphorie de la déflation du champ des libertés individuelles, il interdit même, du 12 septembre 9 heures au 13 septembre minuit, le déplacement individuel par tout moyen de supporters lensois entre les communes du département du Pas-de-Calais, les ports de Nice, Marseille et Toulon, les aéroports de Lille et Paris, d'une part, et la Corse, d'autre part. Comprenez que tout individu sympathisant du RC Lens qui prend le bateau ou l’avion pour la Corse, même s’il y réside ou se rend en vacances, s’expose à six mois d'emprisonnement et 30.000 euros d’amende [1].
Amateurisme des pouvoirs publics
Une telle restriction de liberté est d’autant plus inacceptable que les motivations de l’arrêté sont soit mensongères, soit la résultante des propres turpitudes de l’administration. Ainsi, le ministre prétend-il que 44 représentants des forces de l’ordre ont été blessés durant la rencontre entre le SC Bastia et l’Olympique de Marseille alors même que cette information a été infirmée entretemps.
En outre, peu avare en mesure et loin de généraliser, le ministre déclare que "Les supporters du SC Bastia font systématiquement preuve d'un comportement violent, quelle que soit l'équipe adverse." Avouant son incapacité à faire respecter la loi sur le territoire de la République, le ministre se lamente que "La plupart des supporters bastiais commettant des actes violents [sont] revêtus de cagoules", ce qui lui interdit de les sanctionner. Il suffirait donc de porter une cagoule pour s’affranchir impunément de toute règle?
Touché par un moment de grande sagesse, le ministre reconnaît un peu de légèreté et rectifie son arrêté le 11 septembre. Mais cela n’est nullement l’occasion de faire montre de mesure en matière de liberté individuelle, mais seulement de maintenir la cordialité des relations avec les Corses. Le dispositif reste le même, seuls les fondements sont réécrits de manière moins catégorique. Aveu d’impuissance, rédactions hâtives et fondements inexacts: la recette liberticide que les pouvoirs publics persistent à préférer à un dialogue préalable avec les supporters pour convenir de leur venue au stade.
Amateurisme des clubs
La gestion de la billetterie pour la rencontre Stade rennais-Paris Saint-Germain est une nouvelle illustration de l’amateurisme des clubs. En traçant les adresses hors de la Bretagne pour des raisons de sécurité, le club méconnaît gravement les lois en la matière, alors même que la CNIL les a sévèrement rappelées au club parisien. Surtout, cela montre la méconnaissance complète du monde des supporters par les clubs. Croire que les habitants d’une région sont tous et exclusivement sympathisants du seul club local est inepte. Croire, en outre, que les individus voulant profiter d'une rencontre sportive pour se comporter comme des délinquants ne sont pas capables de contourner cette contrainte est tout aussi aberrant. Encore une fois, les règles et libertés sont brimées, mais ce sont les supporters et non les délinquants qui sont pénalisés.
Mais c’est la gestion de la billetterie de la rencontre RC Lens-Paris Saint-Germain qui a le mieux cristallisé cet incroyable amateurisme. Début août, le RC Lens confie à différents prestataires la vente grand public des billets pour cette rencontre. Début septembre, découvrant qu’une rencontre impose des règles de sécurité, les organisateurs décident d’annuler tous les billets vendus en virage et invitent les supporters à les acquérir de nouveau sur la billetterie de leur club. Là aussi discrimination, illégalité et amateurisme président.
Discrimination, puisque les titulaires de billets dans les catégories 1 à 4 (les plus chères) se voient appliquer les conditions générales de vente et réattribuer des places ailleurs dans le stade. Illégale, puisque les titulaires de billets les moins chers, pour leur part, voient leurs billets purement et simplement annulés en méconnaissance des stipulations contractuelles. Amateurisme, enfin, puisqu’après avoir mis un mois à étudier les conditions de sécurité, les organisateurs remplacent automatiquement les billets des supporters parisiens habitant dans les régions Nord Pas-de-Calais et Picardie dans le virage lensois. Comme s’il fallait habiter dans le 16e arrondissement de Paris pour soutenir le Paris Saint-Germain.
L’acharnement aveugle pour seul credo
Face à ce cumul, année après année, de bévues amateures, illégales et discriminatoires, quelle légitimité accorder à des acteurs institutionnels qui se bornent à accuser et réprimer des supporters à qui ils refusent le dialogue?
Le réflexe des différents protagonistes consistant à considérer les supporters comme étant à la fois en totalité et en exclusivité les responsables des troubles à l’ordre public inquiète, les années passant et les incidents se perpétuant. Le championnat d’Europe approche, mais les recettes ne changent pas. Face à la violence, on oppose la privation de liberté préventive sur autrui, rarement la sanction pénale. Face au racisme, on oppose des réactions médiatiques indignées non suivies d’effet. En revanche, face aux fumigènes et aux banderoles déplaisant aux diffuseurs, on trouve des trésors d’énergie pour faire tomber ces invincibles cagoulés ou, à défaut, on réprime aveuglément tout ce qui ressemble à un supporter.
Le dialogue, pour sa part, présente le risque de confronter les pouvoirs publics à une triste réalité : les supporters maîtrisent souvent mieux les enjeux de sécurité en tribune que les forces de l’ordre et ne sont pas tous des voyous décérébrés. A moins que la seule perception valable des tribunes soit celle des loges et tribunes présidentielles.
[1] L’homme sans qualités, Robert Musil.
[2] Alors même que le tribunal administratif de Rennes a sanctionné un arrêté interdisant l’accès à l’Ille-et-Vilaine à tout supporter parisien.