Le président Egon Gindorf a choisi de suivre le match contre Nantes dans le kop strasbourgeois. Opération démagogique ou sympathique initiative? Nos rédacteurs ne sont pas d'accord…
Quelques grammes de démagogie dans un monde de brutes
Eugène Santa
On connaissait le "président paternaliste" assis sur le banc de touche. On a découvert dimanche soir le "président supporter" encourageant son équipe depuis le kop. À l'occasion de Strasbourg-Nantes, Egon Gindorf, tout nouveau patron du club alsacien, a en effet décidé d'aller tâter la croupe du supporter dans les travées les plus chaudes de la Meinau, tel Jacques Chirac en visite au Salon de l'agriculture. À vrai dire, c'est plutôt à la stratégie de son ex-ami de trente ans que pourrait s'assimiler l'initiative de Gindorf, qui rappelle sacrément celle d'Edouard Balladur, alors Premier Ministre, s'immergeant dans la foule du RER aux heures de pointe. Voire celle d'un Giscard d'Estaing prenant l'apéro chez les Français moyens ou jouant de l'accordéon avec les éboueurs (à moins que ce ne soit le contraire).
Quel était le but de la manœuvre? En premier lieu, rétablir la confiance et le contact avec des supporters durement ébranlés par plusieurs années de règne Proisy, et accessoirement tâcher de pousser à la hausse une fréquentation décevante depuis le début de saison. Avec cette opération plus médiatique que symptomatique d'un réel désir de prendre en compte les aspirations des supporters, Gindorf expose de façon explicite sa stratégie: reconquérir le public strasbourgeois par les moyens les plus grossiers de la communication publique.
Il ne fait finalement que surfer sur l'image d'un président au profil atypique dans le milieu du foot. En descendant ainsi dans l'arène, Gindorf travaille sa réputation d'homme de proximité, très foot d'en bas (c'est à la mode), loin de l'austère président gestionnaire façon Aulas ou feu Perpère.
En foulant ainsi les travées de la Meinau, Gindorf a également souhaité enfoncer un peu plus le clou de son enracinement dans la vie du club, à l'exact opposé de la méthode Proisy, qui gérait les affaires strasbourgeoises depuis son bureau parisien. Ce côté "terroir", pour un homme de la région (même s'il n'est pas alsacien) est d'ailleurs l'un des atouts principaux de Gindorf. Mais il doit bien savoir que ce n'est pas non plus pas la garantie d'une immunité totale vis-à-vis de la colère des supporters: à Bordeaux, par exemple, Jean-Louis Triaud n'a jamais réussi à gagner la confiance des fans girondins. A contrario, un Denisot ou un Tapie, dans deux registres différents, ont connu une forte popularité dans leur club sans véritable implantation locale. Pour Gindorf, il s'agit donc sans doute de jeter les bases d'une relation forte avec les supporters, fut-elle aussi artificielle que son geste.
Quoi qu'il en soit, après le passage de l'ouragan Proisy, Egon Gindorf possède une belle marge de manœuvre. Quelle que soit la perception de sa petite sortie démagogique, il peut encore gaspiller quelques cartouches: les supporters strasbourgeois ont appris la patience.
Sauvé par l'Egon
Etienne Melvec
À vouloir suspecter toute démarche d'un président de club des plus basses intentions promotionnelles, la doxa cahiersdufootballistique rencontre ses limites. Dans la critique de mon camarade Eugène, il y a du procès d'intentions (et dans l'Eugène il n'y a pas de plaisir, c'est bien connu), alors qu'il suffit de contempler la grosse bouille réjouie du président alsacien pour comprendre que l'Egon peut être rond sans être centrique (1).
Le président strasbourgeois n'a d'ailleurs pas insisté outre mesure, n'assistant qu'à une seule mi-temps de la rencontre et ne prévoyant pas de renouveler l'expérience plus d'une fois pas saison. En outre, les remarques qu'il a faites témoignent d'une candeur amusante — "Les écharpes m'ont parfois empêché de voir la rencontre" — et d'une certaine modestie — "Les présidents passent, tandis que les supporters restent" (2). Enfin, il fallait tout de même un brin de courage pour ne pas craindre que la défense de son équipe, qui venait de prendre trois buts à Sochaux, ne le mette en fâcheuse posture.
Faut-il soupçonner Eugène d'une forme de dépit de voir le Racing sous la houlette dune équipe dirigeante qui préfère le chant du Racing au chant du cygne et met le club sur les rails de la crédibilité, privant ainsi les Cahiers d'une importante source de sarcasmes? D'une jalousie occulte envers la rutilance du nouveau maillot et du jeu des hommes de Kombouaré?
Attention, car à vouloir dire que l'Egon, c'est toujours les autres, Santa glose, et bientôt Santa barbera.
(1) L'épisode en rappelle un autre, de nature totalement différente, lorsque Charles Biétry, alors subordonné de Denisot au service des sports de Canal (bien avant que l'un et l'autre ne prennent les rênes du PSG) était parti en expédition tragi-comique dans la tribune Boulogne. Le choc des inintelligences y avait été mémorable.
(2)
Site officiel du RCS.