OM : une catastrophe industrielle
Une embarrassante publicité
Le reportage de M6 n’est évidemment pas exempt de critiques. La publicité brutale dont il fit l'objet peut sembler excessive, mais encore est-elle conforme à la notoriété du club et à la fascination qu'il exerce. Sa présence dans une émission au thème assez stupide ("Recherche victoire désespérément"), entre Kournikova et Prost, était en soi assez incongrue. Mises en avant, les images de l'enterrement de Francis "le Belge" —qui montrent certains membres du club parmi l'assistance de son enterrement— sont plus spectaculaires que probantes et la méthode est discutable. Patrick Fancello, dans La Provence du 28/03, rappelle que des "révélations" bien plus significatives figurent dans le livre de Jean-Louis Levreau ("Le séisme marseillais"), et n'ont pas rencontré un tel écho. Cette tendance au sensationnalisme a donné l'impression que le club était entièrement aux mains de la mafia et de ses supporters, et les clichés sortent plutôt ragaillardis de ces vingt-cinq minutes (mais les suspicions aussi malheureusement).
La partie à charge sur les supporters, est moins contestable, mais tout aussi dommageable. On devrait se féliciter que les supporters puissent être entendus au sein des clubs et pas seulement réduits au statut de consommateurs. Les réactions virulentes des ultras lors des deux dernières saisons procédaient en partie d'une légitime réaction au tout-marketing des nouveaux dirigeants. Le problème est que la professionnalisation de certains supporters et leur intéressement financier aux résultats du club font qu'ils se constituent en force de pression incontrôlable. Certes, les supporters marseillais ont de tout temps exprimé leur colère, et de façon pas toujours mesurée. Le pouvoir de nuisance acquis aujourd'hui par certains d'entre eux est cependant devenu insupportable, avec leur implication directe dans le management du club. L'épisode burlesque de la "conférence de presse" annonçant aux médias le limogeage d'Abel Braga résumait à lui seul des dérives incroyables de la part d'un club de cette envergure.
Les hors-jeu de Louis-Dreyfus
L'échange qui eut lieu ensuite sur le plateau de l'émission, entre l'animateur de M6 et le président-actionnaire n'a hélas pas relevé le niveau. Prenant immédiatement son interlocuteur en défaut, Olivier Carreras a ensuite été présomptueux, prêtant le flanc à la défense pourtant très peu convaincante de Louis-Dreyfus (et qui avait lui-même reconnu avant la diffusion que le document allait "faire très mal à l'image du club et de Marseille" —L'Equipe 27/03). A la sienne aussi. Si sa responsabilité ne semble pas directement engagée, l'ancien président d'Adidas doit convenir que le club lui a complètement échappé et que son management a été indigent.
La communication de Robert Louis-Dreyfus laisse décidément perplexe, et son total manque de naturel, sa fragilité devant le constat certes évident de ses échecs renforcent l'idée qu'il est perdu dans un univers qui le fascine mais auquel il est totalement étranger. L'énigme est tout de même de taille: comment peut-on réussir aussi bien dans les affaires, y acquérir une respectabilité, et se planter totalement dans le monde du sport, jusqu'au ridicule et à la perte de contrôle? Le malentendu est pourtant bien là, car l'intéressé affichait clairement ses certitudes et son objectif au moment de son arrivée: "prouver que l'on peut réussir la même chose dans le sport que dans les affaires" (sic).
Le reportage est allé chercher en archive une autre phrase anthologique, que RLD prononce péniblement, comme s'il récitait une leçon: “Notre consommateur, il a quatre ou cinq ans, il va à l’école. Son cahier est OM, son stylo est OM. On lui met la piqûre“. Le rapprochement entre le football, l'enfance, "notre consommateur" et la toxicomanie est confondant de bêtise, mais il résume bien l'idéologie et les intérêts des nouveaux propriétaires des clubs.
L'échec de RLD est effectivement celui d'une illusion dont il n'est d'ailleurs pas la seule victime: celle que le football, à la veille de son basculement total dans le big business, serait à court terme un fabuleux jackpot pour les investisseurs. Ce mépris du contexte local, des dimensions culturelles et humaines du football et même de la logique sportive a été violemment rabattu par la réalité.
Quoi que l'on puisse en penser, le reportage de Serge Aragones (journaliste marseillais, faut-il le signaler) vient accabler un OM en perdition sur tous les plans. Il altère un peu plus l’image du club, alors que cette image est peut-être son plus précieux capital. Il a pu sembler inépuisable, et il se reconstituera sûrement, mais en l’absence prolongée de résultats sportifs, avec l’accumulation des déboires, l'OM de l'ère LD semble en avoir dilapidé une grande partie. Son expérience phocéenne forme un catalogue de déboires à même de dissuader n'importe quel investisseur audacieux. L'ouverture du capital souhaitée par les dirigeants va être problématique, et cette absence de perspectives économiques enfonce certainement le président dans sa déprime.
Tapie en désespoir de cause
Dans nos "grands clubs", on l’impression que les remèdes sont pires que le mal. Une impression qui se confirmerait si Bernard Tapie revenait, comme la presse en remue l'idée actuellement. Les premiers concernés se prêtent aussi au jeu, puisqu'ils ont dialogué ensemble sur RTL9 dimanche soir, et que le "pourquoi pas?" de RLD a laissé la porte ouverte à son ultime erreur de casting.
Il y a un peu plus d’un an, l’hypothèse avait été poussée par l’ex-président lui-même, qui avait montré à cette occasion que son instinct démagogique ne l’avait pas quitté, en proposant une souscription nationale destinée à faire des supporters de l’OM des "socios" copropriétaires de leur club. Une offre de service repoussée à l'époque avec condescendance par l’actionnaire majoritaire, qui sommait Tapie d’aligner les 500MF nécessaires à la reprise du club. Une façon d’écarter les avances de celui qui se déclarait être occasionnellement son "consultant", et n'a aujourd'hui plus aucun poids économique. En retour, Tapie avait déclaré que jamais il n'accepterait d'être l'employé de Louis-Dreyfus (voir Tapie : bluff et démagogie, 12 juin 2000).
Mais RLD s'est une nouvelle fois trompé en pensant que jamais les circonstances d'un rapprochement ne pourraient être réunies. Car le seul scénario qui pouvait permettre un retour de Tapie aux commandes s'est déroulé en une saison, presque inéluctablement. A cette époque, l’affaire OM-Monaco avait semblé offrir à l’équipe dirigeante l’opportunité de "faire le ménage" dans l’entourage du club et de reprendre la main sur des bases assainies. Las, le maintien d’Yves Marchand et les résultats sportifs ont sonné le glas d'un redressement rapide. Aujourd'hui, acculé dans une impasse de laquelle il voudrait sortir sans être totalement dépouillé, Louis-Dreyfus n'a plus de solution sportive, il est toujours entravé par les influences occultes et les conflits internes, menacé par l'information judiciaire ouverte sur les comptes du club... La situation lui échappe tellement que seul un "homme providentiel" semble en mesure de lui sauver la mise, fût-il un rival encombrant.
Il est bien trop tôt pour croire acquis le retour de Nanard sur le lieu de ses exploits. Aussi anxieux que nous laisse l'éventualité de ce come-back (voir C'est Tapie pour eux), nous ne pouvons réclamer une mesure d'excommunication à vie contre un homme, même si nous soupçonnons celui-ci d'être le démon du populisme. Son déboulé dans le football français actuel aurait le mérite de secouer un cocotier déjà ébranlé par les tempêtes récentes. Il n'est qu'à entendre Noël Le Graët, qui cache à peine son amusement…
Et l'OM, comment survivra-t-il?