La loi de Lamour
Jean-François Lamour va-t-il sabrer les espoirs des grands patrons du foot français avec une nouvelle loi sur le sport qui ne leur accorderait toujours pas l'entière propriété des droits télé? Le projet leur donne pourtant satisfaction sur d'autres points…
Auteur : Julie Grémillon
le 17 Fev 2003
Jean-François Lamour est sorti du bois, huit mois après son accession au ministère des sports, pour révéler plus précisément ses intentions concernant les grandes revendications de nos clubs professionnels. Il a en effet annoncé dans Le Monde (11/02) une nouvelle loi sur le sport pour le printemps (dont le projet sera présenté en avril au Conseil des ministres), en vue d'une application dès la saison prochaine. D'après les premiers éléments, elle complète celle de Marie-George Buffet bien plus qu'elle ne la remplace ou ne la réforme. Son volet consacré au sport professionnel et en particulier au football légifère sur des points qui ont nourri la chronique ces derniers temps. S'il accède à une partie des revendications des clubs réunis sous la bannière du Club Europe ou de l'UCPF, il devrait leur laisser quelques frustrations majeures. Les droits TV au bilan, pas dans la poche Le premier point est l'attribution aux clubs de la propriété "comptable" de leurs droits de diffusion. Les clubs pourront les inscrire dans leurs comptes, sans en devenir juridiquement les propriétaires — la gestion mutuelle des droits (négociation et répartition) revenant toujours à la Ligue. Pour nos patrons, qui réclamaient cette mesure depuis longtemps, le verre reste pourtant à moitié vide. Car voilà qu'après avoir obtenu la main, ils veulent arracher le bras, et font comme si un horrible malentendu était survenu. On s'est mal compris, c'est la propriété pleine et entière qu'ils voulaient. Jean-Michel Aulas, "perplexe et inquiet", mais également aussi péremptoire et menaçant qu'à l'accoutumée, a ainsi déclaré au Monde (15/02) "Je ne vois pas comment on pourrait mettre au bilan quelque chose qui ne nous appartient pas. Cela revient à créer une nouvelle forme d'actif virtuel. Nous sommes contents de voir l'arrivée d'une nouvelle loi, mais il faut que les clubs deviennent propriétaires des droits télévisés. Sinon, on va vers un sérieux problème". Frédéric Thiriez y voit un faux problème, qu'une "copropriété" des droits gérés par le "syndic" de la Ligue résoudrait facilement. Pas sûr qu'il saisisse bien les désirs de ses interlocuteurs. Les assemblées de copropriétaires vont être houleuses. Surtout, ce pas supplémentaire rendrait difficile la garantie de la mutualisation des droits, a fortiori s'il fallait croire les dirigeants lorsqu'ils jurent vouloir la respecter. D'ailleurs, Christophe Bouchet, qui après Gervais Martel (président de l'Union des clubs professionnels de football) a été l'un des premiers à réagir, réitère son chantage. S'il n'obtient pas la répartition qui lui convient, il confirme sa volonté de faire établir par les tribunaux l'illégalité de la propriété collective. La société prend le pas sur l'association Ils peuvent toutefois se consoler avec le second point qui répond à d'autres revendications. Il concerne les rapports au sein d'un club entre la société et l'association, et rééquilibre les pouvoirs en faveur de la première. D'une part, le numéro d'affiliation du club sera également concédé directement par la fédération à la société, pour une durée déterminée (quatre à cinq ans selon Le Monde). D'autre part, la société sera propriétaire de la marque, et non plus l'association, et elle pourra l'inscrire à son bilan. On ne sait pas pour le moment à quoi cette propriété serait conditionnée, sachant qu'elle doit bien l'être, sous peine de voir des actionnaires majoritaires faire leurs valises en emportant le nom du club. Ces trois mesures, réclamées de longue date par les clubs, répondent au même souci de renforcer la "visibilité" financière des clubs à moyen terme et de rassurer les investisseurs éventuels. On veut bien croire que les marchés financiers marchent aux illusions, mais sur le plan économique, cela ne change pas grand chose à la situation. En revanche, en distendant le lien organique entre les clubs et les associations pour sacrifier à la liberté d'action des investisseurs, on prend le risque d'une perte de contrôle sur les actionnaires majoritaires, qui ne sont jamais très brillants quand ils sont livrés à eux-mêmes… Et l'on sait qu'ils veulent beaucoup plus que ce qu'ils demandent officiellement. Enfin, on notera que Jean-François Lamour s'est félicité d'une éventuelle augmentation des droits de télévision, l'essentiel étant à ses yeux l'argent récolté par la taxe de 5% sur les contrats de télévision qui alimente le FNDSA (Fonds national de développement du sport amateur). On se souviendra avec amusement que cette disposition de la loi Buffet avait fait hurler au bolchevisme nos dirigeants préférés (voir En attendant la révolution). On ne peut pas se féliciter des concessions faites aux clubs par le ministre, mais il est intéressant de remarquer la continuité de son action avec celle de son prédécesseur, et les limites qu'il pose à la libéralisation. Il laisse le football français arbitrer le débat sur le mode de répartition, donne des gages à la "liberté d'entreprendre" dans le secteur du sport professionnel, mais semble déterminé à garantir la propriété collective des droits, reconnaissant de fait une spécificité sportive dont il nous reste à espérer qu'il la défende aussi auprès des institutions européennes…