Nouveau départ
Enfin une vraie défaite
On l’avait presque oublié, mais la défaite est une composante essentielle du sport. Non pas que l’équipe de France fût invincible. Ces dernières semaines, elle a par exemple été battue par la Belgique, inquiétée par la Russie et la Corée du Sud, mais quelle valeur accordait-on à ces récentes contre-performances rapidement passées en arrière-plan? Ce n’était que de simples matches amicaux de préparation, contre des seconds couteaux du football mondial, pour lesquels le seul fait de se mesurer aux Champions du Monde et d’Europe en titre servait de formidable motivation. Mais toujours est-il que depuis l’Euro 96, la France n’a plus perdu de match en compétition, hormis contre les Pays-Bas en 2000 pour une rencontre sans enjeu au cours de laquelle ils avaient en fait déployé un jeu intéressant.
On a beaucoup glosé rétroactivement sur l’importance des deroutes contre Israël et la Bulgarie à l’automne 1993, qui peuvent être vues comme le point départ de l’aventure conduisant à la victoire de 1998. Il n’en demeure pas moins qu’une bonne défaite permet parfois de revenir aux valeurs de base du football (solidarité, esprit d’équipe, dévouement au jeu) et à ses principes fondamentaux (marquer un but de plus que l’adversaire, respecter celui-ci, etc). Non qu’il faille faire l’apologie des défaites glorieuses, tel Jean-Patrick Sacdefiel. La victoire est aussi partie intégrante du sport, bien sûr, et nous n’oublierons jamais ces moments magiques de 1998 et 2000. Mais elle prend plus de relief lorsqu’elle s’oppose à des moments de détresse, dans lesquels on doit se remettre en cause. Dans ces moments d’euphorie trop prolongée, on oublie facilement de le faire, on se croit intouchable. Et à vaincre à coup sûr, on en vient à oublier ce qui fait vaincre.
La chute
Le football a la particularité —qui le distingue de beaucoup d’autres sports et le rend si populaire — de porter en lui ces quelques valeurs fondamentales. Malheur à celui qui ne prend pas garde de les respecter. Bien sûr, les Bleus ont des qualités individuelles et collectives supérieures aux Sénégalais. Mais leur sentiment d’invincibilité leur a fait trahir le jeu. Ironiquement, cet esprit gagnant a été incarné à merveille par cette équipe de France de 1998, et nombre des joueurs de la Senef la regardaient avec admiration et envie à cette époque. Ils s'en sont inspirés vendredi, donnant une leçon à des maîtres ou modèles qui se contentaient de plagier avec un art consommé de la communication ceux qu’ils furent en 1998 et 2000. Mais qui en fait, avaient oublié le secret de leurs victoires, s’agitant parfois pathétiquement pour raviver la flamme. C’était un remake de la chute de l’empire romain, avec les Bleus dans le rôle principal.
Il ne faut pas s’étonner non plus de la joie ou de la satisfaction que cette défaite peut susciter à l’étranger. Combien de fois n’avons-nous pas pris ce petit plaisir de nous réjouir de la défaite de grandes équipes, ou supposées telles, surtout lorsqu’elles l’affichaient avec arrogance. Encore une fois, le football est beau parce qu’un David respectant les valeurs de base et l’esprit du jeu a autant de chance qu’un Goliath trop conscient de sa supériorité qui commençait à sérieusement agacer le reste de la planète. Brésiliens, Argentins, Allemands, Italiens, Anglais ont tous paru arrogants à un moment ou à un autre. Notre tour est venu, et nous nous en rendons compte maintenant. C’est peut-être en fait en ce moment qu’on peut enfin réaliser l’impact de 1998: battre cette équipe de France est une formidable performance, vécue comme telle par l’Afrique et le monde (presque) entier qui vivent cet exploit par procuration.
Une équipe de France capable de se régénérer ?
Ce goût de la défaite manquait donc peut-être jusqu’à aujourd’hui. Il est bien là, tenace et prenant tout le corps. Mais tout n’est pas perdu. Maintenant que les Bleus ont réappris à perdre, ils ont encore la possibilité de vite réapprendre à gagner et de retrouver ces valeurs qu’ils ont incarnées magnifiquement il y a quatre ans. Mais pour cela, il y a quelques erreurs à éviter. Tout d’abord relativiser cette défaite en se cachant derrière l’absence de Zidane. Ce n’est pas respecter le jeu que de déifier un joueur, même quand il s’appelle Maradona. Ensuite, ce serait de se contenter d’avancer des excuses dans les circonstances : une saison trop fatigante pour de nombreux joueurs, des conditions climatiques difficiles, un ou deux joueurs aux allures de coupable idéal (devinez qui !), un système de jeu inadapté… Tout cela est vrai, mais pour remporter une Coupe du monde, il faut vaincre ces circonstances également, en plus de l’adversaire du jour. Se réfugier derrière ces faux-fuyants, c’est surtout regarder en arrière, et ne pas voir les deux matches au cours desquels les Bleus ont encore tout un monde à inventer. Un monde qui n’est pas forcément la reconduction des schémas de jeu qui ont fonctionné jusqu’ici, ni d’ailleurs leur bouleversement total. L’équipe de France sera-t-elle capable de ce sursaut créateur étonnant comme au soir de la finale 2000? On veut y croire. Merci en tout cas pour ces années de bonheur footballistique, passées et surtout à venir.
Alors, allez les Bleus, étonnez-nous encore, inventez ce que nous sommes incapables d’imaginer, et vive le football !