Le tracteur et le gazoduc
Matchbox : Zénit-BATE Borisov, 1-1. Dans ce joli groupe H, derrière le Real et la Juve, c’est une autre lutte qui se joue.
Auteur : José-Karl Bové-Marx
le 22 Oct 2008
Buts : Nekhaychik 52e, Fatih Tekke 80e.
La nalyse
Cette lutte, c'est celle pour la suprématie entre les deux "saintes sœurs", l’immense Russie et l’exsangue Belarus, par l’entremise de leurs champions nationaux. Une lutte a priori disproportionnée qui a pris hier un drôle de tournant, avec un nul spectaculaire obtenu par les va-nu-pieds de Borisov sur le terrain des nouveaux riches de Saint-Pétersbourg.
Défait de peu lors des deux premières journées, le flamboyant Zénit devait absolument, dans son bon vieux stade Petrovski (Gazprom promet pour dans un an ou deux la livraison d’une Gazprom Arena qui fera passer le stade du Bayern pour un entrepôt sordide), vaincre les vaillants voisins biélorusses. D'idéales victimes expiatoires, vouées à succomber aux incessantes vagues d’attaques du tenant de la coupe de l’UEFA.
Les rives de la Bérézina
Le début du match fut conforme aux prévisions, avec des déferlements de toute part des Russes, qui se créaient une noria d’occasions, dont deux amours de centres déposés entre la dixième et la onzième minute par Archavine sur les têtes de Zyrianov (parade désespérée du gardien) et de Tekke (poteau). Les joueurs de Borisov tentaient bien de ressortir proprement le ballon, mais le rendaient beaucoup trop rapidement à un Zénit sûr de sa force, au point de verser dans une certaine suffisance. Une suffisance qui tenait autant à sa supériorité technique qu’à l'ambiance générale en Russie, qui présentait les copains biélorusses comme de gentils garçons venus poliment prendre leur fessée réglementaire. En effet, comment un club nommé "Usine de construction de tracteurs de la ville de Borisov" (Borisov étant un bled paumé au bord de la Bérézina), doté d’un budget annuel estimé à 4 millions d’euros, à l’effectif composé exclusivement de joueurs locaux, pourrait-il sérieusement inquiéter l’armada du Zénit, qui puise dans les ressources sans fin de Gazprom?
Les joueurs et l’encadrement du Zénit avaient beau le nier avant le match, le complexe de supériorité était évident. On se demande d’ailleurs si le stoppeur croate Krizanac, pas forcément le plus technique des joueurs de la planète, aurait osé face à quelque Robinho le même râteau qu’il tenta devant Rodionov, qui ne se fit pas prier pour lui subtiliser le ballon et envoyer un missile sur l’arête des cages d’un Malafeev archi-battu.
Echaudé, le Zénit réagit tout de même par l’intermédiaire de son Portugais Danni — l’homme qui valait trente millions — qui reprenait un nouveau caviar d’Archavine: barre-rebond sur la ligne. Le bébé cadum de la sélection russe tentait dans la foulée un corner direct sorti par un défenseur sur la ligne. L’armoire à glace Veremko, dans les buts biélorusses, continuait de s’opposer aux tentatives du Zénit, et ses partenaires se mettaient à jouer de plus en plus crânement.
Nelkhaychik, aie aie aie
Le plus que juvénile coach de Borisov, Viktor Gontcharenko (trente-et-un ans), procédait à un changement à la mi-temps, lançant le rapide Nelkhaychik pour profiter des lacunes récurrentes de l’arrière-garde lourdaude du Zénit (où Puygrenier, encore sur le banc hier, n’a toujours pas réussi à s’installer définitivement). Coup de maître, puisque le remplaçant profitait d’une balle en profondeur pour griller tout le monde et placer en taclant un plat du pied parfait hors de portée de Malafeev.
Injuste? Certainement pas: même si le Zénit dominait, même si ses joueurs multipliaient des gestes inaccessibles à leurs adversaires, même si les occasions étaient majoritairement russes, les tractoristes livraient pour leur part un modèle de match intelligent.
Mais Archavine semble bien décidé à ne pas laisser son talent pourrir cette saison supplémentaire, bien qu'il ne souhaitait pas poursuivre au Zenit. Les défenseurs du Bate finissaient par plier: le slalom du petit génie de la Néva en laissait trois le nez dans le gazon, sa frappe du gauche était parfaite, le gardien était enfin battu… mais le buteur Tekke, qui passait par là, contrait involontairement le tir de son meneur. Peu en réussite, le Turc voyait ensuite entrer Pogrebnyak pour l’épauler. Le Golgoth russe se signalait immédiatement par une tête à bout portant, encore sortie par l’impeccable Veremko. Advocaat avait eu du flair en laissant Tekke sur le terrain puisque à dix minutes du terme, il sauvait son match en réalisant un splendide enchaînement contrôle du droit – demi-volée du gauche en lucarne, malgré la sortie de Veremko.
Les dix dernières minutes virent le Zénit pousser, Borisov lancer un contre ou deux, Archavine tenter un coup de génie solitaire, mais le nul final récompensait cette fraîche équipe biélorusse qui tire plus que le maximum de son potentiel. Après avoir sorti Anderlecht et le Levski Sofia pour en arriver là, voici le champion de chez Loukachenko en bonne posture pour disputer au Zénit la troisième place de la poule. Les Russes vont devoir cravacher dans deux semaines sur les rives de la Bérézina pour obtenir au moins un strapontin vers cette coupe de l’UEFA qui, pour l’instant, leur convient mieux qu’une Ligue qu’ils encore du mal à domestiquer et dans laquelle ils courent toujours derrière la première victoire de leur histoire.
Les observations en vrac
• Trente millions dépensés pour le milieu offensif Danni, six millions pour le stoppeur Puygrenier: si le Zénit avait inversé ses priorités de recrutement, il aurait Pepe derrière, Benjamin Gavanon au milieu, et serait en tête de sa poule.
• Une ville glauque dans une zone sinistrée qui revit par la grâce d’une équipe rafraîchissante qui embête les cadors: c’est sûr, Borisov est le Calais de la Ligue des champions.
• Si c’est comme ça, ils vont le payer au même prix que les Européens, leur putain de gaz, ces sales voisins ingrats.
• Si c’est pour se faire sortir en phase de poule, Archavine aurait aussi bien pu signer à l’OM cet été.
• Dans le salon d’honneur du palais présidentiel de Minsk, devant l’écran de télévision, les moustaches de Pleksy-Gladz ont légèrement frissonné.
• Avec 21 tirs cadrés sur 34 depuis le début de la compétition, le Zénit est l’équipe de Ligue des champions qui a cadré le plus gros pourcentage de ses tirs. Elle a aussi obtenu le plus grand nombre de corners de toute la compétition: 29. Et sur les seize équipes ayant déjà disputé trois matches, elle est troisième en termes de possession de balle. Si ses dirigeants cherchent une devise, on suggère "Dominer n’est pas gagner".
Le coup de nerfs
Une diffusion sur Foot+ à 18h30, et dix secondes pour montrer les deux buts lors de la soirée sur Canal+, en oubliant les 23 tirs dont 3 poteaux. C'est vrai qu’il fallait garder de la place pour les interventions de Lizarazu et Desailly en plateau (où l’on a appris que la victoire de Lyon 5-3, c’était bien au niveau offensif, mais moins bien au niveau défensif), pour de longues et éprouvantes interviews de joueurs (où l’on a découvert que Franck est content du doublé de Karim et que Karim est ravi du retour en forme de Franck), ou encore pour l’indispensable palette, qui révèle l’incroyable vice de Berbatov, qui joue à la limite du hors-jeu, voire même au-delà – le sacré coquin que voilà.
Les sympatoches déclarations d’après match
• "Je ne rêve que d’une seule chose: que cet hiver, le club me laisse partir à l’étranger". Andreï Archavine, en réponse à la question "Rêvez-vous encore de vous qualifier pour les huitièmes de la finale de la Ligue des Champions?"
• "Si le foot se jouait sans buts, le Zénit serait la meilleure équipe d’Europe". Andreï Archavine, en réponse à la question "Comment expliquer le manque d’efficacité de l’équipe?"
• "Désormais, pour nous qualifier, il faudrait que nous sautions deux fois notre taille en hauteur". Anatoli Timochtchouk, capitaine du Zénit, évaluant les chances de son équipe de remporter les trois derniers matchs de poule.
• "J’essaie de comprendre comment les joueurs parviennent à se créer autant d’occasions sans marquer. Je n’y arrive absolument pas". Dick Advocaat, entraîneur du Zénit.
• "Je ne peux quand même pas marquer les buts moi-même. Quand j’étais jeune, je le pouvais. Plus maintenant. Maintenant, je suis vieux". Dick Advocaat.
• "Mes gars sont assis en silence dans le vestiaire, ils sont très déçus". Viktor Gontcharenko, entraîneur de Borisov.