Le football grec face à la crise
Vu de France, la Grèce et le ballon rond, c’est avant tout l’élimination de 2004, la fin de carrière d’Angelos Charisteas à Arles-Avignon et désormais Kostas Mitroglou. C’est aussi un folklore de supporters parmi les plus chauds d’Europe et, malheureusement, un championnat en crise.
J’ai découvert le football grec par hasard. Tout est parti d’un choix a priori anodin: jouer avec l’AEK Athènes sur FIFA 2000 pour rendre le jeu plus difficile. Après avoir mis le club sur le toit de l’Europe et dépassé la barre des cent buts dans la saison avec Demis Nikolaidis, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de ce club, fondé par des réfugiés dans les années 20. Les opinions politiques de ses supporters étant en plus particulièrement sympathiques, mon affection ne s’est jamais démentie. Le championnat grec n’est pourtant pas le plus simple à suivre. Entre violences, corruption et crise économique, ces dernières années ont été compliquées.
L'ogre et ses rivaux
L’AEK est descendu en troisième division en 2013 suite à la fois à une descente sportive (sur fond d’incidents avec les supporters et de sanctions disciplinaires, avec la perte fatale de trois points) et à une insolvabilité. Son dernier titre remonte à 1994. Le second grand club athénien, le Panathinaïkos, malgré deux titres en 2004 et 2010, ne va pas beaucoup mieux et ne pointe qu’à la huitième place du championnat cette année. Là encore, les difficultés financières et les violences des supporters viennent aggraver la situation sportive.
Depuis vingt ans, l’Olympiakos, dix-huit titres au compteur, écrase le championnat. Conforté par le système de la Ligue des champions qui, comme dans les autres petits championnats, vient renforcer l’inégalité entre les équipes, le club du Pirée n’a même pas été perturbé ni par les scandales de corruption ni par la violence de ses supporters. Pourtant, cette année aurait pu être différente. L’Olympiakos, en fin de cycle, a laissé le champ libre au PAOK Salonique et à l’AEK Athènes et, dimanche 11 mars, la "finale" du championnat avait lieu à la Tomba, l’antre des noir et blanc.
Contexte tendu
Le PAOK est un des rares clubs grecs n’appartenant pas au trio Olympiakos-Panathinaïkos-AEK (75 titres sur 81 à eux trois) à avoir réussi à gagner le championnat (en 76 et en 85). Surtout, le club est la propriété depuis 2012 d’Ivan Savvidis, un homme d’affaire russe, proche de Vladimir Poutine et aux pratiques sulfureuses, qui a remis le club sur le devant de la scène en jouant en même temps sur le nationalisme grec (notamment le conflit avec la Macédoine voisine) et avec le sentiment anti-athénien propre à la Thessalonique, la seconde ville du pays.
Deux semaines plus tôt, le PAOK avait déjà failli perdre le titre en dehors du terrain. La faute aux supporters qui avaient violemment accueilli l’Olympiakos et notamment l’ancien entraîneur stéphanois Oscar Garcia, touché par un projectile (un rouleau de papier toilette!). La sanction avait été forte: match perdu 3-0 sur tapis vert, trois points de pénalité et deux matchs à huis clos. De quoi rendre encore plus ardue la route vers un sacre inattendu.
Le but de la discorde
Mais dans la nuit du samedi au dimanche, quelques heures donc avant la rencontre au sommet face à l'AEK, la fédération grecque a annulé les deux dernières sanctions, à la surprise générale. Le PAOK revenait donc à seulement deux points de l’AEK, leader du championnat, et pouvait bénéficier du soutien de ses supporters pour le match. Une décision dont le fond comme le timing posent beaucoup de questions, dans un championnat habitué à la corruption et aux pratiques douteuses.
Le match a tout de même eu lieu. Crispé, tendu. Pauvre en occasion et en qualité footballistique, le spectacle étant surtout sur les bancs, les coaches étant particulièrement remontés. À la 90e minute, alors que le score est toujours de 0 à 0, le PAOK croit ouvrir le score sur corner. Cependant, l’un de ses joueurs est en position de hors-jeu et semble faire action de jeu...
Dans un premier temps, l’arbitre valide le but. Puis, après échange avec son assistant, semble le refuser. C’est alors que l’impensable se produit. Le directeur sportif du club, Lubos Michel, ancien arbitre international (!!), rentre sur le terrain pour insulter et menacer le directeur du jeu. Il est accompagné par Ivan Savvidis, le président, qui invite ses joueurs à quitter le terrain, menace lui aussi l’arbitre et semble avoir une arme (un taser?) à sa ceinture.
Bienvenu en Grèce où Savvidis père, le président du PAOK, entre sur la pelouse dans le temps additionnel pour protester contre un but refusé à la 90e. Tous les maux de ce pays résumé dans une vidéo. Match arrêté. pic.twitter.com/Q6HVBq8RHN
— Football Grec France (@footgrec) 11 mars 2018
Et maintenant ?
Sur la vidéo, le désarroi des joueurs du PAOK face au comportement de leurs dirigeants fait mal au cœur. La suite est prévisible. Les arbitres quittent le terrain, suivis par les joueurs de l’AEK. Mais le football grec sait toujours nous surprendre. Presque deux heures après l’incident, on apprend que l’arbitre souhaite terminer le match et faire jouer les deux dernières minutes. Surtout, la feuille de match indique le score de 1 à 0 pour le PAOK.
Après une nuit d’interrogation, on apprend la suspension du championnat par le gouvernement jusqu’à ce que "tout le monde tombe d'accord sur des règles claires pour aller de l'avant". Le ministre appelle à des sanctions plus strictes et indique la possibilité d’une interdiction de participation aux coupes européennes pour l’ensemble des clubs grecs.
L’intervention des pouvoirs publics peut-elle ramener la raison dans ce championnat à la dérive? C’est tout l’enjeu de ces prochains jours, et notamment pendant la trêve internationale... avec le risque d’une escalade de la violence chez les supporters pouvant se sentir floués. Pour l’instant, ceux de l’AEK se tiennent tranquille mais quelques communiqués menaçants sont sortis du côté du PAOK. Les réseaux sociaux se crispent, tandis que la FIFA commence à parler de "Grexit" si aucune solution n’est trouvée. Une première journée, où était notamment prévue le derby athénien entre l’AEK et le Panathinaïkos, a déjà été annulée. Pour l’instant, l’espoir d’une reprise reste présent. Mais dans quelles conditions?