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Le descendoir

Une histoire naturelle et sociale d'un club de Seconde Division, ou le RC Lens revisité par Zola.
Auteur : Ilf-Eddine, alias Émile Raspou le 24 Juin 2011

 

Installation

Dans le quartier de la Goutte Sang et Or, au numéro 2 de la rue de la Ligue, s'élevait il y a vingt-trois ans une maison massive, carrée, semblable à un bloc de mortier gâché grossièrement, se pourrissant et s'émiettant sous la pluie, profilant sur le ciel son énorme cube brut, ses flancs non crépis, couleur de boue, d'une nudité interminable de murs de prison. A la fenêtre d'un des appartements, une pièce lépreuse pauvrement meublée, Gervais, récemment arrivé dans le quartier, regardait passer la foule du faubourg, mais sans la voir vraiment, perdu dans ses projets, répétant comme un serment qu'il sortirait de ce bouge, qu'il accéderait à la vie digne et respectable qu'il pensait mériter.

C'était un ouvrier imprimeur habile et opiniâtre: il travailla dur, sans se laisser distraire par ses camarades prompts à lui proposer une virée, sans gobelotter de mannezingue en mine-à-poivre, comme ces cheulards passant de cric en cric, de brûlot en brûlot. Au bout de trois ans, à force de rogner sur les dépenses, il avait économisé un petit pécule, suffisant pour pouvoir s'installer.

Ah! Dame! La boutique de ses rêves, ça faisait un bout de temps qu'il lorgnait dessus! Il lui suffit de changer de trottoir: au numéro 1 de la rue de la Ligue, en face de la bâtisse délabrée où il avait trouvé refuge, s'élevait une construction coquette, avec au rez-de-chaussée un espace vacant. Il négocia le loyer avec le propriétaire, surveilla les travaux d'aménagement, fit repeindre les murs en rouge et jaune... Enfin, le grand jour arriva! Gervais, au seuil de sa boutique, félicité par les passants, contemplait l’enseigne fraichement finie: "Au martel en tête – frites, moules, bière".


Progression

Ce fut le début de longues années heureuses. Gervais se tailla une clientèle séduite par la qualité de sa bière, par l’ambiance de son troquet. Ca ne désemplissait pas, les gens se serraient les uns contre les autres, buvant, parlant fort, éructant contre les hommes en noir, ces bourgeois hautains qui maltraitaient le peuple, toujours prêts à siffler ses incorrections et à le punir sans mansuétude. Ah! ces frissons qui parcouraient l’assistance quand, à l’unisson, d’une seule voix puissante, les chants ouvriers s’élevaient, vibrants de révolte et d’émotion.

descendoir.jpg

Bien vite, il y eut trop de besogne pour le seul Gervais. Il s’adjoint le concours d’un grand gaillard à la chevelure folle que tout le monde surnomma "le Druide", pour sa gueule de Celte coupée à la serpe, et pour sa façon de préparer un breuvage spécial, un vitriol qui vous tordait les tripes et aurait réveillé les morts – une vraie potion magique, disaient les habitués.

Portée par l’énergie des deux hommes, la réputation de l’établissement dépassa les limites de la Goutte Sang et Or. On venait de tout le faubourg, de la campagne parfois, on marchait des kilomètres, entre amis, en famille, pour trouver une place chez Gervais… C’était un courant continu d’entrants et de sortants, un fleuve populeux charriant ses misères et ses joies, blouses bleues et grisettes, retrouvant le temps d’une bordée la fierté d’être soi.


Âge d’or

Il ne fallut que quelques années à Gervais et au Druide pour se voir décerner, par le peuple en liesse, le titre de meilleur troquet de la rue de la Ligue, puis, carrément, celui de meilleur troquet de France. D’aucuns, ambitieux, prétendirent que, peut-être, c’était le meilleur estaminet d’Europe, mais là il faut être juste: il y avait sûrement, dans les brumes du port de Londres, ou sur les plaines fertiles de Crimée, des établissements à la genièvre plus forte, à l’alcool de patate plus grisant. Mais qu’importait l’Europe! Le bon peuple de la Goutte Sang et Or trinquait à la gloire de Gervais.

Ah! ce dîner d’il y a treize ans! On s’en était mis plein la panse! Gervais et le Druide, enivrés de succès, avaient invité tout le monde, les amis, les fidèles, mais aussi les voisins jaloux, les cousins lorrains, les sudistes hâbleurs, les collets-montés de la capitale! On allait leur montrer ce que c’était que régaler, ce que c’était que vivre! Les plats s’étaient succédé, et les bières, et les vins, et les digestifs, et l’on avait déboutonné les pantalons, tant les ventres débordaient, on avait poussé la goinfrerie jusqu’à l’écarlate, dans le charivari des paroles égrillardes, les mains s’égarant aux hanches des femmes.

Dieu qu’il était bon, ce breuvage qui vous descendait dans le gosier! Gervais, d’habitude sobre, trop porté sur l’ouvrage pour l’être sur la bouteille, se laissait aller à ce plaisir coupable… Oui, tout de même, on avait bien le droit, dans cette vie de labeur, à de petits réconforts! Et il portait à sa bouche le casse-poitrine, pas gêné de se découvrir cette gueulardise-là, heureux de sentir, en lui, se répandre cette chaleur à nulle autre semblable.


Régression

Puis ça devint une habitude. Tous les soirs, s’en servir un petit, d’abord uniquement en mangeant, puis aussi avant de manger, puis avant et après manger. Et ce furent de longues soirées à partager les verres avec les clients, dans les brumes cotonneuses de l’ivresse, quand passe la gaité, quand s’éteignent les éclats de voix, et que seule demeure l’hébétude, avachi sur une chaise ou sur le comptoir, le regard dans le vague et les mains qui tremblent.

Alors apparurent les fissures. Les crédits qu’on accepte d’accorder; les tournées que l’on offre; les dettes qu’on ne réclame plus. La propreté s’en ressentit, l’accueil des clients aussi, et bientôt ce fut dès le réveil que Gervais se mit à boire le premier canon, et toute la journée passa dans la chape ankylosante de l’alcool.

Lassé, le Druide partit. Gervais tenta de le remplacer, sans grand succès. Il trouva d’abord un Lorrain dépressif, taiseux mais noble de cœur qui, pendant quelque temps, fit tourner la boutique, assurant l’essentiel… Mais, lui aussi, se fatigua des ivresses de Gervais. Ce fut alors la dégringolade: vint un vieux Bourguignon retors, qui fut incapable de faire marcher la cuisine; lui succéda un jeune Boulonnais, célèbre pour sa capacité à boire, mais qui ne savait pas faire boire les autres.


Déchéance

L’activité périclita. Les fournisseurs, de plus en plus furieux, de plus en plus pressants, venaient sans cesse réclamer leurs impayés. La qualité de la cuisine baissa rapidement, ne convainquant plus qu’une poignée de fidèles vivant dans la nostalgie de la grandeur passée. Et les gens se moquaient de Gervais, des gamins mal élevés déployaient devant sa vitrine des banderoles insultantes, le traitant d’alcoolique, et de bien pire encore.

Chaque soir, en s’écroulant sur sa couche, dans le vertige de la boisson, Gervais se disait que, le lendemain, il se retrousserait les manches, qu’il se mettrait à remonter la pente. Mais, le lendemain, dès le lever, il buvait un premier verre, et toute son énergie se trouvait comme diluée, le laissant dans l’inertie de son vice.

Pendant quelque temps encore, il fit illusion, promettant aux uns et aux autres, invoquant des difficultés passagères… Puis l’évidence se fit: il était en faillite, incapable de payer ses traites. Le propriétaire du numéro 1 de la rue de la Ligue vint le voir, et lui signifia qu’il le chassait.

Ce soir-là, Gervais marcha longtemps dans les rues du faubourg. Le vent lui soufflait au visage, le noir des rues ne se trouait que de lumières blafardes. Il allait au hasard, tournant et retournant. Il n’avait aucune idée d’où il passerait la nuit. Et, d’un coup, sans s’en être rendu compte, il se retrouva devant son ancien immeuble, massif et décati, du numéro 2 de la rue de la Ligue. Il poussa la porte, monta trois étages, retrouva sous l’escalier un recoin qu’il connaissait, y faufila sa grande carcasse, s’y allongea pesamment, sentant à peine, sous lui, la dureté du plancher nu.

Sans même repenser à ses projets de gloire, il ferma les yeux et, bien vite, il s’endormit.


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Réactions

  • G.Best le 24/06/2011 à 16h16
    Bravo!

  • le nihiliste le 24/06/2011 à 19h18
    Troglodyt
    vendredi 24 juin 2011 - 09h52
    Ou comment intéresser avec deux des trucs les plus chiants de l'univers: le RCLens et Zola. Merci camarade.
    -----------------------------------------------

    tout est relatif camarade, tout est relatif. Moi par exemple, je placerai un "marius et jeannette" bien avant le RCL dans l'ennui de l'univers.

    Mais le tout est de savoir se dés-épicentrer, et tout de suite c'est l'univers entier qui devient intéressant...

  • Joachim du Maurice-Bellay le 24/06/2011 à 19h41
    J'essaie d'imaginer Gervais le vrai lisant ce beau pastiche. Tiens, et est-ce que les acteurs du foot les vrais lisent les Cahiers?
    J'aime bien la trêve du coup.

  • Portnaouac le 24/06/2011 à 20h19
    nihilo
    vendredi 24 juin 2011 - 19h18
    Troglodyt
    vendredi 24 juin 2011 - 09h52
    Ou comment intéresser avec deux des trucs les plus chiants de l'univers: le RCLens et Zola. Merci camarade.
    -----------------------------------------------

    tout est relatif camarade, tout est relatif. Moi par exemple, je placerai un "marius et jeannette" bien avant le RCL dans l'ennui de l'univers.

    Mais le tout est de savoir se dés-épicentrer, et tout de suite c'est l'univers entier qui devient intéressant...

    ---------------

    Je ne suis pas sûr du tout, mais si j'ai bien compris ce qu'il évoque sur le fil nordique, ton interlocuteur est en passe de furieusement se dés-épicentrer dans les prochaines semaines ; je ne serais pas surpris qu'il ait essayé de se faire passer pour handicapé pour obtenir une affectation professionnelle plus proche de chez lui et que ça n'ait pas tout à fait marché comme il l'avait espéré...

    Du coup, il pourra nous dire après quelques semaines (il aura le temps, son dés-épicentrage semble devoir durer plusieurs mois), si son point de vue a un peu bougé.

  • le nihiliste le 24/06/2011 à 21h27
    attention à ne pas confondre dés-épicentrage et banal changement d'épicentre... on évoquait tout l'univers quand même ;)

  • Portnaouac le 24/06/2011 à 21h36
    Alors, au risque de paraître pointilleux, je me dois de te rappeler ton propos :
    "Mais le tout est de savoir se dés-épicentrer, et tout de suite c'est l'univers entier qui devient intéressant..."

    On est bien d'accord que dans ton propos, c'est le sujet qui se dés-épicentre et que c'est par son action à lui (on pourrait dire, par le renouvellement fréquent de cette action), que l'univers entier devient intéressant ; telle que j'imagine la chose, l'Univers lui, il n'a pas bougé... ;)

  • le nihiliste le 24/06/2011 à 22h37
    pas tout à fait portnaouac... J'entends par se dés-épicentrer, ne pas avoir d'intérêt uniquement pour le lieu ou l'on se trouve... Ou au moins ne pas juger les lieux qu'on n'habite pas comme les plus ennuyeux de l'univers.

    Le "renouvellement fréquent de cette action" ce serait usant. Vu la taille de l'univers :)


    Hum, j'ai bien peur Joachim, qu'on va faire fuir les quelques vrais acteurs du monde du foot qui lisent. désolé !)

  • José-Mickaël le 24/06/2011 à 22h54
    Dès fois, j'ai du mal avec les jeux de mots subtils des CdF-istes, et là je commence à avoir mal au crâne à force de réfléchir.

    Bon, après dix minutes d'intense concentration, j'ai fini par comprendre que le Zola dont vous parliez, c'est pas lui, c'est un autre. Mais quel autre ? Vous en connaissez un autre de Zola ? Ou alors vous parlez de son père (il aurait eu un père célèbre, comme Maldini ou Buffon) ?

    Rhaa, ça me rappelle l'autre jour où quelqu'un m'a parlé de Victor-Hugo, mais il paraît que ce n'était pas Montaño.

  • Hyoga le 25/06/2011 à 10h10
    clap clap clap

  • lemon le 27/06/2011 à 11h19
    Raspou
    vendredi 24 juin 2011 - 10h14
    [...]

    Et j'inclus dans cette menace mon cher lemon, qui sur un autre fil joue au Senhor Oliveira da Figueira, avec un inimitable brio, pour écouler ma modeste production littéraire. Quiconque, comme ce digne représentant de la gauche éthyliquement décadente, dira, fût-ce à des fins de parade nuptiale, "qu'il rêve d'un monde où Zola n'aurait jamais existé", me trouvera, inlassable, sur sa route.

    ---

    Taratata, la phrase exacte qui fait frémir la gent féminine est "je rêve d'un monde qui n'aurait jamais glorifié Zola". Déjà la formulation est plus élégante, mais surtout le sens est complètement différent. C'est le monde que je critique, pas Zola, qui, si l'Univers était bien fait, se serait contenté d'écrire des éditoriaux patauds dans un journal de gauche.

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