Le choix et les embarras
Peut-on défendre la légitimité de Deschamps sans pour autant démolir l'actuel sélectionneur? Et surtout: Domenech pourra-t-il exercer sa fonction dans un environnement complètement hostile?
Auteur : Jérôme Latta
le 2 Juil 2008
Peut-on trouver de bonnes raisons de remplacer Raymond Domenech sans recourir à ce monceau d'argumentations fallacieuses, amnésiques ou franchement malhonnêtes qui nourrissent aujourd'hui son procès? (1) Peut-on avancer des arguments légitimes qui renonceraient à réinterpréter très librement les deux derniers mois ou les deux dernières années de son mandat? Peut-on soutenir l'idée de mettre Deschamps à la tête de la sélection sans pour autant devoir couper celle de son prédécesseur?
Pour y parvenir, il faudrait d'abord s'intéresser aux projets des candidats et évaluer leur capacité à mener leur future mission – et ne pas s'arrêter à l'idée qu'un sélectionneur qui a échoué dans les poules d'un Euro ou d'une Coupe du monde doit automatiquement quitter son poste. Si Domenech n'a pas droit à un procès équitable, comment espérer que la désignation du sélectionneur des Bleus se fonde sur la raison plus que sur la politique ou le marketing?
Pas d'examen pour les candidats
Du point de vue sportif, chacun aura une idée du meilleur choix, mais en tout cas, aucun argument ne suffit à disqualifier complètement Domenech, qui a emmené l'équipe de France à deux phases finales consécutives en atteignant la finale de l'une des deux. Le soutien de nombreux internationaux indique d'ailleurs que son crédit n'est pas aussi entamé (s'il l'est) à l'intérieur du groupe qu'à l'extérieur. On a justement le sentiment que le problème de Domenech est essentiellement "extérieur", avec les reproches adressés à sa communication (qui lui vaut par ricochet des procès sportifs, par exemple à propos de ses choix de joueurs) ou à sa personnalité elle-même, qui écope de toute la rancœur accumulée et fait de lui la cible de la démagogie ambiante.
Rendus à des extrémités qui poussent certains à se scandaliser que Domenech fasse du vélo à Paris en ces heures tragiques pour la nation, le débat est significativement faussé, à tel point que la candidature de son concurrent présumé est elle-même examinée de travers. Ainsi, ceux qui attendent de Didier Deschamps – qui parle plusieurs langues de bois – une communication plus ouverte que celle de Domenech risquent d'en être pour leurs frais. Tout comme ceux qui vont réclamer du "spectacle" à l'un des artisans majeurs du tournant défensif des Bleus de Jacquet, même s'ils peuvent invoquer le Monaco de 2003/2004 (2). D'autant que le job d'un sélectionneur, entre éliminatoires au couteau et matches amicaux dépouillés d'enjeu, n'est malheureusement pas de faire le spectacle.
Il est pourtant probable que Deschamps, à un ou deux joueurs près, s'inscrirait pour une bonne part dans la continuité de Domenech – dont les choix, par nature contestables dans cette fonction, n'ont jamais été absurdes, quoi qu'on en dise aujourd'hui, et qui a lancé presque tous les joueurs dont on parle actuellement pour assurer une relève.

Ingouvernable
On pourrait ainsi, longtemps, évaluer et comparer les mérites de ces deux postulants sans trouver scandaleux le maintien de l'un, ni inintéressante la nomination de l'autre – en se rappelant au passage que ce dilemme n'implique pas forcément de choisir un camp et de le défendre aveuglément. En réalité, Deschamps a toute la légitimité sportive requise, même si l'on peut discuter ses états de service. Surtout, s'il est un candidat assez idéal, aujourd'hui, c'est moins pour des mérites qui resteront à établir qu'en raison du moment et du contexte où sa candidature se présente...
En effet, le choix d'un sélectionneur devrait être épargné par les influences "politiques" qui pèsent sur lui, mais il peut difficilement être dégagé des contingences de cette fonction. La nécessité de "communiquer" et de se soumettre (avec toute l'hypocrisie nécessaire) aux obligations de représentation est un faux débat attesté par l'histoire de la décennie écoulée. Mais en revanche, les conditions extérieures ont un impact direct sur les conditions d'exercice de ce métier déjà difficile, et il y a un point au-delà duquel il n'est plus possible de les ignorer (ni de les utiliser à ses fins, pour souder une équipe).
Or, il est évident qu'un nouveau mandat de deux ans pour Domenech se déroulerait sur un terrain profondément miné par les procès et les malveillances. Son autorité serait constamment attaquée, au point de compromettre son travail, sa sérénité et l'indépendance de ses choix, mais aussi de précipiter des "crises" à la moindre contre-performance ou d'introduire le doute au sein même du groupe. Certes, Aimé Jacquet ou Luis Aragonés ont résisté à de pareilles tempêtes, mais le conflit favoriserait par exemple un limogeage en cours de route, à la manière d'un club en détresse à la mi-saison – et avec les mêmes chances très aléatoires de réussite (3). Avec Domenech, la sélection risque d'être ingouvernable.
Rangez la guillotine
Reste cette question : soutenir le point de vue selon lequel l'environnement de l'équipe de France doit être pris en compte, c'est céder à son pouvoir de nuisance, ou simplement être réaliste en voulant éviter des périls plus grands encore? Dans la mesure où le choix de Deschamps préserverait l'influence de la DTN et établirait une forme de continuité avec les années glorieuses des Tricolores, il a peu de chances de mettre en péril l'avenir des Bleus, et présente au contraire des facteurs de réussite.
En tout cas, la mise à l'écart de Domenech ne devrait pas constituer une condamnation ni une disgrâce, mais un choix obéissant à une logique et à des partis pris clairs, puisqu'un mandat de quatre ans constitue déjà un cycle complet et qu'il est légitime de penser à en lancer un autre. Malheureusement, aussi bien en raison de la pression médiatique que des habitudes autarciques de la Fédération, il est à craindre que celle-ci fasse son choix sur de toutes autres bases.
Les titres auxquels vous avez échappé (pour le moment)
Des rires et Deschamps, c'est tous les jours le printemps
L'embarras Deschamps
Spécial Didier casse
(1) La lecture des forums des sites spécialisés est tout simplement déprimante et montre à quel point le football encourage la bêtise humaine.
(2) Au moins, Éric Cantona se montre cohérent avec lui-même en renvoyant les deux hommes dos à dos (notre nihiliste rentier aurait-il l'idée que sa propre candidature serait légitime?).
(3) Par ailleurs, la reconduction de Domenech pourrait avoir comme contrepartie la mise en œuvre d'une tutelle des clubs professionnels sur les Bleus, tutelle dont on peut craindre le pire (lire "Domenech-Deschamps, choisis ton camp").