Le banc des récusés
Les entraîneurs n'étant plus que des intérimaires virés à la première crise, faut-il compter sur les directeurs sportifs ou les présidents pour réussir une équipe?
Auteur : Jérôme Latta
le 17 Nov 2008
Une saison virgule trois. Le mandat de Laurent Roussey fait un peu plus baisser la moyenne de la longévité au poste d'entraîneur de Saint-Étienne. Les dirigeants stéphanois ont fait ce qu'ils avaient failli faire la saison passé. Le club a-t-il gagné ou perdu une année? Traditionnellement, sur ces pages, on serait enclin à défendre la thèse selon laquelle, en pareil cas, ce sont même plusieurs années qui sont ainsi dilapidées. Mais la théorie de la construction sportive à long terme a-t-elle encore un sens quand, de toute façon, les entraîneurs sont devenus une denrée irrémédiablement périssable?
"Leur" entraîneur
Les lourdés ou les menacés du début de saison semblent illustrer une tendance: de Le Dizet à Le Guen en passant par Roussey et même Domenech, le cas de figure présente des analogies. À chaque fois, des dirigeants affichent leur défiance envers des entraîneurs qu'ils ont pourtant maintenus, contribuant ainsi à les fragiliser (1). La situation est absurde, mettant en scène une cohabitation forcément contreproductive et des conflits de pouvoir qui font le lit de toutes les "crises". Les décisionnaires, pourtant incapables d'assumer leur logique quand les circonstances protégeaient leurs techniciens (par la grâce d'un maintien, d'une montée, d'une qualification européenne...), laissent cours aux spéculations et paraissent attendre l'occasion, comme si la nécessité de choisir "leur" entraîneur était impérative. Problème: avec la valse des dirigeants eux-mêmes, on se retrouve souvent avec des couples mal assortis et des reconstructions qui s'éternisent.

Ceux qui restent
Il s'agit bien d'une question de gouvernance, cette terminologie permettant au moins de retourner aux intéressés leur vision d'un club comme une entreprise. L'exemple lyonnais est d'ailleurs assez parlant: c'est un régime présidentiel qui a piloté un projet sportif abouti, presque indépendamment des hommes qui se sont succédé sur le banc. Le pouvoir s'est déplacé vers ceux qui restent en poste. Et en pareil cas, mieux vaut être "conseiller du président" ou directeur sportif que fusible diplômé.
Dès lors, peut-être faut-il se résigner à considérer les présidents comme les seuls à pouvoir et devoir porter un projet sportif... L'exemple stéphanois est d'ailleurs assez troublant puisqu'en dépit de plusieurs épisodes tragi-comiques et d'un commandement bicéphale, Romeyer et Caïazzo n'ont pas mal mené leur barque... jusqu'à présent (2).
Le chaînon manqué
En France, l'absence de managers à l'anglaise dont les prérogatives seraient bien plus larges fait de l'entraîneur le dernier maillon de la chaîne – celui qui casse. Bien sûr, la multiplication des adjoints lui permet de devenir, s'il le souhaite, une sorte de superviseur qui peut déléguer les entraînements et intervenir sur un plus grand nombre de domaines. Mais il se voit généralement refuser des droits élargis, notamment au contrôle du recrutement. La solution dans certains clubs? Créer un niveau intermédiaire de directeur ou manager sportif, garant de la stratégie sportive susceptible de survivre à celui qui porte le survêtement. C'était le souhait déjà ancien des co-présidents de l'ASSE, qui l'ont concrétisé en la personne de Damien Comolli. À Rennes, Pierre Dréossi est passé de l'une à l'autre fonction en retrouvant son poste de manager général après être descendu au bord du terrain.

N. : ce tableau qui schématise la chaîne de commandement sportif omet les responsables du recrutement et les directeurs généraux ou directeurs administratifs qui exercent des prérogatives importantes.
Les formules sont multiples et aucune n'offre toutes les garanties (3). Les travers en sont nombreux et bien connus: absence ou ingérence de l'actionnaire, incompétence ou manque de légitimité du président "délégué" et, dans tous les cas de figure, fragilité de l'entraîneur.
Naviguer à vue
Parfaitement instruits de leur fonction de fusible, les entraîneurs ne peuvent décemment pas bâtir de programmes sur plus de deux saisons, et naviguent sportivement à vue. Oubliez la rhétorique de la "construction", il s'agit de miser sur une conjonction immédiate de facteurs favorables pour obtenir des résultats et espérer durer un peu.
Certains, tirant des conclusions pour eux-mêmes, peuvent abandonner des mandats prometteurs, comme Claude Puel quittant le LOSC. Ses confrères sont dispensés à la fois de "l'amour du maillot" et de la loyauté envers leur corporation, tel un Alain Perrin passant de Lyon à Saint-Étienne, qui avait fait publiquement acte de candidature avant le limogeage de Laurent Roussey, tandis que les tractations avaient déjà commencé avec l'ASSE.
S'en remettre au bon sens ou à la vision de nos dirigeants n'est pas un pari très facile, tant le destin d'une équipe devrait plutôt être dans les mains des techniciens. À défaut, il faut faire confiance aux Dréossi, Comolli, Thuilot, Villeneuve et autre Diouf pour mener à bien des politiques qui doivent survivre au défilé des entraîneurs.
(1) Dans le cas de Saint-Étienne, l'affaire a été compliquée par le fait que l'un des deux présidents (Caïazzo) était opposé à Roussey quand l'autre (Romeyer) le soutenait.
(2) Le club est bénéficiaire et le bilan de sa politique sportive, transferts inclus, est globalement positif. Au point qu'avec cet effectif, Alain Perrin a probablement moins de mérite à aller dans la Loire qu'Élie Baup en Loire-Atlantique.
(3) Le mythe du "manager à l'anglaise" doit être pondéré par le fait qu'en Angleterre aussi ils subissent un important turnover, Arsène Wenger et Alex Ferguson y étant des exceptions.