La psychologie du siffleur
Cela devrait être seulement du plaisir (et il y en a eu), mais il faut donc que certains saisissent l'occasion d'exprimer haut et fort leur manque total de personnalité, en se livrant au sport favori d'une partie des publics français: le sifflage de Dugarry. Evidemment, on peut concevoir qu'il existe un contentieux entre le joueur et le public marseillais, mais le problème n'est pas propre au Vélodrome (qui ne semble pas toujours rancunier, si l'on en juge par l'accueil plutôt modéré réservé à Rolland Courbis dernièrement). Le phénomène est devenu systématique partout, et s'apparente à un lynchage ou un rituel sadique.
Mercredi soir, alors que les circonstances (célébration du titre européen, match caritatif...) les rendaient totalement déplacées, les réactions organisées furent donc extraordinairement constantes, preuve d'une véritable obsession. Le pire fut atteint quand, à certains moments où le public s'endormait un peu, il suffisait que le grand chevelu touche la balle pour déclencher ces seuls "encouragements". Que d'énergie et de souffle dépensés à exprimer de si haineuses pensées! Jusqu'à énerver Zidane qui balance une transversale en touche.
On a l'impression que Dugarry a la faculté de concentrer sur lui les comportements les plus stupides, qu'il agit comme un détecteur de crétins, lesquels réagissent au quart de tour à son passage et se signalent aux observateurs par le son strident qui émane de leur bouche. Ils ne sauraient expliquer eux-mêmes pourquoi ils agissent ainsi, cette impulsion leur vient du plus profond de leur cortex, en une sorte de réflexe instinctif. Il est de toute façon de plus en plus délicat d'affirmer que Dugarry est un mauvais joueur, sous peine de passer pour un piètre expert. On peut très légitimement ne pas l'aimer,il est juste qu'il attire les quolibets comme il attire les coups, mais rien ne justifie qu'il soit l'objet d'une pareille vindicte (sur le sujet, voir l'article du 27 juin dernier, Dugarry vers sa rédemption?)
L'attaquant essaiera bien de changer d'aile, comme pour tester une autre tribune, mais le résultat est le même: il fait l'unanimité. Il aura beau multiplier les gestes de classe, son procès est sans appel et a eu lieu il y a longtemps. L'exécution de la sentence a lieu à chaque rencontre disputée par le Bordelais.
Il faut évidemment rappeler la règle statistique qui veut que si un spectateur sur cent siffle, il est acquis (notamment pour les journalistes) que c'est le stade entier qui conspue. On veut croire que ce jeu de massacre est désapprouvé par une majorité, mais les plus cons sont toujours les plus bruyants. Il faudrait un jour étudier la psychologie du siffleur de stade, celui qui se retourne contre des joueurs de sa propre équipe ou même contre son équipe, celui qui prend très vite le parti de la défaite et râle à longueur de match. Le Parisien qui sifflait Rai par exemple, ou tous ceux qui sifflaient sous le maillot bleu un certain... Laurent Blanc. Qui se rappelle aujourd'hui que le "Président" fut tenu pour une chèvre et servit de tête de Turc aux siffleurs de l'époque?