La Gazette, numéro 38
Le Prince en veste de cuir
Difficile de cerner Emmanuel Petit. Certains le prennent pour un gars un peu limité, légèrement illuminé et qui parle trop, d’autres aiment son caractère torturé et lui trouvent une certaine intelligence, d’autres encore ne voient en lui qu’un enfant gâté arrogant et égocentrique. Une seule chose est sûre : les filles ont adoré ses fesses dans “Les yeux dans les Bleus“.
Attention : il convient de lire la suite de cet article lentement, à voix haute et avec les intonations de Frédéric Mitterrand.
Emmanuel Petit a eu plusieurs vies. On se souvient de lui avec les cheveux ras, avec une moustache, avec la coupe allemande (court devant, long derrière), avec le maillot “Goldorak“ de l’équipe de France. Il faut en effet une certaine capacité à ressusciter pour survivre à France-Bulgarie, et à une longue traversée du tunnel monégasque (celui que traversa à 300km/h Ayrton Senna, autre héros tragique du Rocher Suchard), presque délibérée et dont la lumière du titre de 1997 le délivra. Il put ainsi partir à Londres pour revêtir une autre tunique rouge et blanche, mais aussi retrouver son Pygmalion, Arsène Wenger. Fin psychologue, l’Alsacien crispé (dont on ne sait toujours pas s’il est un entraîneur génial ou le plus génial des recruteurs) sut l’amener à un niveau que l’on espérait plus de la part de notre espoir déçu. Petit ne fut vraiment rendu à son destin qu’au cours du Mondial 98, qui le vit s’imposer comme une évidence et devenir un symbole de l’équipe, et enfin allumer la dernière fusée.
Mais comme tout doit être compliqué dans le parcours de Manu, à l’issu d’un Euro disputé sans l’intégralité de ses moyens et après avoir épousé l’élue de son cuir, il met un terme à trois ans d’idylle sportive avec Highbury pour se jeter dans la gueule du loup, oubliant que Barcelone s’est fait une spécialité de mépriser les internationaux français : Blanc, Dugarry, Anderson… On le sent bouillir, mais il contient sa rage, refusant encore de croire à son échec en Catalogne.
Il trouve aujourd’hui en sélection la foi pour résister à ce sort contraire, et la France reconnaissante est prête à le trouver extraordinaire, même s’il ne brille pas véritablement. Mais en 2002, il y aura bien une histoire à raconter sur notre héros.
Président à durée déterminée
Le LOSC n’est pas encore champion, et le club tangue déjà. Les propriétaires du club n’ont pas forcément choisi le meilleur moment pour annoncer leur étrange turnover : Luc Dayan cède son poste à son associé Francis Graille. En fait, on aura compris que Dayan (auquel, L’Equipe consacrait en début du mois un article, intitulé “Le goût du risque“) n’était pas plus que ça passionné par le club nordiste, occupant à temps partiel un poste de président dont les obligations médiatiques le fatiguaient.
Un peu poussé par son prédécesseur Bernard Leconte (artisan du redressement financier et de la remontée), il avait monté un plan de reprise qui lui octroya, avec Graille, 72% des parts du club pour la somme assez dérisoire de 600.000 francs. Le club va conserver des objectifs qui permettront de valoriser ce capital: il doit prochainement se constituer en SASP (Société anonyme sportive professionnelle) —et même proposer aux joueurs de devenir actionnaires— et mener à bien la construction d’un nouveau stade à l’horizon 2003. Le projet financier est clair, mais qu’en est-il du projet sportif ?
Problème : Halilhodzic, visiblement pas averti de cette valse à deux têtes, se montre moins désinvolte que ses dirigeants et fait valoir ses exigences pour la saison prochaine. Il veut un poste de manager sportif et des capacités financières qui permettent à la fois de préserver l’effectif et de doter le club des infrastructures qui lui manquent dramatiquement (terrains d’entraînement et vestiaires inondables, stade partiellement vétuste qui ne pourrait recevoir la Coupe d’Europe). Sinon, consacré par deux dernières saisons qui ont fait la preuve de sa valeur, le technicien ira voir ailleurs. Il a déjà refusé de s’engager envers le LOSC dès cette semaine, comme l’y engageait son nouveau président. Vahid, c’est de la nitroglycérine. Il ne faut pas trop le secouer.
La nouvelle économie du foot pro draine donc plusieurs variétés de patrons. Des dinosaures rescapés, des capitaines d’industries arrogants, des énarques gestionnaires, des actionnaires majoritaires, des régents de fortune… Et quelques investisseurs qui veulent bien mettre leurs billes dans les clubs, pas leur tête sur le billot.