G14 : le cartel veut grossir
Constitué en groupement d'intérêt économique européen (le nom savant des lobbies pour Bruxelles), domicilié dans la ville de la Commission européenne et désormais "écouté" par la FIFA et l'UEFA qui ont fait entrer le loup dans la bergerie) le G14 s'est réuni la semaine dernière à Paris. Dommage que le football n'ait pas un entarteur, on aurait peut-être vu Florentino Perez avec de la crème fraîche sur le visage.
Sans aucune surprise, ses membres ont rappelé leurs objectifs principaux, comme la libération des internationaux, sujet d'actualité s'il en est. Le directeur général du groupement, Thomas Kurth, a ainsi déclaré qu'après cette capitulation, les clubs n'accepteraient plus un prochain "Australie-France" (AP 09/11). Le récent baissage de culotte opéré par la FIFA à cette occasion présage du pire pour la place accordée aux sélections, appelées à devenir le parent pauvre de cette "famille". L'UEFA et la FIFA ont laissé le G14 s'asseoir à leur table. Il est désormais en mesure de taper du poing dessus et de lui transmettre ses directives.
Tout le monde s'est ainsi félicité de la Ligue des champions, dont il ne faut réformer que le marketing. Mais les débats les plus intéressants ont porté sur l'identité même de cette association.
Le lobby a effectivement révélé sa vraie nature à l'occasion des discussions sur son élargissement, qui semble inévitable, et donc sur les conditions d'admission dans son cercle. Les fondateurs doivent trouver un équilibre entre le nombre et la "qualité" de ses membres. On a ricané quelque peu de la menace qui pèse sur l'OM de perdre sa carte, pour s'être trop longtemps abstenu de compétitions européennes. Quelques voix s'étaient déjà élevées dans le cénacle pour dire que bon, on n'allait pas non plus chipoter. Le poids économique de l'OM et surtout politique de Robert Louis-Dreyfus est suffisant pour suspendre l'application d'une telle règle. Et il s'agit plutôt d'élargir que de rétrécir le club. Pourquoi en effet Porto mais pas Benfica, Liverpool mais pas Arsenal, Paris mais pas Lyon, la Juve, mais pas la Lazio?
On apprend maintenant qu'un critère de base pourrait lui aussi être revu, concernant la nécessité d'avoir remporté au moins un titre européen, qui symbolisait à lui seul l'élitisme proclamé de ce cénacle, et sa seule légitimité sportive. Kurth a précisé qu'il "faudra prendre en compte des éléments de la compétition sportive, mais aussi la notoriété, le pouvoir économique, la masse de personnes qui suivent le club, sa réputation, etc.'' (AP). Là, on rigole un peu. Voilà qui rappelle les arguments vaseux de notre propre élite nationale quand elle prétendait répartir les droits télé en fonctions de critères de "grandeur" extrêmement spécieux, mais aussi les visées des promoteurs de la Superligue de Media Partners en faveur d'une compétition européenne privée. Tout à coup, il ne s'agit plus de montrer des quartiers de noblesse dignes de ces seigneurs historiques du continent, mais d'afficher un chiffre d'affaires ronflant. L'aristocratie s'arrangera très bien avec les roturiers comme Fulham, le Hertha Berlin ou L'Olympique lyonnais, dont les dirigeants sont des poids lourds économiques et/ou de puissants activistes sur leurs territoires respectifs.
La communauté d'intérêt fédérée par le G14 concerne à l'évidence nettement plus de 14 clubs, et l'on s'apercevra très vite que ce "regroupement " ressemblera à un consortium derrière lequel on trouvera toutes les puissances financières du sport, à une sorte de syndicat des grands actionnaires qui aura pour but de prendre le pouvoir aux fédérations et confédérations.
Malheureusement, et contrairement à ce qui se passe dans la société civile, aucun mouvement de protestation ne viendra contester la politique de cette OMC du foot. Les amateurs de football ressemblent moins que jamais à un groupe capable de s'exprimer collectivement et d'opposer une résistance à cette évolution qui fait justement d'eux de purs consommateurs, passifs et bien dressés.